Astronomie populaire (Arago)/XXI/20

GIDE et J. BAUDRY (Tome 3p. 442-452).

CHAPITRE XX

carte de la lune


Les principales taches de la Lune s’aperçoivent à l’œil nu, mais le nombre de celles qu’on distingue avec des lunettes est infiniment plus considérable. Galilée, qui les observa le premier, et qui enrichit à ce sujet la science de tant de résultats précieux, n’entreprit pas de dessiner tout ce que ses lunettes lui avaient révélé. On peut dire qu’à son époque, c’eût été un travail herculéen. Peyresc et Gassendi ne crurent pas qu’une pareille entreprise fût au-dessus de leur zèle et de leur force ; déjà ils en avaient fait graver quelques feuilles par Mellan. On trouve encore ces cartes dans plusieurs bibliothèques du Midi. Mais ayant appris que Langrenus d’Anvers et Hévélius s’occupaient d’un semblable projet, ils y renoncèrent. C’est à Hévélius que l’on doit la première carte complète qui ait été dressée de la Lune. L’auteur apporta tant d’exactitude dans ce travail, qu’il s’imposa le soin pénible de le graver lui-même. On trouvera à ce sujet les détails les plus minutieux dans la Sélénographie[1], dont la science est redevable à l’astronome de Danzig. Lorsqu’il fallut donner des noms aux taches diverses que sa carte renfermait, Hévélius hésita, comme il le raconte lui-même, entre les noms des personnages célèbres et ceux des diverses contrées du monde connues alors. Il avoue ingénument qu’il renonça à prendre les noms d’homme, de crainte de se faire des ennemis de ceux qui auraient été totalement oubliés ou qui auraient trouvé qu’on leur faisait une trop petite part. Il se décida donc à transporter dans la Lune nos mers, nos villes, nos montagnes. Riccioli montra plus de hardiesse, et dans la carte qui fut le fruit des observations de son collaborateur et ami, Grimaldi, il adopta la nomenclature à laquelle Hévélius avait renoncé. On a adressé à cet astronome le reproche d’avoir fait une trop grande part à ses confrères de la Compagnie de Jésus et de s’être placé lui-même parmi les savants favorisés. Mais la postérité n’a pas tenu compte de cette insignifiante inconvenance, et la nomenclature de Riccioli a prévalu.

On trouve encore dans le commerce une grande carte de la Lune, que Cassini fit graver d’après ses propres observations, vers la fin du xviie siècle.

Des réductions de cette carte ont été publiées dans divers ouvrages, entre autres dans le Traité d’astronomie de Lalande et dans la Connaissance des Temps.

Le cuivre de la grande carte de Cassini était conservé à l’Imprimerie royale, mais il fut vendu à un chaudronnier, m’a dit mon confrère Rouvard, à une époque où le directeur de cet établissement national jugea à propos de se débarrasser d’une portion du matériel qui encombrait ses magasins.

Ce directeur, comme on peut le présumer, n’était pas un amateur d’astronomie.

Lahire, très-propre à ce genre de travail par son habileté dans l’art du dessin, avait transporté le résultat de ses observations sur un tableau de 4 mètres de diamètre. On a vu longtemps ce tableau dans un grand cadre noir sur l’escalier de la Bibliothèque Sainte-Geneviève.

La carte de Lahire n’a pas été gravée.

Tobie Mayer doit être cité ici, à raison du travail que sa mort, arrivée en 1762, empêcha d’achever, et qui certainement eût dépassé par son exactitude tout ce qui avait été fait en ce genre antérieurement.

Enfin, l’astronomie est en possession d’une carte lithographiée de 95 centimètres de diamètre, fruit des études persévérantes de MM. Maedler et Beer. J’ai chargé M. Barral de surveiller, pour cet ouvrage, l’exécution d’une réduction de cette carte (fig. 296) Elle est dessinée renversée, telle qu’on voit la Lune dans les lunettes astronomiques.

Cette carte est une projection orthographique (liv. xx, chap. xxiv) de l’hémisphère que la Lune tourne constamment vers la Terre, dans sa libration moyenne.

Les noms qui ont été donnés aux principaux lieux lunaires, sont ou bien ceux de la géographie terrestre, ou bien, comme nous venons de le dire, ceux des astronomes célèbres. Nous avons adopté les noms les plus ordinairement employés par les auteurs ; ce sont, avec les additions que les progrès de la sélénographie ont dû y apporter, les noms dont Riccioli s’est d’abord servi.

Voici, en commençant par la partie sud de notre satellite, les espaces appelés des mers, des lacs, des golfes, des marais ; les coordonnées que nous mettons à côté de leurs noms sont à peu près celles de leurs centres de figure respectifs :

Mare Australe, par 50° de latitude S., 80° de longitude O.
Mare Humorum, par 25° de latitude S., 40° de longitude E.
Mare Nectaris, par 15° de latitude S., 35° de longitude O.
Mare Nubium, par 15° de latitude S., 20° de longitude O.
Mare Fecunditatis, par 3° de latitude S., 50° de longitude O.
Sinus Medii, par 0° de latitude et 0° de longitude.
Mare Tranquillitatis, par 5° de latitude N., 25° de longitude O.
Oceanus Procellarum, par 10° de latitude N., 45° de longitude E.
Sinus Æstuum, par 12° de latitude N., 13° de longitude E.
Palus Somnii, par 14° de latitude N., 13° de longitude O.
Mare Crisium, par 17° de latitude N., 55° de longitude O.
Mare Serenitatis, par 25° de latitude N., 20° de longitude O.
Palus Putredinis, par 28° de latitude N., 0° de longitude.
Lacus Somniorum, par 38° de latitude N., 28° de longitude O.
Palus Nebularum, par 38° de latitude N., 0° de longitude.
Mare Imbrium, par 35° de latitude N., 20° de longitude E.
Lacus Mortis, par UT de latitude N., 30° de longitude O.
Sinus Iridum, par 45° de latitude N., 35° de longitude E.
Sinus Roris, par 50° de latitude N., 55° de longitude E.
Mare Frigoris, par 55° de latitude N., 0° de longitude.
Mare Humboldtianum, par 60° de latitude N., 80° de longitude O.

Les sélénographies ont distingué dans l’hémisphère de la Lune qui regarde la Terre, les chaînes de montagnes que nous allons énumérer en allant de la partie sud à la partie nord, et en indiquant leur position et leur étendue par leurs coordonnées :

Monts Dœrfel, de 84° de latitude S. jusqu’au pôle, sur la partie occidentale de l’astre.
Monts Leibnitz, de 65° de latitude S. jusqu’au pôle, sur le bord oriental de la Lune.
Monts Rook, de 20 à 30° de latitude S., sur le bord lunaire oriental.

Altaï, de 17 à 28° de latitude S., et 18 à 30° de longitude O.
Cordillères, de 10 à 20° de latitude S., sur le bord lunaire oriental.
Pyrénées, de 8 à 18° de latitude S., et 10° de longitude O.
Monts Oural, de 5 à 13° de latitude S., et 8 à 15° de longitude E.
Monts d’Alembert, de 4 à 10° de latitude S., sur le bord lunaire oriental.
Haemus, de 8 à 21° de latitude N., et 8 à 15° de longitude O.
Karpathes, de 15 à 19° de latitude N., et 18 à 30° de longitude E.
Apennins, de 14 à 27° de latitude N., et de 10° de longitude O. à 11° de longitude E.
Taurus, de 21 à 28° de latitude N., et 35° de longitude O.
Monts Riphées, de 25 à 33° de longitude N., et 53 à 60° de longitude O.
Monts Hercyniens, de 17 à 29° de latitude N., sur le bord oriental de la Lune.
Caucase, de 32 à 41° de latitude N., et 7 à 15° 1/2 de longitude E.
Alpes, de 42 à 49° de latitude N., et 1° de longitude O. à 5° de longitude E.

Les plus hautes cimes de ces chaînes ont les élévations suivantes :

Dœrfel 
 7 603
mètres.
Leibnitz 
 7 600
 
Rook 
 1 600
Altaï 
 4 047
Cordillères 
 3 398
Pyrénées 
 3 631
Oural 
 838
D’Alembert 
 5 847
Haemus 
 2 021
Karpathes 
 1 939
Apennins 
 5 501
Taurus 
 2 746
Riphées 
 4 171
Hercyniens 
 1 170
Caucase 
 5 567
Alpes 
 3 617

Les montagnes annulaires présentent en général des hauteurs variables, selon les points que l’on mesure. Nous allons réunir dans un tableau quelques-unes des hauteurs principales, en les rapprochant de leurs coordonnées lunaires nécessaires pour les retrouver sur la carte. Nous suivrons dans cette nouvelle énumération le même ordre que précédemment, du midi au nord et de l’ouest à l’est :

Noms des montagnes. Latitudes lunaires, Longitudes lunaires. Hauteurs en mètres
Newton 
77° S 16° E 7 264
Casatus 
74    35  E 6 956
Boussingault 
68    55  O
Curtius 
67    O 6 769
Scheiner 
60    26  O 5 488
Zach 
59    O 1 949
Clavius 
58    15  E 7 091
Biela 
54    50  O 2 758
Bayer 
52    34  E 2 460
Phocylides 
52    55  E 2 680
Bacon 
51    19  E 4 192
Cuvier 
50    0 5 017
Wargentin 
49    60  E 452
Clairaut 
47    14  O
Schikard 
44    55  E 3 222
Tycho 
43    12  E 5 216
Fabricius 
42    41  O 2 542
Stoefler 
42    O 3 732
Maurolycus 
41    14  O 4 356
Métius 
40    42  O 4 019
Piazzi 
35    65  E 1 559
Capuanus (Sinope) 
34    26  E 2 618
Lagrange 
33    71  E 1 949
Reichenbach 
30    46  O 3 673
Poisson 
30    O 2 237
Fourier 
30    52  E 3 078
Piccolomini 
29    31  O 4 734
Viete 
29    56  E 4 457
Purbach 
26    O 2 304
Petavius (P. Petau) 
25    59  O 3 306
Polybius 
22    25  O 195
Thebit 
22    E 3 118
Noms des montagnes. Latitudes lunaires, Longitudes lunaires. Hauteurs en mètres
Mersenius (Mt. Sacer) 
21° S 47° E 2 959
Élie de Beaumont 
18    28  O 1 877
Arzachel 
18    E 4 142
Sainte-Catherine 
17    23  O 5 707
Gassendi 
17    40  E 2 914
Tacite 
16    18  O 3 508
Aboul-Wéfâ 
14    14  O 3 056
Descartes 
12    15  O 1 169
Theophilus 
11    26  O 5 559
Ptolémée 
  E 2 643
Langrenus 
  60  O 2 929
Hipparque 
  O 3 056
Maestlin 
  E 2 294
Herschel 
  E 2 873
Flamsteed 
  44  E 1 910
Lalande 
  E 1 754
Delambre 
  17  O 4 563
Riccioli 
  75  E
Hévélius 
N 67  E 1 754
Maskelyne 
  30  O 1 362
Reinhold 
  23  E 2 146
Agrippa 
  11  O 2 087
Apollonius 
  60  O 1 657
Taruntius 
  46  O 1 062
Arago 
  21  O 1 631
Bode 
  E
Reiner 
  55  E 228
Hyginus 
  O
Kepler 
  38  E 3 054
César 
  15  O 1 651
Copernic 
  20  E 3 438
Stadius 
10    13  E 214
Galilée 
10    62  E 58
Auzout 
11    63  O 1 781
Marius 
12    51  E 1 388
Timocharis 
13    27  E 2 169
Picard 
14    54  O 5 175
Gay-Lussac 
14    21  O 1 930
Manilius 
14    O 2 347
Eratosthène 
14    11  E 4 818
Noms des montagnes. Latitudes lunaires, Longitudes lunaires. Hauteurs en mètres
Pline 
15° N 24° O 1 918
Mayer 
16    29  E 2 964
Marco_Polo 
16    E 1 688
Huygens 
20    E 5 500
Macrobius 
21    45  O 4 436
Conon 
21    O 1 052
Pytheas 
21    21  E 1 559
Seleucus 
21    66  E 3 118
Euler 
23    29  E 1 815
Aristarque 
23    47  E 1 337
Hérodote 
23    49  E 780
Roemer 
25    36  O 3 528
Lambert 
26    21  E 1 813
Briggs 
26    68  E 2 924
Cléomède 
27    55  O 4 175
Diophante 
27    34  E 778
Linné 
28    12  O
Archimède 
30    E 2 247
Delisle 
30    35  E 1 815
Wollaston 
80    47  E 813
Posidonius 
31    29  O 1 737
Lichtenberg 
31    66  E
Theaetetus 
36    O 2 276
Gauss 
37    75  O
Berzélius 
37    50  O 390
Lavoisier 
38    81  E
Calippus 
39    10  O 1 349
Cassini 
40    O 1 331
Hélicon 
40    23  E 505
Struve 
43    63  O
Harding 
43    70  E 390
Eudoxe. 
44    11  O 4 541
Sharp 
45    40  E 2 933
Atlas 
46    43  O 3 333
Hercule 
46    38  O 3 319
Laplace 
46    26  E 3 228
Bianchini 
49    34  E 2 579
Aristote 
50    12  O 3 259
Platon 
51    E 2 261
La Condamine 
53    28  E 1 298

Bouguer 
53° N 36° E
Harpalus 
53    44  E 4 832
Fontenelle 
61    17  E 2 070
Thaïes 
62    49  O 1 978
Pythagore 
63    60  E 5 163
Anaxagore 
74    12  E 2 660
Scoresby 
76    12  O 3 372

Malgré les grandes hauteurs d’un grand nombre des montagnes lunaires, on voit qu’elles restent notablement inférieures à certaines hauteurs des montagnes terrestres. La plus haute cime connue sur la Terre, celle du Kintschindjinga, comme nous l’avons vu (liv. xx, chap. xv), a 8 592 mètres, tandis que les plus hautes cimes des monts Dœrfel et Leibnitz sur la Lune ne dépassent pas 7 603 mètres. Et cependant les nombres donnés pour les deux globes ne sont pas, à vrai dire, comparables, puisque pour la Terre ils représentent les élévations au-dessus du niveau moyen des eaux de l’Océan, et que pour la Lune ils indiquent les différences d’élévation entre les sommets et les dépressions les plus voisines. Quoi qu’il en soit, à cause de la petitesse relative de la Lune, les hauteurs de ses montagnes sont très-considérables ; la hauteur du plus haut sommet de la Lune est à son diamètre comme 1 est à 454, tandis que la plus haute cime de la Terre est à son diamètre comme 1 est à 1 481.

Un des caractères particuliers des montagnes lunaires, c’est de présenter des circonvallations immenses dont le centre est quelquefois occupé par des dômes, des pitons. Voici les dimensions très-considérables des principales circonvallations de la Lune :

Noms des montagnes. Diamètres des circonvallations
Clavius 
227 129 mètres.
Ptolémée 
184 459  
Gauss 
177 792
Riccioli 
170 384
Boussingault 
148 160
Hipparque 
140 752
Cléomède 
125 936
Hévélius 
113 861
Scheiner 
112 000
Posidonius 
99 193
Platon 
96 600
Flamsteed 
96 304
Piccolomini 
93 304
Fabricius 
89 192
Atlas 
88 303
Copernic 
88 000
Phocylides 
87 192
Wargentin 
87 192
Tycho 
87 044
Aristote 
81 488
Archimède 
80 229

Quelques-unes des circonvallations de la Lune ne sont pas circulaires ; je citerai notamment Descartes, qui est très-allongé et présente 59 261 mètres de longueur et seulement 3 704 mètres de largeur.

Les montagnes annulaires de la Lune n’ont pas d’aussi grandes dimensions que les circonvallations ; Conon, dans les Apennins, l’une des plus considérables sous ce rapport, n’a que 14 800 mètres de diamètre.

Je terminerai cette énumération par une citation empruntée au Cosmos d’Alexandre de Humboldt : « En comparant, dit mon illustre ami, sous le rapport de leurs dimensions, les phénomènes de la Lune et les phénomènes bien connus de la Terre, il est nécessaire de remarquer que la plupart des circonvallations et des montagnes annulaires de la Lune doivent être considérées comme des cratères de soulèvement à éruptions intermittentes, dans le sens où l’entend Léopold de Buch, mais infiniment plus vastes que les nôtres. Les cratères de soulèvement de Rocca Monfina, de Pahna, de Ténériffe et de Santorin, que nous nommons grands, relativement aux dimensions qui nous sont familières en Europe, disparaissent en présence de Ptolémée, d’Hipparque et de beaucoup d’autres cratères de la Lune. Palma n’a pas plus de 7 400 mètres de diamètre, Santorin, d’après la nouvelle mesure du capitaine Graves, en a 10 200, Ténériffe 14 800 tout au plus : ce n’est pas un dixième des diamètres de Ptolémée ou d’Hipparque. À la distance de la Lune, les petits cratères du pic de Ténériffe et du Vésuve, qui ont 150 à 200 mètres de diamètre, seraient à peine visibles au télescope. La grande majorité des cirques de la Lune n’ont point de montagne centrale, et là où il s’en trouve, ces montagnes se présentent, Hévélius et Macrobius entre autres, sous la forme d’un dôme ou d’un plateau, non point comme un cône d’éruption, muni d’une ouverture. »

Fig. 296. — Carte de la Lune.

  1. Sélénographie vient du mot grec σελὴνη, qui veut dire Lune.