Astronomie populaire (Arago)/XXVIII/14

GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 425-430).

CHAPITRE XIV

détermination de la vitesse de la lumière par l’observation des phases d’algol


Nous avons vu qu’Algol ou β de Persée (liv. ix, chap. xxi) est ordinairement de deuxième grandeur, mais que son éclat variable s’affaiblit jusqu’à n’être plus que de quatrième grandeur, pour repasser à la troisième, puis à la deuxième durant un second intervalle de même durée. Cette étoile ne change pas d’éclat peu à peu, comme la plupart des étoiles variables ; elle reste constamment de deuxième à troisième grandeur pendant 2 jours et 13 heures, et elle emploie de 7 à 8 heures pour décroître, descendre à la quatrième grandeur et revenir à être de deuxième à troisième grandeur, éclat qu’elle conserve de nouveau à peu près constant pendant 2 jours et 13 heures environ. Nous avons annoncé (liv. ix, chap. xxv) que, d’après ces faits, quelques perfectionnements dans l’intensité de la lumière des étoiles variables pourraient conduire à une détermination directe de la vitesse de la lumière. Voyons maintenant comment l’observation des phases d’Algol pourrait se prêter à une pareille mesure.

Si, par exemple, la durée de la période de variation d’Algol, durée un peu variable avec le temps, est de 3 heures et demie, il arrive qu’en 105 minutes, moitié de 3 heures et demie, Algol s’élève de la quatrième à la troisième grandeur, il ne faut que 105 minutes pour que l’éclat de cette étoile double. Si la variation était proportionnelle au temps, à chaque minute correspondrait 1/105e d’augmentation ; mais au moment où l’astre est de troisième grandeur, s’opèrent les plus rapides changements. Peut-être même la variation, à cette époque, arrive-t-elle à être double de la variation moyenne ; peut-être monte-t-elle à 1/52e par minute ; 1/52e est une variation d’intensité saisissable à la simple inspection ; ainsi l’on pourrait déterminer les moments de la phase intermédiaire d’Algol, les moments du passage de cette étoile par la troisième grandeur, à la précision d’une minute. Quelques perfectionnements dans les moyens de mesure photométrique permettraient probablement d’aller jusqu’à la moitié ou au quart de cette quantité.

Nous voilà presque arrivés à la précision dont les observations des éclipses des trois derniers satellites de Jupiter sont susceptibles. Rien n’empêchera donc que nous ne reproduisions, à l’aide des observations d’Algol, les combinaisons qui conduisirent Rœmer à la détermination de la vitesse de la lumière. Seulement, le célèbre astronome opérait sur de la lumière réfléchie, et il ne sera ici question que de lumière directe ; seulement, les satellites donnaient la vitesse d’une lumière venant du Soleil, et nous trouverons la vitesse de la lumière venant d’une étoile.

Les causes, quelle qu’en soit la nature, qui, dans la région d’Algol, font passer successivement cette étoile de la deuxième à la troisième grandeur, ou de la quatrième à la troisième, se manifestent à nous après un temps égal à celui que la lumière emploie à venir de cette région à la Terre. Il faut bien, en effet, pour que nous apprenions le changement survenu aux confins du firmament, attendre l’arrivée du courrier lumineux qui nous en apporte la nouvelle. Ainsi, il y a lieu à distinguer soigneusement le moment où par sa rotation ou par l’interposition d’un corps opaque, etc., l’étoile devient de troisième grandeur réellement, et celui où elle le devient pour la Terre. Le premier moment est celui du phénomène réel ; l’autre est le moment du phénomène apparent.

Supposons que l’étoile et la Terre soient immobiles : le temps de la transmission de la lumière restera constant. Dans le cas contraire il y aura variation. Ainsi, la Terre s’éloigne-t-elle graduellement de l’étoile, le temps écoulé entre le phénomène réel et le phénomène observé deviendra de plus en plus grand. L’inverse aura lieu évidemment si la Terre et l’astre se rapprochent.

La Terre est-elle une planète, dans son mouvement annuel elle s’éloignera d’Algol pendant six mois consécutifs ; elle s’en rapprochera pendant les six mois restants.

Observons l’instant du passage de l’étoile par la troisième grandeur, le jour où la Terre est le plus près possible de cet astre. Observons la même phase à six mois de là, ou quand la Terre se trouve à son maximum de distance de l’étoile. Rapportée, comparée au phénomène réel, cette seconde observation sera plus tardive que la première, de tout le temps que la lumière aura employé à parcourir le nombre de kilomètres dont la Terre s’est éloignée de l’étoile entre la première et la seconde station. En retranchant la première observation de la seconde, on trouvera donc pour résultat l’intervalle réel qui s’est écoulé entre les deux phases, augmenté du temps que la lumière a dû employer à parcourir un chemin égal au nombre de kilomètres exprimant la différence entre la plus grande et la moindre distance de la Terre à Algol.

Si l’on prenait pour première observation celle qui serait faite au maximum de distance de la Terre à l’étoile, et pour seconde l’observation correspondante au minimum de distance suivant, la différence des deux serait égale à l’intervalle réel des deux phases, diminué cette fois du temps dont la lumière a besoin pour parcourir la différence entre ces distances maximum et minimum.

L’intervalle qui sépare deux phases réelles d’Algol, vu l’immense distance de cette étoile, doit être totalement indépendant de la position de la Terre dans son orbite.

En effet, à de pareilles distances, l’action de notre globe sur l’étoile ne saurait être appréciable. La supposition contraire put se présenter à l’esprit quand, à l’origine, on discuta les éclipses des satellites de Jupiter, car ces astres sont beaucoup moins éloignés ; ici elle serait d’emblée insoutenable. Ainsi l’intervalle réel compris entre une phase d’Algol correspondant au moment où cette étoile est à sa moindre distance de la Terre, et la phase qui arrivera six mois plus tard, quand la distance de la Terre à l’astre aura acquis sa valeur maximum ; cet intervalle, disons-nous, sera égal, en moyenne, à l’intervalle que l’on trouverait en prenant les termes de départ en sens inverse : en prenant pour premiers termes les phases réelles des distances maxima, et pour seconds termes les observations de six mois plus tardives et correspondantes aux distances minima.

Les intervalles réels entre les phases étant égaux, les intervalles observés ne pourront différer entre eux qu’à raison de la vitesse de la lumière. Or, nous le savons aujourd’hui, dans l’espace de six mois la Terre s’éloigne d’Algol d’un si grand nombre de kilomètres, que la lumière ne les parcourt qu’en 15m 12s. Dans les six mois suivants, les deux corps se rapprochent de la même quantité. Pour avoir l’intervalle compris entre une phase observée la nuit de la moindre distance de la Terre à Algol, et la phase observée la nuit de la distance maximum, il faudrait ajouter 15m 12s à l’intervalle réel, s’il nous était connu. Ce même intervalle réel inconnu, diminué de 15m 12s, donnerait la valeur de l’intervalle observé entre une première phase correspondant au maximum et une seconde phase observée au minimum. Mais si un nombre, quel qu’il puisse être, connu ou inconnu, subit ces deux opérations ; si d’une part on l’augmente de 15m 12s, si de l’autre on le diminue de ces mêmes 15m 12s, la somme et la différence ainsi calculées différeront entre elles du double de 15m 12s, c’est-à-dire de 30m 24s.

30 minutes 24 secondes, telle sera donc la différence entre les deux séries d’intervalles de phases d’Algol, observées aux époques des maxima et des minima de distances et discutées suivant les conditions indiquées. Cette quantité est beaucoup au-dessus des erreurs auxquelles on sera exposé dans les observations. Il semble donc très-possible de déterminer directement la vitesse de la lumière d’une étoile.