Astronomie populaire (Arago)/XXI/33

GIDE et J. BAUDRY (Tome 3p. 501-503).

CHAPITRE XXXIII

la lune exerce-t-elle une action sur les nuages de l’atmosphère terrestre ?


La Lune mange les nuages ; tel est le dicton fort répandu en France parmi les habitants de la campagne et surtout parmi les gens de mer. Ce dicton, exprimé en termes plus précis, peut se formuler ainsi : Les nuages tendent à se dissiper quand les rayons de la Lune les frappent. Est-il permis de regarder cette opinion comme un préjugé indigne d’examen, lorsqu’on voit un savant aussi illustre et aussi réservé que sir John Herschel, se porter garant de son exactitude ? Voici, du reste, les développements, la paraphrase des considérations par lesquelles l’astronome anglais rattache le fait, regardé comme vrai, aux lois connues du rayonnement de la chaleur.

La lumière de la Lune, à cause de sa grande faiblesse, ne produisant presque pas d’effets calorifiques appréciables sur des thermomètres placés au foyer des plus grandes lentilles, des plus larges miroirs, on ne pourrait pas, sans violer les lois les plus simples de la logique, lui faire jouer aucun rôle sur les molécules des nuages, en considérant surtout qu’elle les frappe sans avoir été condensée. Mais la lumière lunaire est-elle intrinsèquement dans le même état à la surface de la Terre où se sont faites généralement les expériences des lentilles et des miroirs réfléchissants, et lorsqu’elle n’a pénétré dans notre atmosphère que jusqu’à la hauteur où les nuages existent ordinairement ? on peut en douter. Quand la Lune est pleine, par exemple, elle a éprouvé depuis plusieurs jours, sans interruption, l’action calorifique du Soleil, sa température est très-élevée ; quelques physiciens sont allés jusqu’à prétendre, non sans bonnes raisons, que toutes les matières dont la surface visible de notre satellite se compose sont alors au moins à 100° du thermomètre centigrade.

Cette supposition étant admise, les rayons calorifiques provenant d’un tel corps se trouvent mêlés aux rayons lumineux réfléchis et calorifiques venant du Soleil et suivent la même route.

Ces deux natures de rayons sont diversement tamisés par notre atmosphère. Les rayons lumineux et calorifiques émanant de la surface incandescente du Soleil, traversent notre atmosphère librement, tandis que les rayons calorifiques qui proviennent d’une source douée d’une température médiocre, comme de 100 degrés , y sont arrêtés en grande partie, ainsi que des expériences faites à la surface de la Terre l’ont prouvé surabondamment.

On aurait donc grand tort de juger de l’action calorifique que les rayons lunaires peuvent produire sur les nuages, par l’action qu’ils exercent sur les corps situés dans l’atmosphère épaisse où nous vivons. Les rayons, dans leur trajet à travers les plus hautes régions de l’air, ont changé d’état. Ils étaient mêlés à une portion considérable de rayons obscurs, mais calorifiques, venant de la Lune. Quand ils arrivaient aux nuages, ils ont laissé presque tous ces rayons calorifiques en route, dans leur trajet depuis la couche des nuages jusqu’au sol, où ils arrivent tout autrement constitués qu’ils ne l’étaient d’abord.

On ne doit donc pas juger des effets qu’ils peuvent produire avant d’être modifiés par ceux qu’ils engendrent après que leur modification, je dirai presque après qui leur refroidissement, s’est opéré.

En un mot, si l’on n’oublie pas que les rayons qui dissipaient les nuages sont tout autres que les rayons dont on a essayé d’évaluer les facultés calorifiques au moment de leur arrivée à la surface du globe, le fait que j’appelais d’abord un préjugé n’aura plus rien de contraire aux lois de la physique, et il demeurera constaté une fois de plus que l’opinion populaire ne devait pas être rejetée sans examen.