Astronomie populaire (Arago)/XXVII/13

GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 364-368).

CHAPITRE XIII

détermination des longitudes terrestres par l’observation des éclipses des satellites de jupiter


Le moment de l’entrée définitive d’un satellite dans le cône d’ombre de Jupiter, le moment où il commence à en sortir, ont été regardés comme des phénomènes instantanés, visibles au même instant dans tous les points pour lesquels Jupiter se trouve alors au-dessus de l’horizon ; la comparaison des observations faites d’un de ces phénomènes dans deux lieux différents en heures de ces lieux, sera propre à faire connaître la différence de leurs longitudes.

Envisagées sous ce point de vue, les éclipses des satellites peuvent être considérées comme un moyen très-utile de perfectionner la géographie.

En supposant que l’on soit parvenu à prédire les immersions et les émersions des satellites avec la précision des observations mêmes, on n’a plus besoin, pour trouver la longitude d’un lieu, d’observations correspondantes, les éclipses peuvent alors servir à diriger le voyageur dans sa marche. En effet, c’est à la prédiction donnée pour un méridien connu, qu’on pourra comparer les observations qu’on aura eu l’occasion de faire.

Les immersions et les émersions des satellites de Jupiter semblent donc conduire à une solution directe et simple du problème des longitudes ; mais on vient de voir que c’est à la condition que le voyageur peut emporter, à l’avance, l’indication des heures où ces phénomènes doivent arriver sous le premier méridien, sous celui de Paris, par exemple. Cette condition n’était pas aussi facile à remplir que se l’étaient imaginé les inventeurs de la méthode.

Les satellites ne se meuvent pas uniformément autour de Jupiter, ils sont assujettis à des perturbations dépendantes de leurs positions mutuelles, et dont il est absolument nécessaire de tenir compte, lorsqu’on vise à quelque précision. Ces perturbations, pour la plupart, avaient été reconnues à l’aide des observations avant que la théorie les rattachât aux lois de la pesanteur universelle.

Maintenant, grâce aux progrès de cette théorie, les tables des satellites servent à prévoir les immersions et les émersions avec une grande exactitude. Il ne reste plus pour fournir aux navigateurs les moyens de se diriger dans la vaste étendue des mers à l’aide de ces petits astres, que de trouver un procédé pour les observer avec des lunettes ayant des grossissements suffisants ; problème que les agitations du navire rendent très-difficile et qui n’a pas encore été résolu d’une manière satisfaisante.

Ajoutons, quant aux déterminations obtenues même à terre, qu’une immersion du satellite doit arriver lorsqu’une petite portion du disque est encore en dehors du cône d’ombre ; or cette portion n’est la même pour deux observateurs que dans le cas où leur vue a le même degré de sensibilité. L’éclipse réelle différera aussi d’autant plus de l’éclipse apparente que la lunette employée dans l’observation aura plus de lumière. Les deux causes que nous venons de citer doivent produire des effets inverses à l’émersion. Les résultats n’en seront indépendants que si l’on compare pour les deux lieux dont on veut déterminer la différence de longitude, un nombre précisément égal d’immersions et d’émersions des mêmes satellites.

L’idée de faire servir les configurations, et surtout les éclipses des satellites de Jupiter à la détermination des longitudes, paraît s’être présentée de très-bonne heure à Galilée ; tel fut l’objet des communications avortées qui s’établirent d’abord entre le philosophe florentin et les États de Hollande, et ensuite avec la cour d’Espagne. Pour donner à sa méthode l’exactitude à laquelle il aspirait, Galilée fit par lui-même et par ses élèves un nombre prodigieux d’observations. Renieri, religieux olivetain, en était le dépositaire. On a prétendu qu’à sa mort des agents de l’Inquisition s’en emparèrent ; mais il ne faut calomnier personne, pas même les agents de l’Inquisition. Il résulte du récit de Nelli dans la vie de Galilée, récit fondé sur une déclaration des parents de l’astronome florentin, que la spoliation du cabinet de Renieri doit être imputée à un certain chevalier Joseph-Augustin Pisano, qui avait été présent à la mort de Renieri, et dans les mains duquel se trouvèrent l’horloge et le télescope du religieux olivetain. Quoi qu’il en soit de cette accusation, les manuscrits de Renieri rentrèrent, on ne sait trop quand ni comment, dans la bibliothèque de Florence, dite Palatine, d’où ils ont été extraits et publiés, quant à leurs parties essentielles, par M. Alberi, après avoir donné lieu, en Italie, au débat le plus animé et le moins courtois.

C’est grâce aux grands perfectionnements introduits par Laplace dans la théorie des mouvements des satellites de Jupiter que l’on a pu arriver à calculer plusieurs années à l’avance l’heure où ces satellites doivent s’éclipser ou reparaître, et à donner cette indication dans les éphémérides nautiques.

Les rapports que nous avons indiqués comme liant entre eux les mouvements moyens des trois premiers satellites et leurs longitudes moyennes, ont été découverts par l’auteur de la Mécanique céleste, et justement appelés les lois de Laplace. Pour faire disparaître ce que de pareilles lois auraient d’extraordinaire, l’auteur a démontré qu’il a suffi à l’origine que les mouvements et les positions des satellites satisfissent à peu près à cette égalité pour devenir dans la suite rigoureusement exactes.

Il résulte, comme nous l’avons vu plus haut (ch. xii), de la première loi de Laplace que les trois premiers satellites de Jupiter ne sauraient être éclipsés à la fois. Cependant Molyneux aperçut, le 2 novembre (vieux style) 1681, Jupiter sans aucun satellite. Le 23 mai 1802, sir William Herschel fit une observation analogue. Ce phénomène a été remarqué, le 15 avril 1826, par M. Wallis, et le 27 septembre 1843, par M. Griesbach. On aurait tort, quoiqu’on l’ait prétendu, de conclure de tous ces faits que la loi de Laplace avait fait défaut à ces quatre époques mentionnées. On n’a point fait attention qu’aux dates citées des satellites pouvaient se projeter sur la planète ou être cachés par son disque opaque, tandis que la loi n’est relative qu’à de véritables éclipses ou qu’à l’existence simultanée des satellites dans le cône d’ombre.