Astronomie populaire (Arago)/XXXII/25
CHAPITRE XXV
les comètes peuvent-elles modifier sensiblement le cours des saisons ?
Le titre qu’on vient de lire a déjà sans doute rappelé la belle comète de 1811, la température élevée de cette année, la récolte abondante qui en fut la suite et surtout les excellentes qualités du vin de la Comète. Je n’ignore donc pas que j’aurai bien des préventions à combattre pour établir que ni la comète de 1811, ni aucune autre comète connue, n’ont jamais occasionné sur notre globe le plus petit changement dans la marche des saisons[1]. Cette opinion, au demeurant, se fonde sur un examen scrupuleux, sur une discussion attentive de tous les éléments du problème, tandis que le sentiment contraire, quelque répandu qu’il soit, est le fruit d’aperçus vagues et sans consistance réelle. Je commencerai par discuter les faits, les considérations théoriques viendront après. Les comètes, dit-on, échauffent notre globe par leur présence. Eh bien, rien n’est plus facile à vérifier : ne consulte-t-on pas en effet le thermomètre dans tous les observatoires de l’Europe plusieurs fois par jour ? N’y tient-on pas une note exacte de toutes les comètes qui se montrent ? Voyons donc si pour Paris les températures moyennes des années fécondes en comètes surpassent régulièrement les températures moyennes des années, en moindre nombre, durant lesquelles aucun de ces astres ne s’est approché de la Terre.
Dans le tableau suivant on a classé les comètes en regardant chacune d’elles comme appartenant à l’année dans laquelle tombe son passage au périhélie.
Les observations de température entre les années 1735 et 1740 ont été faites à Paris par Réaumur.
Celles de 1763 à 1785 appartiennent à Messier.
Les résultats partiels dont on a déduit les moyennes annuelles correspondent à des heures de la journée contre le choix desquelles on pourrait faire une critique fondée ; mais, quant à la question présente, elles seraient sans importance. En tout cas, je n’avais pas le choix.
Les observations de 1787 à 1802 inclusivement ont été empruntées aux Transactions philosophiques de Londres. Dans cet intervalle les registres météorologiques de Paris présentaient des lacunes multipliées qui ne permettaient pas d’en tirer parti. Depuis 1802 jusqu’à 1853 les observations faites à Paris sont devenues régulières et elles présentent toute l’exactitude désirable.
Le lecteur a maintenant les pièces du procès sous les yeux. En ne considérant d’abord les résultats qu’isolément, il verra :
Que, dans l’année 1737, malgré ses deux comètes, la température moyenne fut inférieure à celle des deux années précédentes, durant lesquelles, cependant, aucune comète ne se montra. Que de 1763 à 1785, l’année la plus froide, l’année 1766, correspondit à l’apparition de deux comètes, dont l’une était très-brillante. Que dans l’intervalle de seize années (1787 à 1802) pour lesquelles j’ai emprunté les données météorologiques aux Tables publiées par la Société royale de Londres, l’année la plus chaude, celle de 1794, n’a été marquée par l’apparition d’aucune comète, tandis que dans l’année de beaucoup la plus froide, dans l’année 1799, on en observa deux. En passant ensuite aux observations plus modernes contenues dans la troisième partie de la Table, on remarquera que l’année 1805, avec ses deux comètes, est une de celles où la température moyenne s’est le moins élevée ; que 1808 doit être compté parmi les années froides, quoiqu’on ait observé quatre comètes ; que l’année la plus froide du xixe siècle, l’année 1829, a été marquée par l’apparition d’une comète ; que l’année 1831, durant laquelle aucun de ces astres ne s’est montré, a joui cependant d’une température moyenne beaucoup plus forte que 1819, qui compte trois comètes dont l’une très-brillante ; que l’année 1846 où l’on a observé huit comètes a eu la même température moyenne que l’année 1852 où l’on n’en a vu que quatre, etc.
Laissons maintenant de côté des remarques isolées qui ne sauraient évidemment conduire à aucune conclusion certaine, et groupons les divers résultats. Alors la Table précédente nous donnera :
Température moyenne des 69 années à comètes 10°,81 |
centigrades. |
Température moyenne des 27 années sans comètes 10°,52 |
— |
La différence de ces deux nombres est assez sensible pour mériter qu’on en cherche la cause. Ne la trouverait-on pas dans cette circonstance, que les années froides sont ordinairement nébuleuses ? Il est du moins certain que, par un temps habituellement couvert, les plus brillantes comètes peuvent passer sans être aperçues. Si l’on compare les températures moyennes des années pendant lesquelles il s’est montré une seule comète, avec celles des années qui ont été marquées par l’apparition de deux ou d’un plus grand nombre de ces astres, on doit affaiblir, sinon éliminer entièrement l’influence de la circonstance météorologique que je viens de signaler. Or, en opérant ainsi, on trouve :
Température moyenne des 30 années à une comète 10°,80 |
centigrades. |
Température moyenne des 39 années à plusieurs comètes 10°,82 |
— |
La différence paraîtra certainement insignifiante ; les deux nombres sont presque absolument identiques.
Ce dernier résultat doit sembler décisif à tout esprit non prévenu. Néanmoins je sais trop à quel point le public est disposé à prêter aux comètes une certaine influence calorifique, pour ne pas sentir le besoin de réunir dans ce chapitre les diverses données de l’observation qui peuvent contribuer à mettre la vérité dans tout son jour. Les trois petites Tables suivantes me paraissent aller directement à ce but. En effet, lorsqu’en les examinant avec attention, on aura remarqué que les grands froids sont arrivés fréquemment pendant les apparitions de comètes, et les grandes chaleurs à des époques où aucun de ces astres n’était visible, on sera moins disposé à s’appuyer sur des coïncidences fortuites que la suite des temps doit inévitablement amener, pour établir entre les deux ordres de phénomènes dont il s’agit, une relation dont rien, absolument rien, n’établit la réalité.
plusieurs jours de suite.
à l’ombre et au nord.
Après avoir présenté tout ce qu’il est possible de tirer aujourd’hui du petit nombre d’observations que les astronomes ont rassemblées, étudions le problème sous un autre point de vue.
Une comète peut agir à distance sur la Terre, de trois manières seulement : par voie d’attraction ; par les rayons lumineux et calorifiques qu’elle lance ou réfléchit dans tous les sens ; par la matière gazeuse dont se compose sa nébulosité ou sa queue, et qui, dans certaines positions, viendrait envahir l’atmosphère terrestre.
La comète de 1811, tout le monde se le rappelle, avait une brillante queue, dont la longueur ne resta pas constante. Dans son maximum, les mesures astronomiques lui donnèrent 41 millions de lieues. Sans avoir besoin de chercher si jamais cette queue se trouva dirigée vers la Terre, nous pouvons affirmer qu’elle ne l’atteignit pas, car le 15 octobre, au moment de son plus grand rapprochement, la comète était encore à 47 millions de lieues de nous.
Dans son maximum d’éclat, la comète de 1811 ne jetait certainement pas sur la Terre une lumière égale au dixième de celle que nous recevons de la pleine Lune. Celle-ci, je ne dis pas seulement avec son intensité naturelle, mais concentrée au foyer des plus larges miroirs ou des plus grandes lentilles, et agissant sur la boule noircie d’un thermomètre à air, n’a jamais produit d’effet sensible. Cependant, par ce mode d’expériences, un centième de degré du thermomètre ordinaire aurait été largement appréciable ! Il faudrait renoncer à jamais faire usage de sa raison si, après de tels résultats, on s’arrêtait encore à l’idée qu’une comète, fût-elle vingt fois plus éclatante que celle de 1811, pourrait, par sa lumière, produire à la surface de la Terre, soit des variations de température susceptibles d’avoir quelque effet sur l’abondance et la qualité des récoltes, soit même un de ces changements microscopiques que les instruments subtils des météorologistes sont destinés à signaler.
C’est donc dans la force attractive des comètes, qu’on se trouve définitivement amené à chercher la cause efficiente de leur prétendue influence météorologique. La Lune nous servira de terme de comparaison.
Cet astre engendre les grandes marées de l’Océan (liv. xxiii, chap. xxiv). Mathématiquement parlant, la comète de 1811 a dû produire des marées analogues ; mais personne ne les ayant remarquées, il faut admettre que, par leur petitesse, elles échappaient à l’observation.
La hauteur de la marée varie proportionnellement à l’intensité de la puissance attractive. Nous venons de trouver la marée lunaire très-forte et la marée cométaire insensible ; donc, l’action de la comète sur la Terre n’était qu’une très-petite partie de l’action de la Lune. Ce résultat important découle, avec plus d’évidence encore, de l’examen des dérangements qu’éprouvent les planètes dans leur course elliptique autour du Soleil, et qui sont connus sous le nom de perturbations. Pour abréger, je m’en tiendrai, toutefois, à la première démonstration.
L’action attractive de la Lune ne produit sur notre atmosphère que des effets fort douteux (liv. xxi, chap. xl). Ceux des météorologistes qui, en traitant cette question, se sont prononcés le plus positivement pour l’affirmative, restreignent eux-mêmes les variations barométriques qui peuvent tenir à l’influence lunaire, dans des limites très-resserrées. Admettons un moment ces changements comme réels ; il est évident qu’il faudra beaucoup les atténuer si l’on veut en déduire en nombres les altérations du même genre que la comète de 1811 était capable d’engendrer. Sur la nécessité de cette réduction, les marées de l’Océan ont prononcé sans équivoque. Il ne resterait donc rien d’appréciable.
En résumé, les actions directes de la queue et de la nébulosité de la grande comète de 1811, sur l’atmosphère terrestre, ont été insensibles à cause de l’immense distance à laquelle cet astre a toujours été placé par rapport à la Terre. Quant aux actions calorifiques et attractives, les instruments les plus délicats n’auraient pas même pu en faire ressortir l’existence. Je laisse maintenant au lecteur à juger si les vignerons doivent jamais fonder quelque espoir sur l’apparition d’une comète !
- ↑ Le passage suivant, tiré d’un recueil périodique anglais estimé, the Gentleman’s Magazine pour 1818, montrera de quels absurdes préjugés les hommes seraient bientôt le jouet si le flambeau des sciences venait à s’éteindre : « Par l’influence de la comète de 1811, dit ce recueil, on eut un hiver doux, un printemps humide, un été froid. Le Soleil se montra trop peu pour pouvoir mûrir les produits de la terre. Cependant la moisson donna assez de grains, et quelques espèces de fruits, tels que les melons, les figues, furent non-seulement abondantes, mais d’un goût délicieux. On vit très-peu de guêpes ; les mouches devinrent aveugles et disparurent de bonne heure… et, ce qui est très-remarquable, dans la métropole et ses environs, il naquit beaucoup de jumeaux. La femme d’un cordonnier de Whitechapel eut même quatre enfants d’une seule couche ! etc. »