Astronomie populaire (Arago)/XXIII/05

GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 25-27).

CHAPITRE V

perturbations du mouvement des comètes


En faisant l’histoire des comètes périodiques, nous avons dit que l’action planétaire produisait dans leurs mouvements des inégalités qui étaient principalement sensibles parce qu’elles introduisaient des différences considérables pour les retours à leurs périhélies, entre les intervalles observés et les intervalles calculés, en tenant compte seulement de leurs éléments elliptiques, selon les lois de Kepler. C’est ainsi que pour la comète de Halley (liv. xvii, chap. vi) l’action des planètes troublantes fait varier de plus d’un an la durée de la révolution calculée d’après la seule valeur des éléments elliptiques. Il est du reste facile de comprendre d’après les lois de Newton, pourquoi les orbites des comètes sont considérablement modifiées par l’attraction des corps dans le voisinage desquels elles passent, et pourquoi au contraire elles n’introduisent aucun changement appréciable dans la marche des planètes. Cela vient uniquement de la petitesse relative des masses cométaires (liv. xvii, chap. xxxi). La comète de Lexell ou de 1770 qui présente ce singulier phénomène d’avoir eu une orbite elliptique exigeant une très-courte période sans qu’on ait pu cependant la retrouver, a été du reste l’occasion d’un triomphe complet pour la théorie de l’attraction universelle (liv. xvii, chap. xi). Pourquoi cette comète dont la révolution calculée d’après les éléments elliptiques de son orbite est de 5 ans et demi, n’a-t-elle pas été vue avant 1770, et pourquoi ne l’a-t-on pas aperçue depuis cette époque ?

Lexell remarquait déjà que, d’après ses éléments de 1770, la comète dut passer dans le voisinage de Jupiter, en 1767, à moins de la cinquante-huitième partie de la distance qui alors la séparait du Soleil ; qu’en 1779, quand elle revenait à nous, elle se trouva, vers la fin d’août, environ 500 fois plus près de cette même planète que du Soleil, en sorte qu’alors, malgré les immenses dimensions du globe solaire, son action attractive sur la comète n’était pas la deux-centième partie de celle de Jupiter. Ainsi, on ne pouvait douter que la comète n’eût éprouvé des perturbations considérables en 1767 et en 1779 ; mais il fallait encore établir que les perturbations avaient été numériquement assez fortes pour expliquer le manque total d’observations tant avant qu’après 1770.

Les formules du quatrième volume de la Mécanique céleste donnent la solution analytique du problème dont voici l’énoncé : L’orbite elliptique actuelle d’une comète étant connue, qu’était cette orbite auparavant ? Que deviendra-t-elle après, en tenant compte dans l’un et dans l’autre cas, de l’action troublante des planètes de notre système ?

En traduisant ces formules en nombres ; en substituant aux lettres indéterminées qu’elles renferment, les éléments particuliers de la comète de 1770, on découvre d’abord qu’en 1767, avant que cet astre s’approchât de Jupiter, son orbite elliptique correspondait non à cinq, mais à cinquante ans de révolution autour du Soleil. On trouve ensuite, qu’en 1779, à sa sortie de la sphère d’attraction de la même planète, la comète décrivait une orbite dont le contour ne pouvait pas être parcouru en moins de vingt ans. Il résulte aussi de ces calculs, qu’avant 1767, pendant toute la durée de sa révolution, la distance de la comète au Soleil ne fut jamais au-dessous de 194 millions de lieues, et qu’après 1779, ce minimum de distance se réduisit à 128 millions de lieues. C’était encore trop pour que l’astre pût être aperçu de la Terre.

Quelque singulier que cela paraisse, nous sommes donc pleinement autorisés à dire de la comète de Lexell, qu’en 1767, l’action de Jupiter nous la donna, et que la même action, produisant un effet inverse, nous la déroba en 1779.