Astronomie populaire (Arago)/XXI/19

GIDE et J. BAUDRY (Tome 3p. 434-442).

CHAPITRE XIX

y a-t-il une atmosphère autour de la lune


Aucune question n’a été plus vivement et plus diversement controversée que celle de l’existence d’une atmosphère autour de la Lune. Sa solution devait, sans équivoque, faire savoir si notre satellite peut être habité par des êtres animés doués d’une organisation semblable à celle des hommes ou des animaux qui peuplent notre Terre.

S’il existe une atmosphère autour de la Lune, on peut être assuré qu’il ne s’y forme jamais de nuages ; en effet, lorsque l’état de l’atmosphère terrestre nous permet d’apercevoir notre satellite, on le voit tout entier, jusque dans ses plus petits détails ; aucune partie de sa surface ne nous est cachée par un nuage lunaire.

Des esprits systématiques ont prétendu que pendant les quinze jours consécutifs, sans intermittence, que dure l’action du Soleil sur l’hémisphère de la Lune visible de la Terre, l’atmosphère de cet hémisphère passe en totalité dans l’hémisphère opposé, et donne naissance à des phénomènes analogues à ceux dont la Terre est le siége.

On peut répondre qu’un phénomène semblable devrait se reproduire dans les quinze jours pendant lesquels l’hémisphère invisible est seul éclairé, que l’atmosphère de ce second hémisphère devrait passer à son tour dans l’hémisphère tourné vers la Terre. Or, la facilité que l’on trouve à observer tous les détails de la Lune à l’aide de la lumière cendrée, dont nous parlerons plus loin, rend cette hypothèse inadmissible.

Les occultations d’étoiles sont peut-être un des meilleurs moyens de soumettre la question à une épreuve définitive.

Supposons, pour fixer les idées, qu’une étoile s’immergeant vers un point du contour de la Lune, le point de l’émersion soit situé à l’autre extrémité du diamètre passant par le point d’immersion. Si les rayons lumineux se meuvent en ligne droite en rasant le bord de la Lune, la durée de la disparition de l’étoile devra être égale au temps que la Lune emploie à se déplacer dans le ciel d’une quantité égale à son diamètre, temps qu’il est facile de déterminer avec une grande précision, sans rien supposer relativement à la question qu’on se propose d’éclaircir ; jusque-là il n’y a donc pas de cercle vicieux. Supposons maintenant que les rayons partis de l’étoile et arrivant à l’œil de l’observateur aient rencontré une atmosphère dont la Lune serait entourée et douée d’une densité graduellement décroissante avec la hauteur, ainsi que cela s’observe dans l’atmosphère terrestre. En traversant l’atmosphère lunaire, les rayons stellaires décriraient une courbe dont la concavité serait tournée vers la surface de l’astre. L’inflexion ferait donc paraître l’étoile, après son coucher, derrière l’horizon de la Lune, tangente à son bord, comme nous voyons le Soleil, par une cause semblable, après qu’il s’est réellement couché. Au moment de l’émersion l’étoile paraîtrait, avant d’être véritablement parvenue au plan tangent au bord de à Lune, dans le point où elle s’est montrée.

Les réfractions éprouvées à l’entrée et à la sortie de l’étoile devraient l’une et l’autre raccourcir la durée de la disparition ; en bien, cette durée a été souvent comparée à celle de la disparition calculée dans la supposition où la lumière n’aurait éprouvé aucune réfraction, et les deux résultats, celui du calcul et celui fourni par l’observation, se sont toujours parfaitement accordés ; la méthode aurait fait ressortir une réfraction de 2″, c’est-à-dire une réfraction égale à celle que pourrait engendrer la petite quantité d’air qui reste dans le récipient de nos meilleures machines pneumatiques.

Cette méthode n’a qu’un inconvénient, celui de supposer que le diamètre angulaire de la Lune est connu avec une très-grande précision.

Rapportons maintenant une observation du même genre faite par Euler.

En 1748, Euler observa à Berlin les diverses phases d’une éclipse annulaire de Soleil, non pas directement, mais à l’aide des images des deux astres projetées sur un carton. Le grand géomètre crut avoir remarqué qu’au moment où le bord obscur de la Lune s’approchait du bord du Soleil, celui-ci était en quelque manière repoussé ; il en tira la conséquence que les rayons solaires avaient éprouvé dans l’atmosphère de la Lune une réfraction de 20 à 25 secondes.

Mais une observation pareille faite, pour ainsi dire, à l’œil nu, est évidemment de peu de valeur à côté des observations faites en visant directement à la Lune, et dans lesquelles on n’a rien aperçu de semblable à ce que rapporte Euler. La remarque de cet illustre géomètre ne prouve donc pas l’existence d’une forte atmosphère autour de la Lune. Tout ce qu’on doit en déduire légitimement, c’est qu’on peut être le plus illustre analyste de son siècle et un observateur médiocre.

L’existence d’une atmosphère autour de la Lune pourrait être constatée aujourd’hui par une méthode expérimentale très-simple et à l’abri de toute objection, en se servant de lunettes à doubles images, soit héliométriques, soit à prisme de Rochon. Supposons que deux étoiles doivent être occultées, et qu’un temps suffisant avant l’arrivée de ce phénomène on détermine la distance angulaire qui les sépare, en mettant leurs images tangentiellement l’une à l’autre ; à peine la lumière de la plus occidentale de ces étoiles traverserait-elle l’atmosphère lunaire, que la distance angulaire de cette étoile à la plus orientale éprouverait une diminution égale à la quantité de la réfraction imprimée aux rayons de la première étoile. La distance des deux astres irait continuellement en diminuant, à mesure que le premier, en s’approchant davantage du bord de la Lune, pénétrerait plus avant dans son atmosphère. Chacun comprend que par ce moyen l’existence d’une réfraction de l’atmosphère lunaire, égale à une seule seconde, deviendrait nettement visible. Cette observation ne saurait être assez recommandée aux astronomes munis des instruments nécessaires.

Afin qu’on ne m’accuse pas d’avoir un parti pris sur une question qui me paraît mériter d’être soumise à des investigations nouvelles, je vais rapporter une observation de Schrœter d’où semblerait résulter qu’une atmosphère extrêmement faible, mais sensible, existe autour de la Lune.

Suivant l’astronome de Lilienthal, les sommités des montagnes de la Lune, qui durant le progrès des phases se présentent, à cause de leur grande hauteur, comme des points détachés, sont d’autant moins vifs qu’ils se trouvent à une plus grande distance de la ligne de séparation d’ombre et de lumière, ou, ce qui revient au même, suivant que les rayons éclairants ont rasé le corps de la Lune dans une plus grande étendue.

Pendant qu’il observait au milieu de la lumière crépusculaire terrestre, le croissant très-délié de la Lune, deux jours et demi après sa conjonction, il s’avisa une fois de rechercher si le contour obscur de cet astre, celui qui ne pouvait recevoir que la lueur cendrée, se montrerait tout à la fois ou seulement par parties devant l’affaiblissement de notre crépuscule ; or, il arriva que le limbe obscur se montra d’abord dans le prolongement de chacune des deux cornes du croissant, sur une longueur de 1 minute 20 secondes, avec une largeur d’environ 2 secondes, avec une teinte grisâtre très-faible qui perdait graduellement de son intensité et de sa largeur en s’avançant vers l’est. Au même moment, les autres parties du limbe obscur étaient totalement invisibles, et cependant, comme plus éloignées de la portion éblouissante du disque directement éclairée par le Soleil, il semble qu’on aurait dû les voir les premières. Ce ne fut que huit minutes après l’apparition des arcs placés sur le prolongement des cornes, que le reste du limbe cendré put être observé. On ne saurait cependant supposer que les portions des bords attenantes aux cornes, recevraient de la Terre plus de lumière que les autres parties de la Lune ; c’est donc ailleurs qu’il faut chercher la cause du maximum d’intensité que l’observation a indiquée ; or, une lueur rejetée de l’atmosphère de la Lune sur la portion de cet astre que les rayons solaires n’atteignaient pas encore directement, une véritable lueur crépusculaire, semble seule pouvoir expliquer ce phénomène. L’observation a été faite avec un-télescope de 2m,30 de long, armé d’un grossissement de 74 fois.

Schrœter trouve, par le calcul, que l’arc crépusculaire de la Lune, mesuré dans la direction des rayons solaires tangents, est de 2° 34′, et que les couches atmosphériques qui éclairent l’extrémité de cet arc sont à 452 mètres de hauteur perpendiculaire.

Il résulte de là que l’interposition de quelques montagnes peut souvent empêcher le crépuscule lunaire de s’étendre aussi loin qu’il l’aurait fait sans cela.

Voyons s’il ne serait pas possible d’instituer des observations photométriques à l’aide desquelles on acquerrait quelques nouvelles lumières sur les propriétés de l’atmosphère lunaire. En supposant que cette atmosphère existe, elle doit projeter sur les ombres portées des corps opaques, une lumière diffuse moins intense au sommet des montagnes que dans les plaines ; observons l’ombre portée par un pic sur le plateau élevé qu’il domine, observons ensuite l’ombre portée par un semblable pic situé au niveau général de la Lune. L’ombre de ce dernier pic devra être plus éclaircie que celle du premier, puisqu’il y a un plus grand nombre de couches atmosphériques qui l’éclairent. Je ne crois pas que jamais personne ait songé à étudier la question à ce point de vue. Quant au degré de sensibilité de cette méthode, on peut la déterminer à l’aide d’une lunette prismatique.

Je ne dois pas oublier de faire remarquer que des partisans quand même de l’atmosphère lunaire ont soutenu que cette atmosphère était confinée dans les cavités et ne s’élevait pas jusqu’au niveau supérieur de la Lune ; dans cette hypothèse, l’égalité des durées calculées et observées des occultations d’étoiles ne prouverait rien contre l’existence d’une atmosphère en quelque sorte souterraine.

Pourrait-on maintenant justifier la supposition dont nous venons de parler, par les expériences desquelles il est résulté qu’il existe au-dessus d’une nappe de mercure une atmosphère limitée, ou bien en disant que l’atmosphère lunaire, jadis générale, s’est précipitée tout entière dans des cavités innombrables dont notre satellite s’est trouvé parsemé à la suite des phénomènes volcaniques qui ont bouleversé sa surface dans tous les points ?

On pourrait résoudre cette question en examinant par tous les moyens que la polarisation peut fournir, si l’ombre des pitons situés aux milieux des cratères de la Lune est complétement noire ou du moins si cette ombre n’est éclairée que par la lumière cendrée. Ce serait un moyen de reconnaître si les cratères possèdent une atmosphère s’élevant peu au-dessus de leurs bords. On devrait employer dans cette observation une lunette dans laquelle l’image de la Lune serait fournie par de la lumière entièrement polarisée à l’aide d’un prisme de Nicol. La seconde image, qu’on rendrait aussi faible que l’on voudrait, se projetterait sur les ombres de la première image et donnerait ainsi les moyens d’arriver à la solution du problème posé.

Dans le nombre infini de questions auxquelles l’absence d’une atmosphère sensible autour de la Lune a donné lieu, on s’est demandé, par exemple, si notre satellite a toujours été dans cet état ; si l’atmosphère primitive n’a pas disparu à la longue, à la suite de phénomènes chimiques agissant peu à peu. Envisagés de ce point de vue, les calculs de Bénédict Prevost sur les proportions d’oxygène qui peuvent disparaître de notre atmosphère par des phénomènes naturels, doivent intéresser les astronomes. Le physicien de Montauban a trouvé que dans les suppositions les plus exagérées sur l’oxygène consommé par les hommes ou les animaux, la combustion ou la fermentation de la terre végétale, la perte totale d’oxygène en cent ans ne serait que la 7 200me partie du poids total de ce gaz que notre atmosphère renferme. (Annales de chimie et de physique, 1816, tome iii, page 99.)