Astronomie populaire (Arago)/XX/24

GIDE et J. BAUDRY (Tome 3p. 342-348).

CHAPITRE XXIV

des cartes géographiques


D’après ce que nous avons dit dans le chapitre xxiii sur la faiblesse de la différence qui existe entre une sphère parfaite et la forme réelle de la Terre, on peut représenter notre planète par un globe à la surface duquel, en traçant des méridiens et des parallèles, il sera extrêmement facile de placer tous les lieux dans leurs positions relatives. Mais comme aucune partie d’une surface sphérique n’est rigoureusement développable sur un plan, la construction des cartes géographiques qui sont destinées à représenter sur une surface plane des parties plus ou moins étendues de la surface de la Terre, offre des difficultés qui ont préoccupé de tout temps les astronomes.

L’invention et l’usage des cartes géographiques paraissent dus aux Égyptiens ; ils remonteraient au temps de Sésostris, vers 1570 avant Jésus-Christ. C’est Anaximandre qui, chez les Grecs, 600 ans avant notre ère, a dressé la première carte.

Les cartes sont obtenues à l’aide de divers systèmes de projections, qui ont pour but de placer sur un plan les différents points de la surface de la Terre, de manière à conserver autant que possible la configuration des lieux.

Les plus anciennes cartes, dites cartes plates, étaient projetées grossièrement ; les méridiens étaient des lignes droites, parallèles et égales entre elles, et les degrés de longitude étaient égaux entre eux dans toute l’étendue de la carte. Aujourd’hui on demande une grande exactitude dans la représentation soit de l’ensemble de la Terre, soit de divers pays. Les cartes géographiques qui sont destinées à donner en entier les deux hémisphères, portent le nom de mappemondes ; elles sont obtenues par les projections dites orthographiques, stéréo graphiques, homalographiques. Les cartes particulières sont le plus souvent construites à l’aide de développements.

Dans le système de la projection orthographique, sans doute dû au génie d’Apollonius, qui vivait 200 ans avant notre ère, on suppose qu’on abaisse de chaque lieu de la Terre une perpendiculaire sur un plan. Le pied de la perpendiculaire donne la place du lieu sur la carte. On choisit ordinairement pour plan de projection soit celui de l’équateur, soit celui d’un méridien quelconque. Dans le premier cas, le pôle est projeté au centre de la carte ; les méridiens sont des lignes droites qui divergent de ce centre, et les parallèles sont des cercles concentriques entre eux et avec l’équateur. Dans le second cas, les méridiens sont des ellipses ayant pour axe commun la ligne des pôles terrestres, et les parallèles sont des lignes droites perpendiculaires à cette ligne. Un tel système représente en vraie grandeur les régions centrales, mais plus on se rapproche des bords de la carte, et plus les contours sont déformés ; les étendues de terrains les plus grandes arrivent à ne plus occuper que des espaces marqués par de simples traits. C’est sous cet aspect que nous apparaissent les astres, la Lune et le Soleil par exemple. La Terre, vue de la Lune, se présenterait au spectateur dans la forme de la projection orthographique.

La projection stéréographique, due à Hipparque, qui vivait 120 ans avant l’ère chrétienne, donne une véritable perspective de l’hémisphère qu’il s’agit de représenter. Le plan du tableau est la base même de cet hémisphère, et l’œil est supposé placé à l’extrémité du diamètre perpendiculaire à ce plan. Si de l’œil on mène des rayons visuels aux divers points de la Terre, les intersections de ces rayons avec le plan du tableau donnent les positions des points cherchés. Dans ce système, les cercles tracés à la surface du globe, qu’ils soient des méridiens ou des parallèles ou d’autres cercles quelconques, ont aussi des cercles pour projection, à l’exception de ceux qui passent par l’axe optique ; ces derniers sont représentés par des droites. Cette propriété permet de tracer avec une grande facilité le canevas de la carte ; mais en outre les angles ne sont pas altérés, et il en résulte que toute portion de la surface terrestre assez petite pour être considérée comme plane ou à peu près plane, est représentée avec une figure semblable sur la carte. Malheureusement, les diverses figures tracées sur le globe ne sont pas réduites dans un même rapport ; sur les bords de la carte il n’y a pour ainsi dire pas de réduction, tandis que vers le centre toutes les lignes sont réduites à la moitié, et toutes les surfaces au quart.

Notre savant et ingénieux confrère de l’Académie des sciences, M. Babinet, a imaginé un nouveau système de projection qu’il appelle homalographique, et qui a l’avantage de reproduire fidèlement l’étendue de toutes les parties du globe sans altérer leurs dimensions relatives. Des portions égales de la carte représentent des portions égales du globe, et on a sous les yeux un tableau véritable qui rectifie les idées fausses que donnent sur l’étendue comparative des divers pays, les mappemondes ordinaires aux personnes qui n’ont pas suffisamment réfléchi sur ces questions. Dans ce système, les parallèles sont des lignes droites parallèles à l’équateur ; les méridiens sont représentés par des ellipses ayant pour axe commun l’axe polaire.

Pour les cartes que j’ai chargé M. Barral de dresser (fig. 244 et 245), il fallait surtout donner une idée de la Terre jugée astronomiquement, montrer, les rapports des mers et des terres, les importantes chaînes de montagnes et les volcans. Les parallèles sont représentés par des lignes droites parallèles à l’équateur et dont les longueurs sont données par la table (chap. xxiii). Sur ces parallèles, il est facile de marquer les traces des divers méridiens en portant, à partir de la ligne droite médiane prise pour origine, des longueurs proportionnelles aux angles des méridiens entre eux. Le canevas de la carte étant obtenu, on y place sans peine tous les lieux de la Terre en se servant de leurs coordonnées respectives. On a pris pour plan du tableau le méridien qui divise la Terre en ancien et en nouveau monde. Les méridiens qui passent par les milieux des cartes sont celui qui a 70° pour longitude orientale et celui dont la longitude occidentale est 110°.

Lorsqu’on veut représenter des étendues de terrain peu considérables, on a recours à d’autres systèmes de constructions dans lesquels on cherche à satisfaire à diverses conditions imposées par l’usage qu’on doit faire des cartes. Pour l’administration civile, il faut qu’on puisse estimer exactement et facilement les surfaces ; pour l’art militaire, les distances doivent pouvoir être mesurées avec précision ; pour la marine, les cartes doivent permettre de tracer rapidement les directions.

Le premier développement employé est le développement conique, dont la théorie a été donnée par Ptolémée. On suppose sur le pays dont on veut avoir la carte, des cônes tangents à la Terre et on développe ces cônes de part et d’autre du méridien moyen. Dans ce système, le terrain n’est pas déformé sur de petites étendues, et les parallèles coupent les méridiens à angles droits comme sur le globe lui-même ; les figures des terrains sont également conservées, mais l’échelle de réduction change d’un point à un autre de la carte.

Dans le développement dû à Flamsteed, le méridien principal est une ligne droite ; on développe l’équateur et les parallèles suivant d’autres droites perpendiculaires à la première et équidistantes, comme cela a lieu réellement sur le globe. On cherche par le calcul les longueurs réelles des parallèles compris sur la Terre supposée sphérique entre les divers méridiens, et on porte ces longueurs à partir du méridien principal. En joignant par des courbes les divers points d’intersection de chaque méridien avec les divers parallèles, on a les projections des méridiens dans le développement de Flamsteed.

Dans ce système les surfaces conservent exactement leurs étendues proportionnelles, mais leurs formes sont altérées. Aussi, pour la grande carte de France exécutée avec tant de soin par les officiers du corps d’état major, a-t-on modifié la projection de Flamsteed, en développant les parallèles non plus suivant des droites, mais suivant des arcs de cercle ; le premier parallèle a pour rayon la longueur de la tangente menée au méridien qui passe par le parallèle coupant en deux parties à peu près égales le pays à représenter. Le point de rencontre de la tangente avec l’axe du globe est le centre commun de tous les arcs de cercle destinés à représenter les projections des autres parallèles. On achève le canevas comme dans la méthode première de Flamsteed. Les angles des méridiens avec les parallèles sont partout peu différents d’un angle droit, et les surfaces sont très-peu déformées en même temps qu’elles conservent leurs dimensions relatives.

Pour se diriger en mer, les marins ne suivent pas exactement le chemin le plus court d’un point à un autre ; ce chemin serait un arc de grand cercle, qui a l’inconvénient de faire des angles différents avec chaque méridien successif. Suivre un arc de grand cercle serait obliger le navigateur à changer à chaque instant la direction donnée au navire. Il est plus commode de se diriger suivant une courbe coupant tous les méridiens suivant un même angle ; une pareille courbe porte le nom de loxodromie. Mercator a imaginé un système de développement dans lequel les loxodromies sont représentées par des lignes droites. L’extrême facilité du tracé de ces lignes a déterminé tous les marins à se servir des cartes de Mercator. Les méridiens sont représentés par un système de droites parallèles entre elles, et les parallèles par un autre système de droites perpendiculaires aux premières. Les espacements entre les parallèles et les méridiens voisins sont calculés de façon que les surfaces ne soient pas déformées ; les dimensions relatives sont altérées, mais cet inconvénient s’efface devant l’avantage que nous avons signalé.

Les cartes dont nous venons d’essayer de faire comprendre la construction, supposent toutes que les divers lieux sont situés à la surface même de l’Océan ; elles ne font pas connaître les différences de niveau de tous les points représentés. Pour donner une idée du relief réel du globe, on a proposé de couvrir les cartes de hachures plus ou moins grosses, plus ou moins rapprochées, donnant une teinte destinée à montrer les saillies des terrains. Pour moi, je trouve que l’on ne peut avoir une idée des pentes qu’offre un pays que par le tracé sur les cartes des lignes horizontales de niveau, et que les hachures augmentent inutilement dans une forte proportion le prix des cartes, ce qui est à mes yeux un immense inconvénient.