Astronomie populaire (Arago)/XXII/13

GIDE et J. BAUDRY (Tome 3p. 591-612).

CHAPITRE XIII

de la couronne lumineuse dont la lune est entourée
pendant une éclipse totale de soleil


Presque tous les astronomes observateurs de l’Angleterre se transportèrent en Suède et en Norwége à l’occasion de l’éclipse totale de 1851. Mais on doit l’avouer franchement, l’habileté dont ils ont fait preuve n’a pas empêché que les questions relatives à la couronne lumineuse et aux protubérances rougeâtres ne soient restées presque au point où elles étaient immédiatement après l’éclipse de 1842. Quelle est, par exemple, l’origine de la couronne lumineuse ? Est-elle un objet réel, est-elle l’atmosphère du Soleil, ou bien doit-on l’attribuer, comme quelques personnes l’ont pensé, à des effets de diffraction que les rayons solaires éprouveraient dans le voisinage de la Lune ou à quelque chose d’équivalent ? Afin que chacun puisse discuter à son point de vue les observations de la couronne et être juge de mes appréciations, je réunirai ici tout ce que ces observations, depuis l’origine, ont offert d’essentiel.

Il n’existe pas de relation moderne quelque peu détaillée d’une éclipse totale dans laquelle il ne soit fait mention d’une couronne lumineuse dont la Lune paraissait entourée après la disparition entière du Soleil, et qui contribuait à tempérer l’obscurité. Toutefois, la première description vraiment scientifique qui ait été donnée de cette auréole se trouve dans le Mémoire de Plantade et Clapiès, de Montpellier, publié à l’occasion de l’éclipse de 1706 :

« Dès que le Soleil fut entièrement éclipsé, disent ces deux observateurs, on vit la Lune environnée d’une lumière très-blanche qui formait autour du disque de ce satellite une espèce de couronne de la largeur d’environ trois minutes. Dans ces limites, cette lumière conservait une égale vivacité qui, se changeant ensuite en une faible lueur, formait autour de la Lune une aire circulaire d’environ quatre degrés de rayon, et se perdait insensiblement dans l’obscurité du firmament. »

Voici la traduction littérale de ce que publiait Halley, quant à la couronne, après l’éclipse de 1715.

« Quelques secondes avant que le Soleil fût totalement caché, on aperçut autour de la Lune un anneau lumineux d’une largeur égale au douzième, ou peut-être même au dixième du diamètre de ce dernier astre. Sa teinte était le blanc pâle, ou, si on l’aime mieux, le blanc de perle. Il me sembla légèrement teint des couleurs de l’iris. Son centre me parut coïncider avec celui de la Lune, d’où je tirai la conséquence que l’anneau était l’atmosphère lunaire. Cependant, comme la hauteur de cette atmosphère serait de beaucoup supérieure à celle de l’atmosphère terrestre ; comme, d’autre part, des observateurs trouvèrent que la largeur de l’anneau augmentait à l’ouest de la Lune à mesure que l’émersion approchait je parle de mon résultat avec moins de confiance ; je dois même confesser que je ne donnai pas à la question toute l’attention nécessaire. »

Pendant cette même éclipse totale de 1715, Louville, de l’Académie des sciences, qui s’était rendu à Londres, vit aussi la couronne lumineuse. Elle lui parut couleur d’argent. La lumière était plus vive vers le bord de la Lune et diminuait graduellement d’intensité jusqu’à sa circonférence extérieure. Cette circonférence, quoique très-faible, était assez bien dessinée. Dans le sens des rayons, la couronne ne paraissait pas également lumineuse partout ; on y remarquait diverses interruptions[1], ce qui lui donnait quelque ressemblance avec les gloires dont les peintres entourent la tête des saints.

Louville crut reconnaître que la couronne lumineuse avait exactement le même centre que la Lune. Si elle se fût trouvée concentrique au Soleil, dit le savant académicien, le bord de la Lune en eût couvert la moitié occidentale au commencement de l’obscurité, et la moitié orientale à la fin. Louville croyait que de pareilles variations ne lui auraient pas échappé.

Gardons-nous d’oublier que vers la fin de l’éclipse totale de 1715, Louville vit autour du limbe de la Lune, pendant qu’il se projetait encore sur le Soleil, un cercle d’un rouge très-vif. Le savant académicien de Paris s’assura, dit-il, que cette couleur persistait quand le cercle se peignait au centre même de la lunette, et qu’elle ne pouvait dès lors être attribuée à l’absence d’achromatisme.

En 1724, Maraldi trouva que la couronne lumineuse n’était pas concentrique à la Lune. Au commencement de l’éclipse, elle paraissait plus large à l’orient qu’à l’occident. À la fin, au contraire, elle sembla plus grande vers l’occident qu’elle ne l’était à l’orient. Maraldi remarqua encore que la largeur, au bord septentrional, surpassait la largeur sur le bord opposé.

Pour rencontrer, après l’observation de 1724, quelque chose d’utile sur la couronne lunaire, il nous faudra franchir un intervalle de cinquante-quatre ans. À la date de 1778, don Antonio de Ulloa nous apprendra que dans l’éclipse du 24 juin la couronne avait une largeur égale au sixième du diamètre de l’astre ; que sa circonférence intérieure était rougeâtre, qu’un peu au delà se voyait un jaune pâle, et que ce jaune allait graduellement en s’affaiblissant jusqu’au bord extérieur, où la teinte paraissait entièrement blanche.

La couronne de 1778, dit l’amiral espagnol, était à peu près également brillante dans toute sa largeur. Elle se montra cinq ou six secondes après l’immersion totale du Soleil ; elle disparut quatre ou cinq secondes avant que le bord de cet astre émergeât de dessous le disque obscur de la Lune. De la couronne lunaire partaient çà et là des rayons lumineux perceptibles jusqu’à des distances égales au diamètre angulaire de notre satellite, tantôt plus, tantôt moins. Le tout « semblait avoir un mouvement rapide circulaire, pareil à celui d’un artifice embrasé, mis en jeu sur son centre ! » Le point de départ des rayons lumineux est indiqué d’une manière trop vague pour l’expression de la couronne lunaire. Don Antonio de Ulloa voulait-il dire que les rayons partaient du bord extérieur de la couronne ? Cette question est importante ; la figure de cette éclipse (fig. 301) ne donne peut-être pas un moyen suffisant de la décider.

L’éclipse totale de 1806 fut observée, en Amérique, par Bowditch et Ferrer. Dans son mémoire, Bowditch dit seulement que la Lune se montra entourée d’un anneau de lumière très-étendu. Ferrer est net et explicite, L’anneau paraissait avoir le même centre que le Soleil, sa largeur s’élevait à six minutes ; sa nuance était le blanc de perle. Il partait des bords de l’anneau des rayons qui s’étendaient jusqu’à trois degrés de distance. C’est, comme on voit, la gloire signalée par Louville et Ulloa, mais sur une plus grande échelle. Encore ici, pour savoir la signification du mot bords, desquels partaient les rayons lumineux, il faut recourir à la figure que Ferrer a donnée de l’éclipse (fig. 302).

Venons aux observations de 1842. La couronne lumineuse dont il vient d’être question, se montra, pendant l’éclipse du 8 juillet, dans toute sa splendeur. Elle se composait d’une zone circulaire contiguë au bord obscur de la Lune et d’une seconde moins vive, contiguë à la première. La lumière de cette seconde zone ou enveloppe, allait en s’affaiblissant graduellement de l’intérieur à l’extérieur. Celle de la première était à peu près uniforme.

Dans la direction de la ligne qui joignait le point du disque solaire où l’éclipse commença et celui où elle devait finir, il y avait deux vastes aigrettes qu’on pouvait considérer comme des expansions de la seconde couronne lumineuse. Ces aigrettes étaient terminées latéralement par des courbes concaves vers l’extérieur ; ces courbes semblaient être des paraboles dont les sommets, si elles avaient été prolongées, auraient été tangents au bord de la Lune. En examinant l’auréole à l’œil nu, je vis distinctement un peu à gauche de la verticale, passant par le point le plus élevé de la Lune, une large tache lumineuse formée de jets entrelacés. Je donnerai une idée assez exacte de cette apparence insolite, en la comparant à un écheveau de fil en désordre, à un écheveau emmêlé.

M. l’abbé Peytal, de Montpellier, examina avec une attention particulière les traits lumineux dont se composait la couronne, surtout vers la gauche ; ces traits paraissaient contournés, dit-il, comme un paquet de filasse de chanvre. Suivant la figure que M. Peytal a tracée, l’ensemble de ces traits était presque parallèle au limbe de la Lune.

En France, les aigrettes furent vues presque partout avec des formes dissemblables ; mais, chose singulière, M. Airy, placé à la Superga, près de Turin, et M. Baily à Pavie, n’en aperçurent point de traces, ou du moins n’en parlent pas. Ajoutons que non loin de là, à Milan, l’existence des aigrettes fut constatée.

Les rayons divergents qui firent assimiler la couronne avec tous ses accessoires aux gloires dont les peintres entourent la tête des saints, furent aperçus à Perpignan (fig. 303) ; ces rayons partaient du contour extérieur de la première zone circulaire de la couronne, et ne se prolongeaient pas jusqu’au bord obscur de la Lune. Ce fait est capital au point de vue de la théorie.

J’avais conçu l’espoir que les astronomes parviendraient à décider, en 1842, si la couronne lumineuse était centrée sur le Soleil ou sur la Lune. On a vu qu’à ce sujet les observations de Halley, de Louville, de Maraldi, de Ferrer, étaient contradictoires ; malheureusement, dans les circonstances de l’éclipse de 1842, les observations propres à décider la question ne purent pas être faites avec la rigueur nécessaire, en sorte que la question, jusqu’à un certain point, reste encore indécise.

Le mouvement giratoire signalé d’abord par Ulloa et qui fit assimiler la couronne avec tous ses rayons à un soleil d’artifice et rotatif ne fut pas aperçu à Perpignan. On vit, à ce qu’il paraît, quelque chose d’analogue dans diverses stations. M. Lenthéric dit qu’à Montpellier, la couronne parut à quelques personnes avoir un mouvement circulaire analogue à celui d’un artifice embrasé mis en jeu sur un cercle. Mais on doit remarquer que des personnes peu exercées aux observations astronomiques croient apercevoir un pareil mouvement de rotation dans le Soleil levant ou dans le Soleil couchant, quoique rien de semblable n’existe réellement. Suivant M. Baily les rayons lumineux que formait la couronne semblaient voltiger vivement comme ceux d’une flamme de gaz. À Lipesk en Russie, disent MM. Otto Struve et Schidlofsky, l’aspect de la couronne variait sans cesse, elle paraissait dans un état d’agitation violent.

Dans l’éclipse totale de 1850, observée à Honolulu aux îles Sandwich, par M. Kutczycki, la couronne se montra complétement irrégulière ; elle avait l’aspect d’un astre à plusieurs branches inégalement espacées et de différentes longueurs. Elle était plus lumineuse vers les bords de la Lune, mais elle n’offrait, ni dans son ensemble, ni dans aucune de ses parties, la trace d’un limbe, rond ou arrondi formant anneau autour des deux astres. Sa lumière décroissait très-uniformément sans présenter, à l’inverse de ce qui avait été si nettement observé à Perpignan en 1842, aucune variation brusque appréciable.

Il n’était donc pas possible de déterminer sur lequel des deux astres elle était centrée. La couronne était striée dans la direction normale au bord de la Lune, par plusieurs lignes ou traits plus noirs que le reste, qui existaient partout, mais en plus grand nombre sur la partie occidentale du bord lunaire. Le tout était parfaitement immobile et ne ressemblait en rien à une pièce de feu d’artifice tournant sur son centre. Cette immobilité était tellement parfaite, que pendant toute la durée de l’éclipse totale, un des traits sombres, plus apparent que le reste, n’a jamais cessé de se détacher du même point sur le bord occidental de la Lune, point qui était reconnaissable par une petite aspérité, la seule visible avec le grossissement de la lunette qu’on employait.

Les deux branches les plus longues de la couronne, s’étendant dans la direction presque verticale, sous tendaient à leurs extrémités un angle de 2° 35′ ; les branches de droite et de gauche un angle de 2° 5′.

Parlons maintenant des couleurs de la couronne.

En 1842 à Perpignan, M. Laugier trouvait l’auréole un peu jaunâtre dans la lunette ; elle lui semblait blanche à l’œil nu. M. Mauvais jugeait la teinte légèrement jaunâtre. MM. Pinaud et Boisgiraud assurent qu’à Narbonne la lumière de la couronne ne paraissait point colorée, M. Flaugergues partage cet avis, il trouve pour la teinte le blanc laiteux.

Suivant M. Baily, la couronne à Pavie était d’une blancheur parfaite.

À Lipesk, où la couronne se montra avec une intensité extraordinaire, avec un éclat éblouissant MM. Struve et Schidlofsky la trouvèrent complétement blanche.

On peut donc croire que les couleurs de l’iris signalées par Halley, dans la relation de l’éclipse de 1715, dépendirent du défaut d’achromatisme de la lunette.

Nous ne trouverons pas un très-grand accord dans les évaluations des dimensions angulaires des diverses parties de la couronne, même en faisant une large part aux erreurs dont les observations étaient passibles, à cause des limites quelquefois un peu incertaines des objets à mesurer.

À Perpignan, un officier de marine, M. Selva, trouva avec un cercle à réflexion 3′ pour la largeur de la couronne lumineuse intérieure. M. Laugier obtint à l’aide d’un verre divisé placé au foyer d’une lunette, 10′ pour la distance du bord de la Lune au bord extérieur mal terminé de la seconde auréole.

M. Mauvais en employant un réticule de même espèce trouva 2′ pour la largeur de la couronne intérieure ; les plus longs rayons formant les gloires avaient, suivant cet observateur, à compter du bord obscur de la Lune, une longueur égale au diamètre de cet astre, une longueur d’environ 33′.

M. Petit, à Montpellier, obtint à l’aide d’un verre divisé pour la largeur angulaire des deux auréoles 8′ 45″.

À Toulon, M. Regnaud, officier de marine, ne trouva que 2′ pour la largeur angulaire de la couronne intérieure, en se servant d’un cercle à réflexion.

M. Baily donna, par estime, à l’ensemble des deux couronnes, à partir du bord de la Lune, une largeur égale au rayon de la Lune, une largeur de 16′.

M. Airy, porta, par estime, la largeur de la couronne intérieure au huitième du diamètre de la Lune, c’est à-dire à une dimension angulaire d’environ 4′.

À Lipesk, suivant MM. Otto Struve et Schidlofsky, la largeur de la couronne, depuis le bord de la Lune jusqu’au contour extérieur d’où dardaient de longs rayons dans toutes les directions, était de 25′. Ces rayons comptés à partir du bord de la Lune avaient jusqu’à 3° et même 4° d’étendue.

Voyons maintenant ce que les observations de 1851 auront pu ajouter aux conclusions passablement incertaines et obscures qu’il était possible de déduire des anciennes éclipses totales touchant l’origine et la nature de la couronne lumineuse.

Les rayons divergents analogues à ceux que les peintres figurent dans les gloires des saints ont été, en 1851, observées presque partout.

M. Williams à Trollhatan les suivit de l’œil jusqu’au bord de la Lune d’où il lui paraissait sortir.

À Danzig, M. Mauvais remarqua, dans toutes les directions, des faisceaux de lumière blanchâtre qui se confondaient à leur base avec la lumière de la couronne sans la traverser d’une manière distincte (fig. 304). Ces rayons n’étaient pas tous de la même largeur ; les extrémités des plus grands s’étendaient à environ 30′ du bord de la Lune, il n’y avait aucune trace des rayons enchevêtrés observés en 1842.

Suivant M. Goujon, immédiatement après le commencement de l’éclipse totale, des faisceaux lumineux se sont montrés en divers points de la couronne, ils semblaient prendre naissance à 5′ de distance du bord de la Lune. Plus larges à leur base, ils se prolongeaient en devenant de plus en plus aigus et leur ensemble se trouvait éloigné du contour de la Lune d’environ 30′. Leur lumière était sensiblement plus blanche que celle de la couronne.

L’interruption remarquée dans l’éclat de la couronne, la division circulaire qui, sous le rapport de l’intensité, partageait la couronne totale en deux couronnes distinctes, n’a pas été signalée par M. Airy. M. Temple-Chevalier, au contraire, à Trollhatan, dit positivement qu’il a distingué dans la couronne deux anneaux séparés. Le plus lumineux entourait la lune et avait 4′ de largeur.

M. Brunnow vit la couronne partagée en deux zones d’intensités dissemblables. Les rayons lumineux divergents avaient pour origine la zone la plus voisine de la Lune ou la plus brillante, mais l’observateur ne dit pas s’ils partaient du bord ou de l’intérieur de cette zone.

A. Danzig, M. Mauvais n’aperçut pas, comme en 1842, la division de la couronne en deux zones concentriques.

Dans la même station, suivant M. Goujon, la lumière de la couronne était d’une couleur jaune orangée ; elle allait en s’affaiblissant graduellement depuis le bord de la Lune jusqu’à ses dernières limites.

D’après M. Mauvais, comme d’après l’observateur précédent, la lumière de la couronne allait en s’affaiblissant graduellement depuis le bord de la Lune jusqu’à ses limites, qui étaient éloignées de ce bord d’environ 10′.

Dans l’éclipse de 1842, quelques personnes virent la couronne quelques secondes avant l’éclipse totale et quelques secondes après. Cette observation, déjà faite par Halley en 1715, a été confirmée en 1851, à Ravelsberg, par M. Hind, qui dit : «La couronne fut visible cinq secondes après la fin de l’éclipse totale. »

M. Brunnow, à Frauenburg, vit la couronne à l’œil nu quelques instants après la réapparition du Soleil.

Du côté oriental, M. Otto Struve, à Lomsa, crut apercevoir des traces de la couronne pendant les deux minutes qui suivirent le moment de l’émersion. À Danzig, M. Goujon aperçut la couronne quatre à cinq secondes avant la disparition du dernier rayon solaire.

En faisant une éclipse artificielle de Soleil, les astronomes Lahire et De l’Isle virent, autour du corps opaque qui couvrait l’astre, une couronne lumineuse semblable, à quelques égards, à celle dont la Lune est entourée pendant les éclipses naturelles. L’expérience des académiciens de Paris remonte à l’année 1715. Depuis cette époque, on s’est presque généralement accordé à regarder les deux phénomènes comme identiques ; l’auréole lunaire a été, dans l’opinion de la plupart des observateurs, le résultat de la déviation que les rayons solaires éprouvent en passant près des arêtes, près des surfaces terminales des corps qui existent sur le bord de la Lune ; on l’a considérée, pour me servir de l’expression des physiciens, comme un effet de diffraction.

La conclusion, je crois, a été un peu hâtive. Pour que l’éclipse artificielle pût être légitimement comparée à l’éclipse naturelle, il aurait fallu dans l’expérience de cabinet que, semblable à la Lune, le corps opaque occultant se trouvât dans le vide. Aujourd’hui on peut se croire autorisé à chercher, du moins en partie, la cause de l’auréole artificielle dans la lumière diffuse qui était répandue en tout sens par la couche d’air qui entourait le corps opaque.

Le vide est encore, à d’autres égards, une condition essentielle de la même expérience. Il paraît résulter de diverses observations, contredites au surplus par des phénomènes de diffraction, que l’air va croissant de densité à mesure qu’on approche de la surface des corps solides, et que l’étendue dans laquelle cette condensation s’opère est très-sensible. Une réfraction, dirigée du dehors en dedans du corps occultant, en d’autres termes la production d’une auréole lumineuse serait la conséquence inévitable d’un pareil état des couches atmosphériques.

Dans l’expérience de De l’Isle, comme dans les expériences ordinaires de diffraction, l’observateur se trouve placé très-près du corps opaque. N’aurait-il pas fallu, avant d’appliquer aux phénomènes célestes des résultats obtenus dans de telles conditions, chercher minutieusement ce qui arriverait, lorsqu’aux distances de deux à trois mètres on substituerait les quatre-vingt-seize mille lieues dont la Lune est éloignée de la Terre ?

Je le dis avec regret, le désaccord que l’on trouve avec les observations faites en divers lieux par des astronomes également exercés, sur la couronne lumineuse, dans une seule et même éclipse, a répandu sur la question de telles obscurités, qu’il n’est maintenant possible d’arriver à aucune conclusion certaine sur la cause du phénomène. Veut-on faire de la couronne et de tous ses accessoires l’atmosphère du Soleil ? je demanderai pourquoi elle ne se voit pas en tous lieux au même moment, avec la même forme et la même grandeur ? pourquoi la couronne totale est quelquefois partagée en deux couronnes distinctes, tandis que dans d’autres cas on ne voit plus qu’une dégradation de lumière uniforme depuis le bord de la Lune jusqu’au point où le phénomène se perd dans l’obscurité du ciel.

Veut-on, d’autre part, comme le prétend Maraldi, que la couronne n’ait rien de réel et soit le résultat de la diffraction que la lumière éprouve sur les bords des montagnes placées aux limites du disque apparent de la Lune ? il faudra expliquer dans cette supposition ce qu’étaient les rayons courbes et qui plus est les rayons emmêlés, observés à Perpignan, dans l’éclipse totale de 1842 ; il faudra dire pourquoi la couronne se voit avant la disparition totale du Soleil et quelque temps après sa réapparition ; pourquoi les rayons divergents, obscurs ou lumineux, dont la couronne semble parsemée, ne se prolongent pas jusqu’au bord de la Lune.

Prenons dans un autre sens l’expérience de De l’Isle, et voyons quels sont les doutes qu’elle peut soulever contre les idées reçues.

En faisant dans une chambre obscure une éclipse artificielle de Soleil, c’est-à-dire en faisant projeter sur le Soleil une plaque métallique dont le diamètre angulaire surpassait un tant soit peu celui de cet astre, De l’Isle rapporte qu’il voyait un anneau lumineux autour de l’image de l’écran opaque. Mais un pareil effet avait-il réellement, comme on l’a supposé, rien d’extraordinaire ? Les régions de l’atmosphère terrestre qui paraissent toucher au Soleil n’ont-elles pas un grand éclat qui devait se manifester dans l’observation instituée par l’académicien français, en dehors des limites de la photosphère solaire, la seule que l’écran métallique occultait réellement ? Loin qu’on dût s’étonner de la formation de l’anneau lumineux, ce serait l’absence d’un pareil anneau qui aurait droit de surprendre.

En supposant que l’anneau blanchâtre des éclipses totales soit dû à l’atmosphère du Soleil, pourquoi cet anneau ne se verrait-il pas aussi dans les éclipses artificielles de cet astre ? On peut donc supposer que l’anneau observé dans l’expérience de De l’Isle était formé par la superposition de deux anneaux distincts, dépendant l’un de l’atmosphère terrestre, et l’autre de l’atmosphère solaire.

L’académicien français remarqua, lorsqu’il observait dans une chambre obscure, que l’anneau lumineux qui entourait l’ombre du corps occultant, était composé de plusieurs anneaux distincts concentriques et séparés les uns des autres par de petites lignes obscures. Quand il observait en plein air, il ne voyait que le plus inférieur de ces anneaux. Nous retrouvons ici l’anneau remarqué à Perpignan pendant l’éclipse de 1842, et si l’on veut le double anneau noté en Italie par M. Baily.

J’ajouterai que s’il fallait admettre certaines explications, dont nous parlerons tout à l’heure, on serait obligé de supposer qu’il existe dans l’atmosphère solaire extérieure (liv. xiv, v) plusieurs couches concentriques de nuages placées à des hauteurs très-inégales au-dessus de la photosphère. Mais une circonstance de laquelle résulte que les anneaux blancs et concentriques, parfaitement terminés, dépendent d’une autre cause, c’est qu’en ne faisant dans la chambre obscure qu’une éclipse partielle, De l’Isle voyait les anneaux se projeter avec un grand éclat sur la partie non couverte du Soleil.

M. Swan a supposé, conformément à ce que nous avions admis en 1842 et en 1846, que la photosphère solaire est entourée d’une atmosphère diaphane. Mais cet astronome ajoute qu’il règne dans cette atmosphère, à une petite hauteur, une couche continue de nuages légers. Les ouvertures ou éclaircies formées dans cette enveloppe de nuages par le courant ascendant, auxquelles M. Swan suppose que sont dues, suivant les vues de William Herschel, les taches proprement dites, serviraient à expliquer les rayons des gloires des saints dont la couronne est parfois parsemée. M. Swan trouve aussi dans ces éclaircies la cause des facules, et croit pouvoir rendre compte de leur plus grande visibilité près du bord que dans le voisinage du centre. Mais cette théorie ingénieuse est sujette à des difficultés de plus d’un genre. D’abord il est évident qu’à la hauteur de l’enveloppe circulaire de nuages dont M. Swan suppose l’existence, il y aurait nécessairement un changement brusque d’intensité, ce qui partagerait la couronne en deux zones concentriques d’éclats dissemblables ; or, on a vu qu’en 1842 et en 1851 ce phénomène de la séparation de la couronne lumineuse en deux couronnes concentriques n’a été observé qu’exceptionnellement.

En supposant la théorie fondée, les rayons de lumière formant la gloire des saints devraient se prolonger jusqu’au contour extérieur de la couronne intérieure la plus brillante ; et cependant plusieurs observateurs disent que les rayons en question partaient du contour extérieur de la seconde couronne, c’est-à-dire de la plus faible, de la plus éloignée de la Lune. Chacun de ces rayons, en leur assignant l’origine indiquée par M. Swan, ne devraient ils pas avoir à peu près la même largeur dans toute leur étendue, contrairement à l’observation faite par M. Goujon ?

Dans l’hypothèse de M. Swan, les rayons des gloires des saints devraient toujours converger vers le centre du Soleil, tandis que, d’après les observations faites à Perpignan en 1842, plusieurs rayons étaient loin d’être normaux au contour du Soleil ou de la Lune.

L’observateur écossais n’essaie pas de rendre compte, par sa théorie, des aigrettes si nettement décrites en 1842, et qui étaient limitées latéralement, comme je l’ai dit plus haut, par des contours curvilignes approchant plus ou moins de deux paraboles se présentant l’une à l’autre par leur convexité.

Je dois faire remarquer aussi que cette théorie ne rend nullement raison de l’existence de ces taches lumineuses totalement séparées de la couronne et composées en apparence, de rayons de lumière enchevêtrés comme les fils d’un écheveau emmêlé.

M. Feilitzh, professeur à Grieswald, ne voit dans la couronne que des effets d’interférence ; il a donné à ce sujet une théorie dans laquelle il fait intervenir l’action de spectres diffractés directs, et de spectres qu’il appelle indirects ; mais cette théorie, peut-être faute de développements suffisants, ne paraît avoir été adoptée par aucun astronome.

Il est possible, en définitive, que la lumière de la couronne blanchâtre soit le résultat de la superposition de la lumière provenant d’une atmosphère diaphane dont la photosphère solaire serait entourée, et de celle d’une couronne artificielle formée par voie de diffraction. Mais doit-on craindre de ne jamais parvenir à constater la présence simultanée de ces deux lumières dans la blancheur totale de la couronne lumineuse ? La question bien examinée ne se présente pas sous un point de vue aussi décourageant ; il est probable que les phénomènes de polarisation fourniront les moyens de la résoudre.

Supposons, en effet, que la lumière blanchâtre de la couronne bien observée offre des traces sensibles de polarisation. La polarisation ne pouvant procéder de la diffraction, il sera indispensable de l’attribuer à la lumière provenant, par voie de réflexion, de la lumière diaphane dont le Soleil serait alors indubitablement entouré.

Telle est la raison pour laquelle j’avais tant recommandé, en 1842, aux astronomes d’étudier la couronne au point de vue de la polarisation. Mon appel n’a été qu’imparfaitement entendu.

M. Airy nous apprend qu’il s’était muni, en 1851, des appareils propres à faire connaître l’existence de rayons polarisés, mais que surpris par la réapparition du Soleil il n’eut pas le temps d’en faire usage

Un de ses collaborateurs, M. Dunkin, dit qu’il a été gêné par les nuages ; que cependant il a essayé de voir des traces de la polarisation dans la couronne, mais sans succès. Il est difficile de deviner de quel procédé M. Dunkin faisait usage dans cette recherche, même après avoir lu le passage suivant de son Mémoire : « Aucune trace de polarisation n’a pu être aperçue ni aucun défaut dans les couleurs prismatiques, le vert étant certainement aussi brillant que les autres couleurs. »

M. Carrington, qui observait à Lilla-Ider, rapporte qu’il ne vit aucune trace de polarisation, avant l’éclipse totale, sur la portion non encore couverte du Soleil en se servant d’un prisme de Nicol ; il ajoute : « J’essayai ce moyen sur la couronne pendant un instant, mais avec le même résultat. »

M. Carrington dit, de plus, que son instrument était en bon état, puisque, étant dirigé sur l’atmosphère à une distance convenable du Soleil, il indiquait l’existence de rayons polarisés.

M. d’Abbadie, qui observait à Frédéricksvœrk, dit avoir reconnu des traces de polarisation dans la lumière de la couronne, tandis que rien de semblable ne s’apercevait sur le disque gris de la Lune.

Vu l’importance du résultat, je vais citer les propres paroles de l’observateur : « J’avais inséré une plaque de quartz entre l’objectif et l’oculaire de ma lunette, et en portant devant ce dernier, comme analyseur, un prisme biréfringent, je reconnus que la lumière de la couronne paraissait fortement polarisée. Je ne pus distinguer aucune trace de couleur sur le disque obscur de la Lune, mais les nuages ont pu être moins transparents à cet endroit. Je regretterai longtemps, ajoute M. d’Abbadie, que ces appréciations n’aient pu être rendues plus certaines par des mesures faites au polariscope, ainsi que vous l’aviez indiqué. »

Le polariscope eût été bien suffisant si, pointant sur les diverses parties de la couronne, il avait indiqué des polarisations dans des places différentes. Toutefois, malgré le vague dont il est entouré, le résultat de M. d’Abbadie me paraît avoir sur ceux des astronomes anglais la juste prééminence que l’on doit accorder à un fait positif sur un fait négatif.

Une observation plus positive, quant à la polarisation de la lumière de la couronne, est celle que nous fîmes, M. Mauvais et moi, à Perpignan en 1842. Voici en quels termes elle est rapportée dans la relation que j’ai donnée de cette éclipse[2] :

« Absorbé dans la contemplation du magnifique spectacle qui venait de se dérouler devant nous, et dont la durée devait être, au maximum, de deux minutes et un quart, je ne pensais plus à la polarisation de la lumière. Enfin, ce phénomène me revint à la mémoire. Quelques secondes seulement nous séparaient alors de la fin de l’éclipse totale : il n’y avait pas de temps à perdre. Je saisis sur-le-champ un polariscope à lunules placé à côté de moi ; je remis à M. Victor Mauvais un polariscope à bandes colorées, et je me mis à explorer, avec mon instrument, les environs de l’auréole lumineuse, l’auréole elle-même, et jusqu’à la région atmosphérique qui se projetait sur le disque de la Lune. Partout je vis les deux lunules teintes de ces couleurs complémentaires qui indiquent, d’une manière infaillible, la présence de rayons polarisés dans tout faisceau soumis à l’analyse délicate de l’instrument. Je n’eus pas le temps de pousser les observations plus loin. Il me fut impossible d’évaluer numériquement l’intensité de la polarisation dans la lumière provenant de la couronne, et cette même intensité dans la lumière correspondant aux deux régions, comparativement obscures, entre lesquelles la couronne brillait. En l’absence de ces déterminations numériques, je n’ai aucun moyen de décider, d’après mes observations, si la lumière de la couronne était polarisée par elle-même. Quant à la polarisation apparente, elle pouvait être la conséquence du mélange de la lumière atmosphérique, provenant de réflexions multiples, avec la lumière directe de la couronne. Si le rôle que jouent ces réflexions multiples dans la distribution et la polarisation de la lumière atmosphérique ne résultait pas déjà, d’une manière évidente, de mes anciennes recherches, on pourrait apprécier toute son importance par les observations dont il vient d’être question. Durant l’éclipse totale, nous avons vu, en effet, les réflexions multiples ou secondaires porter de la lumière polarisée jusque dans la direction des lignes visuelles qui, sans l’interposition de la Lune, auraient abouti au Soleil. »

Voici maintenant les observations de M. Mauvais : « Pendant l’éclipse totale, j’ai dirigé sur la Lune et sur la couronne le polariscope dit de Savart, et j’ai vu les bandes irisées. Le maximum d’intensité correspondait à la position horizontale de ces bandes ; elles étaient très-vives sur la couronne et au delà ; elles paraissaient moins prononcées sur la Lune même. Cependant on les voyait distinctement. »

Supposons qu’aucune illusion d’optique n’ait pu se mêler à ces appréciations de mon confrère ; supposons que les bandes aient été réellement plus vives dans la direction de la couronne que dans celle de la Lune, la lumière de cette couronne aura dû être polarisée par elle-même.

  • Fig. 301. — Éclipse du 24 juin 1778.
  • Fig. 302. — Éclipse du 16 juin 1806.

  • Fig. 303. — Éclipse du 8 juillet 1842.
  • Fig. 304. — Éclipse du 28 juillet 1851.

  1. Louville entend-il parler de rayons obscurs ou seulement d’un affaiblissement de lumière ? C’est ce qu’il est impossible de décider d’après sa description incomplète.
  2. Voir t. VII des Œuvres, t. IV des Notices scientifiques.