Astronomie populaire (Arago)/XVII/28

GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 417-437).

CHAPITRE XXVIII

les comètes sont-elles lumineuses par elles-mêmes ou réfléchissent-elles seulement la lumière du soleil ?


Pour résoudre la question de savoir si les comètes sont lumineuses par elles-mêmes ou si elles réfléchissent seulement la lumière du Soleil, il paraît naturel de recourir à l’observation qui réussit si bien quand on l’applique à la lumière de Mercure, de Vénus et de Mars. Les comètes, lorsqu’elles occupent une position convenable relativement au Soleil et à la Terre, ont-elles des phases ? Telle est, au fond, la question à laquelle se ramène le problème que nous venons de poser.

On a soutenu, sur la foi de quelques observations de Cassini, que la comète de 1744 (n° 70 du catalogue) offrait des phases. À cela l’on doit répondre que les paroles de ce savant astronome prouvent bien que le noyau de l’astre était fort irrégulier, mais nullement qu’il présentât une phase proprement dite. En tout cas, Heinsius et Chéseaux disent positivement qu’aucune phase n’existait aux époques mêmes où l’on prétend que Cassini la signalait. On a cité des observations du géomètre anglais Dunn ; elles sont contredites par des observations contemporaines de Messier.

J’arrive aux observations faites à Palerme par M. Cacciatore sur la comète de 1819 (n° 133 du catalogue). M. Cacciatore annonce avoir aperçu des traces non équivoques de phases dans le noyau de cette comète. Voici la traduction littérale des observations de cet astronome :

« 5 juillet. La comète se voit avec exactitude et présente une phase semblable à celle de la Lune dans son croissant. J’estime que le noyau, qui est bien distinct, sous-tend un angle d’environ 8".
« 7 juillet. Le croissant du disque de la comète est très-distinct ; son diamètre me paraît être de 7" ou 8".
« 15 juillet au soir. Beau ciel ; comète bien distincte ; le croissant est vers le sud.
« 23 juillet au soir. On n’aperçoit plus de croissant sur le disque de la comète.
« Depuis le 3 jusqu’au 23 juillet, la comète conserve une grande vivacité de lumière ; et son noyau, qui se distinguait très aisément de la nébulosité dont il était entouré, ressemblait à la Lune dans son croissant. Dans les premiers jours, le croissant paraissait placé, à très-peu près, dans la direction de la queue ; mais, le 15 juillet, il s’était déjà tourné vers la région opposée à cette même queue.
« 5 août. J’observai, au travers de la nébulosité, très-près du noyau, une étoile qui était tout au plus de dixième grandeur. »

Si les expressions précédentes laissaient quelque ambiguïté, nous ajouterions que, ainsi que le montrent les figures 216 et 217 que m’a lui-même adressées l’astronome de Palerme, la ligne qui joignait les deux cornes du croissant coïncidait avec la direction de la queue le 5 juillet, mais qu’elle lui était perpendiculaire le 15 du même mois.

Fig. 216. — Prétendue phase de la comète de 1819, le 5 juillet,
d’après M. Cacciatore.

Fig. 217. — Prétendue phase de la comète de 1819, le 15 juillet,
d’après M. Cacciatore.

Faut-il maintenant conclure de ces observations que les comètes ne sont pas lumineuses par elles-mêmes, et que leurs noyaux, leurs chevelures et leurs queues ne brillent jamais que de la lumière du Soleil réfléchie ? Cette conséquence découlerait rigoureusement de ce qui précède, si les irrégularités dans la forme du noyau que M. Cacciatore a remarquées, étaient de véritables phases ; mais le contraire semble facile à prouver. On a vu, en effet, que les queues des comètes sont, en général, diamétralement opposées au Soleil. Les parties les plus éloignées de ces traînées lumineuses offrent quelquefois des déviations plus ou moins prononcées ; dans aucun cas, on n’en observe de sensibles près du noyau. Il résulte de là que, si jamais une comète se présente avec des phases, la ligne de séparation d’ombre et de lumière devra être perpendiculaire à la direction de la queue, puisque cette direction est précisément celle des rayons solaires qui viennent éclairer le noyau. Le 15 juillet 1819, le croissant dessiné par M. Cacciatore (fig. 217) était placé de manière à faire croire à l’existence d’une phase ; mais dix jours auparavant, le 5 juillet (fig. 216), la ligne des deux cornes coïncidait, au contraire, comme nous l’avons déjà dit, avec la direction de la queue, et dans ce cas il est de toute évidence que l’irrégularité observée dans le disque tenait à la forme particulière de la comète, et ne dépendait en aucune manière de la position de cet astre à l’égard du Soleil : ne pourra-t-on pas maintenant admettre que cette explication doit également s’appliquer à la prétendue phase du 15 juillet ? Les observations de M. Cacciatore prouvent donc seulement que les noyaux des comètes sont quelquefois très-irréguliers, et qu’en peu de jours ils changent sensiblement de forme ; mais elles n’éclaircissent pas les doutes des astronomes sur la nature de la lumière des comètes.

Je reconnais, au reste, que l’absence de phase dans un noyau peut-être diaphane, entouré comme l’est celui des comètes d’une épaisse atmosphère qui, par voie de réflexion peut porter la lumière sur" tous les points, ne saurait conduire à aucune conclusion certaine.

Voyons si nous tirerons un meilleur parti de la découverte faite en 1811 par Malus. Cet illustre physicien reconnut, comme nous l’avons déjà vu, que les rayons lumineux réfléchis spéculairement, c’est-à-dire en formant des images régulières des objets, acquièrent de nouvelles propriétés par lesquelles ils se distinguent de la lumière directe, celles, par exemple, de ne plus donner deux images de même intensité en traversant un cristal doué de la double réfraction (liv. xiv, chap. vi) ; c’est ce qu’il appela la polarisation de la lumière. Pour appliquer cette découverte à l’analyse de la lumière d’une comète, il fallait avoir prouvé préalablement que la lumière réfléchie sur les facettes infiniment petites dont se composent les molécules des substances gazeuses, jouit de la même propriété. C’est ce que je fis en 1811, en établissant que la lumière émanant du Soleil, et réfléchie par l’atmosphère terrestre est très-fortement polarisée (liv. xiv, chap. vi).

Cela posé, tout le monde comprendra le système d’observations auquel j’eus recours lorsque la comète de 1819 se montra tout à coup dans la région du nord. Je dirigeai sur cette comète une petite lunette dans laquelle était un prisme doué de la double réfraction ; les deux images de la queue de l’astre, présentèrent une légère différence d’intensité qui fut vérifiée par les observations concordantes de MM. de Humboldt, Bouvard et Mathieu. Pour m’assurer que cette légère différence, correspondante à une très-faible polarisation, n’était pas un phénomène atmosphérique, je pointai la même lunette sur la Chèvre, située dans le voisinage de la comète, et je vis distinctement que ses deux images avaient exactement la même intensité.

Je viens de dire que la différence de ces deux images de la queue de la comète de 1819 était très-légère ; il était donc désirable que la conséquence astronomique qui s’en déduisait ne fût pas uniquement fondée sur une fugitive inégalité d’éclat. Les erreurs que, en ce genre, on trouve dans les travaux des plus célèbres physiciens, sont connues de tout le monde. Je modifiai mon premier instrument de manière que si une nouvelle comète se montrait dans une position convenable, l’inégalité primordiale des images dût se transformer en une dissemblance de couleur. J’employai la lunette que j’ai appelée lunette polariscope (fig. 161, p. 101). Avec cet instrument, au lieu d’une image forte et d’une image faible, on devait avoir, pour certaines positions, une image rouge et une image verte ; pour d’autres une image jaune et une image violette, etc.

Nous insisterons sur cette remarque dont chacun sentira la justesse, qu’une différence de couleur est un phénomène non équivoque, qui ne laisse, qui ne peut laisser aucun doute dans l’esprit, tandis qu’il s’en faut de beaucoup qu’on doive dire la même chose d’une très-légère différence d’intensité.

Le 23 octobre 1835, ayant appliqué mon nouvel appareil à l’observation de la comète de Halley, je vis sur le champ deux images qui offraient des teintes complémentaires, l’une rouge, la seconde verte. En faisant faire un demi-tour à la lunette sur elle-même, l’image rouge devenait verte et réciproquement.

MM. Bouvard, Mathieu et un élève astronome, répétèrent mon observation, et arrivèrent au même résultat. Ainsi, la lumière de l’astre n’était pas, en totalité du moins, composée de rayons doués des propriétés de la lumière directe, propre ou assimilée ; il s’y trouvait de la lumière réfléchie spéculairement ou polarisée, c’est-à-dire, définitivement, de la lumière venant du Soleil.

Je me tiens, comme on voit, dans une grande réserve relativement à la conséquence à déduire de l’expérience sur la comète de 1819 et sur celle de 1835, car il serait possible que la lumière totale envoyée à la Terre par ces deux astres, fût en partie de la lumière propre et en partie de la lumière réfléchie ; les corps, en devenant incandescents, ne perdent pas pour cela la propriété de réfléchir une portion de la lumière qui les éclaire.

Je dois consigner ici une remarque faite pendant l’apparition de la grande comète, visible à l’œil nu, de 1843, remarque à laquelle j’ai déjà fait allusion précédemment (liv. xv, chap. iv). La couleur de la lumière zodiacale est-elle la même que la couleur de la lumière solaire ? Cette question, résolue affirmativement, conduirait, avec une certaine probabilité, à la conséquence que les comètes brillent d’une lumière propre et non par la lumière du Soleil réfléchie. En effet, les corps qui ne sont visibles que par réflexion, brillent à nos yeux des teintes de la lumière éclairante. En tout cas ce serait par une rencontre bien extraordinaire, qu’un corps, éclairé par de la lumière colorée, deviendrait blanc.

Or, la queue de la comète du 19 mars 1843, située presque à côté de la lumière zodiacale était parfaitement blanche, tandis que la lumière zodiacale, était évidemment teinte en rouge tirant sur le jaune. La lumière zodiacale, prise dans sa région moyenne, était plus brillante que la lumière de la queue de la comète. On s’en est assuré en regardant les deux lumières à travers deux fentes.

Je viens de chercher à connaître la cause de la lumière des comètes, soit par la découverte des phases, soit par l’examen de cette lumière au polariscope. Il est un troisième moyen de soumettre à l’expérience la question à laquelle ce chapitre est consacré. Pour expliquer cette nouvelle méthode, je reviendrai d’abord sur un principe établi dans les notions d’optique dont j’ai fait précéder ce traité d’astronomie (liv. iii, chap. xx).

Considérons un point sans dimensions sensibles et lumineux par lui-même. De ce point, émaneront dans toutes les directions des molécules de lumière qui se propageront en ligne droite. À la distance d’un mètre, ces molécules seront uniformément réparties sur la surface d’une sphère d’un mètre de rayon. Aux distances de 2, de 3…, de 100 mètres, le même nombre de molécules, ou plus exactement encore, les mêmes molécules, déjà un peu plus éloignées de leur point de départ, iront rencontrer des sphères de 2, de 3…, de 100 mètres de rayon. Les surfaces de ces sphères vont grandissant avec les rayons. On sait que cet accroissement n’est pas proportionnel aux simples rayons, qu’il s’opère dans la raison de leurs carrés, en sorte qu’aux distances 2, 3…, 100, les surfaces sont 4, 9…, 10 000 fois plus grandes qu’à la distance 1.

Ainsi on peut, non-seulement affirmer que les molécules de lumière seront d’autant moins serrées, d’autant moins voisines les unes des autres, qu’on s’éloignera davantage du point rayonnant, mais encore que cet éparpillement suivra la loi du carré des distances.

Ce que je viens de dire de la sphère entière, doit s’appliquer à chacune de ses parties. Si, à la surface d’une sphère d’un mètre de rayon, on compte, par exemple, 10 000 molécules sur l’étendue d’un millimètre carré, il y en aura, sur une étendue égale, le quart, ou 2 500 à la distance 2 ; le neuvième, ou 1 111 à la distance 3, le dix millième, ou une seulement à la distance 100. En admettant, comme on l’a fait généralement, que l’éclat d’un objet soit proportionnel au nombre de molécules lumineuses qui vont le frapper, on arrive à cette importante loi d’optique que l’intensité éclairante d’un point diminue, quand les distances s’accroissent, proportionnellement à leurs carrés.

Passons maintenant de la considération d’un point sans dimensions sensibles, à celle d’une surface lumineuse ayant quelque étendue.

Chaque point particulier de cette surface se comportera évidemment comme le point isolé dont nous nous sommes d’abord occupés, c’est-à-dire qu’il projettera devant lui une lumière dont l’affaiblissement suivra la progression du carré des distances. Il faut seulement ajouter que, dans toutes les positions, un écran placé sur la route des rayons en recevra une quantité qui, comparée à celle qui lui arriverait d’un seul point, sera proportionnelle au nombre de particules éclairantes, ou, en d’autres termes, à l’étendue de la surface lumineuse.

Tout à l’heure, nous considérions un point unique qui envoyait sur un millimètre carré de surface :

10 000 molécules à la distance de     1 mètre,
2 500 à la distance de     2 mètres,
1 111 à la distance de     3 mètres,
 
  
1 à la distance de 100 mètres.

Eh bien, s’il existe 1 000 points rayonnants pareils, à la même distance de notre écran d’un millimètre carré, il suffira, sans aucun doute, pour avoir l’éclat de cet écran, de multiplier par 1 000 tous les nombres de la première colonne. Cette multiplication n’altérera pas leurs rapports, car si les termes successifs d’une série sont le quart, le neuvième...., le dix-millième d’un certain nombre donné, ils en seront encore le quart, le neuvième...., le dix-millième, lorsque ces termes et le nombre auquel on les compare seront tous devenus mille fois plus grands.

La propriété éclairante d’une surface lumineuse est donc, d’une part, proportionnelle à son étendue ou au nombre de particules dont elle se compose, et de l’autre, elle varie comme celle d’un point isolé, en raison inverse du carré des distances.

Ne se récriera-t-on pas maintenant si je dis que malgré cette loi, ou plutôt qu’à cause de cette loi, une surface lumineuse doit paraître, à l’œil, avoir la même intensité à toutes les distances imaginables, tant qu’elle sous-tend un angle sensible ? de courtes réflexions feront disparaître ce qu’au premier abord on peut trouver d’étrange dans ce résultat.

Lorsqu’on veut comparer, non des pouvoirs éclairants, mais des intensités lumineuses, il faut choisir dans les deux corps en présence, deux portions de même étendue angulaire, deux espaces circulaires vus sous le même angle, sous l’angle d’une minute, par exemple, et rechercher, en les examinant simultanément, quel est celui de ces espaces qui semble le plus brillant. Supposons qu’en laissant arriver à l’œil, par des ouvertures d’un millimètre de diamètre, les rayons provenant de deux surfaces planes que j’appellerai A et B, on ait trouvé à ces ouvertures des intensités égales. Eh bien, cette égalité ne sera pas altérée quand, la surface B ne bougeant pas, on transportera la surface A, 2 fois, 3 fois...., 100 fois plus loin, pourvu qu’à toutes ces distances, l’ouverture correspondante paraisse totalement remplie.

En effet, s’il est vrai qu’à mesure que la surface A s’éloigne, chacun de ses points envoie dans l’ouverture circulaire qui sert à l’observer, un nombre de rayons progressivement décroissant ; d’un autre côté, la portion de cette surface que l’œil découvre à travers la même ouverture, est d’autant plus étendue, elle renferme un nombre de points lumineux d’autant plus considérable, que le changement de distance a été plus grand. Il reste à voir si ces deux causes contraires peuvent se compenser.

Or, tout le monde comprendra que les lignes divergentes partant de l’œil et aboutissant aux deux extrémités des divers diamètres de l’ouverture circulaire à travers laquelle on regarde le plan A, embrasseront, sur le plan, des intervalles rectilignes égaux entre eux, et dont l’étendue sera proportionnelle à la distance qui le séparera de l’observateur. Ainsi, aux distances 1, 2, 3...., 100, les longueurs réelles des diamètres des cercles qu’on découvrira sur la surface A, seront entre elles comme les nombres 1, 2, 3...., 100. La géométrie nous apprend que les surfaces des cercles varient dans le rapport des carrés de leurs diamètres. Le nombre de points de la surface lumineuse qu’on apercevra à travers l’ouverture circulaire, aux distances 1, 2, 3...., 100, seront donc entre eux comme 1, 4, 9...., 10 000.

Ainsi, d’un côté, les intensités de l’ouverture lumineuse augmenteraient comme le nombre de points éclairants, ou comme les carrés des distances ; mais à cause de la divergence des rayons, la quantité que l’ouverture en embrasse, diminue, pour chaque point rayonnant, proportionnellement à la même série de nombres. Donc ces deux effets se compensent exactement, donc à toutes les distances l’ouverture doit paraître également vive.

Un exemple très-simple fixera sans ambiguïté la véritable signification de cet important résultat.

Le Soleil, vu d’Uranus, paraîtrait un tout petit cerclé de 100 secondes. Eh bien, vous, observateur situé sur la Terre, placez entre votre œil et le Soleil une plaque métallique percée d’une ouverture circulaire dont le diamètre sous-tende ce même nombre de secondes, et la portion du disque lumineux que vous découvrirez ainsi, sera, en grandeur et en éclat, le Soleil vu d’Uranus. Vues de cette planète, les molécules éclairantes se trouvaient éloignées de l’œil de 729 millions de lieues. Observées de la Terre, leur distance est 19 fois moindre, ou de 38 millions de lieues seulement. La différence est énorme ; mais aussi, dans le premier cas, tous les points de la surface solaire, sans exception, envoyaient de la lumière àl’œil, tandis que dans l’expérience faite sur la Terre avec l’écran métallique, on ne voyait à travers l’ouverture qu’une très-petite portion de l’astre. J’ai déjà démontré que la compensation est parfaite[1].

Ces prémisses posées, voyons comment elles pourront servir à décider si la lumière des comètes est une lumière émise ou réfléchie.

Prouvons d’abord qu’à égalité d’intensité, la visibilité d’une comète ne dépend pas, ou ne dépend que très-peu de l’angle qu’elle sous-tend.

Lorsqu’à l’aide d’écrans opaques, on réduit la surface de l’objectif d’une lunette, au tiers, au quart, au dixième, etc., de son étendue primitive, on diminue, dans le même rapport, le nombre de rayons qui concourent à la formation des images que cette lunette fournit, ou, en d’autres termes, leur intensité. Lorsqu’on remplace le second verre de la lunette, cette petite lentille, située du côté de l’œil, et qui porte le nom d’oculaire, par une lentille du même genre, mais à surface plus courbe, le grossissement s’accroît. On peut ainsi donner aux images observées des dimensions deux, trois, quatre, dix fois, etc., plus grandes dans telle observation que dans telle autre.

L’objectif de la lunette ayant une ouverture déterminée, si par un changement d’oculaire le grossissement s’accroît, l’intensité des images ira en diminuant, puisque la même quantité de lumière, celle qu’embrassait l’ouverture de l’objectif, se trouvera alors répartie sur une plus grande surface. On doit sentir qu’en proportionnant d’une manière convenable la partie du verre objectif que les écrans opaques laisseront à découvert, avec le changement d’oculaire, on pourra toujours faire en sorte que l’affaiblissement résultant de l’amplification de l’image soit compensé par l’arrivée d’une plus grande quantité de rayons ; qu’on pourra donner graduellement aux images de la Lune, d’une planète, d’une comète, des dimensions deux, trois, quatre…, dix fois plus grandes que dans une première observation, en leur conservant, à travers toutes ces modifications, des intensités constantes.

Si l’on applique ces procédés à une comète dont le diamètre serait, je suppose, d’une minute, et qu’on grossira successivement, sans variations d’intensité, deux, trois, quatre…, dix fois, on pourra reconnaître qu’à égalité d’éclat, une image d’une minute se voit tout aussi facilement qu’une image de deux, de trois, de quatre…, de dix minutes[2].

Après ce long préambule, je n’aurai que fort peu de mots à dire pour montrer comment, sans aucune observation de phases ou de phénomènes de polarisation, il est possible de reconnaître que les comètes brillent d’une lumière d’emprunt.

J’ai établi, en effet, tout à l’heure, qu’un corps lumineux par lui-même, doit avoir, soit à l’œil, soit dans une lunette déterminée, exactement le même éclat, quelle que soit la distance à laquelle il se trouve placé par rapport à l’observateur. Je viens de prouver, d’un autre côté, que la visibilité d’un corps ne dépend pas de l’angle qu’il sous-tend, du moins tant que cet angle ne descend pas au-dessous de certaines limites. Cela posé, il ne nous reste plus qu’à résoudre expérimentalement ces questions : De quelle manière une comète disparaît-elle ? Cette «disparition est-elle la conséquence d’une diminution excessive dans les dimensions apparentes de l’astre, provenant d’un grand accroissement dans sa distance à la Terre ? Ne faut-il pas plutôt l’attribuer à un changement d’intensité ? Eh bien, tous les astronomes répondront que cette dernière cause de disparition est la véritable. La plupart des comètes observées, celle de 1680 (n° 49 du catalogue) en particulier, ont disparu par un affaiblissement graduel de leur lumière. Elles se sont pour ainsi dire éteintes. La veille du jour où l’on cessait de pouvoir les observer, elles sous-tendaient encore des angles très-sensibles. Ce mode de disparition, je l’ai longuement prouvé, est inconciliable avec l’existence d’une lumière propre. Les comètes empruntent donc leur lumière au Soleil.

Dans les diverses expériences qui ont préparé cette conclusion, nous avons admis que pendant ses variations de distance, le corps lumineux, qu’on observe ne change pas de constitution physique ; or, les comètes ne se trouvent pas dans ce cas. Cette difficulté est réelle ; elle nécessite quelques courtes réflexions.

Jusqu’à ces derniers temps on avait cru, assez généralement, que la matière nébuleuse cométaire se condensait graduellement, à mesure que dans sa course elliptique elle s’éloignait du Soleil. Cette condensation ne pouvait manquer de procurer à l’astre un éclat supérieur à celui qu’il aurait eu sans cela.

L’observation nous a montré cet astre s’affaiblissant peu à peu, là où la théorie fondée sur l’hypothèse d’une constitution toujours la même, indiquait une lumière constante. L’accroissement réel d’intensité qui serait résulté de la condensation supposée de la matière nébuleuse, était donc de nature à rendre plus saillant le désaccord du calcul et de l’expérience. Il devait ajouter à la force de la conclusion à laquelle ce désaccord nous a conduit. Ainsi, dans notre argumentation, nous pouvions légitimement faire abstraction du prétendu resserrement qu’éprouvait la nébulosité cométaire. Aujourd’hui il est, au contraire, prouvé qu’au lieu de se resserrer, la nébulosité se dilate à mesure qu’elle s’éloigne du Soleil. Je n’oserais donc plus, comme je le faisais anciennement dans les cours publics dont j’étais chargé, conclure, sans autre examen, de l’affaiblissement progressif de la lumière des comètes, que cette lumière est réfléchie. Il faudra désormais tenir compte de l’éparpillement que la matière nébuleuse éprouve. Il faudra démontrer que la diminution réelle d’intensité qui doit en résulter, n’est pas suffisante pour expliquer comment tôt ou tard les plus brillantes comètes disparaissent ; or cela ne paraît ni difficile ni compliqué. Le lecteur va en juger.

Jusqu’à présent les plus éclatantes comètes ont cessé d’être visibles de la Terre dès que, dans leur marche autour du Soleil, elles se sont trouvées éloignées de cet astre d’une quantité égale au rayon de l’orbite de Jupiter, c’est-à-dire de cinq fois le rayon de la courbe presque circulaire que la Terre parcourt annuellement. Eh bien, considérons une comète qui, comme celle de 1680 (n° 49 du catalogue), aurait son périhélie en dedans de l’orbite de Vénus. D’après les recherches de M. Valz, le diamètre réel de sa nébulosité augmentera, avec les distances au Soleil, suivant cette progression :

à la distance de Vénus 
 10
à la distance de la Terre 
 29
à la distance de Mars 
 76
à la distance de Cérès 
 173
à la distance de Jupiter 
 278

Cette progression de diamètres diffère peu de la suite des nombres :

1,   3,   8,   17,   28.

La quantité de matière nébuleuse qui, à la distance de Vénus, occupe un volume sphérique d’un diamètre égal à 1, se trouvera donc répandue dans des volumes de même forme ayant des diamètres 3, 8, 17, 28 fois plus considérables, aux distances de la Terre, de Mars, de Cérès, et de Jupiter.

Ces sphères, diaphanes à raison de leur grand éloignement, se présentent à nous comme de simples disques circulaires. C’est dans la surface apparente de ces disques que la même quantité de molécules nébuleuses semble successivement éparpillée avec plus ou moins d’uniformité. L’intensité lumineuse de la nébulosité devant évidemment varier en raison inverse de sa densité, suivra la loi de la surface des cercles, c’est-à-dire celle des carrés de leurs diamètres ou des carrés des nombres 1, 3, 8, 17, 28.

J’ai déjà établi qu’une comète lumineuse par elle-même ne peut pas éprouver, à quelque distance qu’on l’observe, d’autres variations de densité que celles dont je viens de spécifier la cause et la loi. Il ne reste donc plus qu’à examiner expérimentalement, si ces variations sont suffisantes pour rendre les plus brillantes comètes invisibles dès qu’elles ont atteint l’orbite de Jupiter. Voici comment il faudra s’y prendre.

On fera choix d’une lunette ayant une large ouverture et un faible grossissement, à l’aide de laquelle la comète devra être observée pendant toute la durée de son apparition. Cela posé, le jour, par exemple, où cet astre se trouvera éloigné du Soleil d’une quantité égale au rayon de l’orbite de Vénus, on l’examinera d’abord comme point de départ, avec le grossissement le moins fort ; ensuite avec des grossissements 3, 8, 47, 28 fois plus grands. Pendant ces épreuves, une même quantité de lumière, celle que l’étendue invariable de l’objectif peut embrasser ; celle, en un mot, qui dessinait l’image circulaire de la comète dans la première expérience, se trouvera successivement étalée sur des cercles de diamètres 3 fois, 8 fois, 17 fois, 28 fois plus grands que dans l’expérience de départ. Mais n’est-il pas évident que les diminutions d’intensité qu’amèneront ces dilatations artificielles de las matière cométaire, seront respectivement égales à celles qui résultent des dilatations naturelles correspondantes que l’astre éprouve en s’éloignant du Soleil ? en d’autres, termes, que des simples changements d’oculaire font, pour ainsi dire, passer la comète en quelques instants de la distance de Vénus à celles de la Terre, de Mars, de Cérès, de Jupiter ? S’il en est ainsi, Voyons la comète avec notre lunette armée de son plus faible grossissement quand elle traverse l’orbite de Vénus. Examinons-la ensuite successivement, à l’aide d’un grossissement 3 fois, 8 fois, 17 fois, 28 fois plus fort. Si elle se voit toujours, on devra l’apercevoir de même avec le faible grossissement primitif, aux époques où son mouvement propre l’aura transportée à des distances du Soleil égales aux rayons des orbites de la Terre, de Mars, de Cérès, de Jupiter. Si elle ne se voit plus, par exemple, quand elle atteindra l’orbite de Jupiter, c’est qu’elle ne subit pas seulement l’affaiblissement qui peut résulter de l’éparpillement de la matière dont elle est formée ; c’est qu’elle ne se comporte pas comme un corps lumineux par lui-même ; c’est donc qu’elle emprunte son éclat au Soleil !

Toutes les comètes, je le reconnais, ne sont pas également propres à ce genre d’expériences. Il faudra de préférence choisir les comètes sans noyau apparent et sans queue, parce qu’elles semblent moins sujettes que les autres à des changements de figure subits et irréguliers ; parce que, dans l’acte de la dilatation singulière qu’elles éprouvent en s’éloignant du Soleil, et dont M. Valz a donné la loi, il est probable que toutes les parties, du centre à la circonférence, subiront alors des changements analogues. Sans cette condition, la dilatation naturelle de la nébulosité ne pourrait pas être assimilée à celle que nous obtenions artificiellement dans l’épreuve préalable des oculaires. On sentira l’importance de cette remarque, si je fais observer que, dans la comète de 1770 (comète de Lexell, no 85 du catalogue), le noyau et la nébulosité proprement dite, étaient loin d’éprouver des changements proportionnels.

Voici, en preuve de mon assertion, les mesures que Messier a données pour le noyau et la nébulosité de la comète de 1770 :

Dates. Noyau. Nébulosité.
Le 17 juin
1770 
1′ 22″ 5′ 23″
22   — 0 33  18   0 
23   — 1 15  27   0 
29   — 1 22  54   0 
2 juillet   — 1 26  123   0 
3 août   — 0 54  15   0 
12   — 0 43  3 36 

La méthode que je viens d’exposer si longuement n’est susceptible, je crois, que d’un seul genre de difficulté. On pourrait imaginer que la matière cométaire n’est pas lumineuse par elle-même, mais qu’elle le devient sous l’action des rayons solaires.

Cette hypothèse, au fond, ne serait guère que la reproduction du système qu’Euler a développé dans ses Lettres à une princesse d’Allemagne, et suivant lequel la lumière qui nous fait voir les corps, tels que le papier, la porcelaine, etc., ne se composerait pas de rayons véritablement réfléchis, mais bien d’une espèce particulière de lumière que ces corps engendreraient en entrant en vibrations sous l’action des rayons solaires. C’est là, comme on voit, une difficulté de pure théorie, et qui ne serait pas moins applicable à la lumière de la Lune, des planètes et des satellites qu’à celle des comètes. Chercher des moyens propres à décider si ces derniers astres doivent être rangés, quant à leur propriété lumineuse, dans la même catégorie que notre satellite, que Mars, que Jupiter, que Saturne, etc., tel était le seul but que je pusse me proposer dans ce chapitre. La question de savoir si la lumière qui nous fait voir les corps colorés, est réfléchie, ainsi que le supposait Newton, à la surface de lames matérielles très-minces, ou si elle provient d’un ébranlement communiqué à l’éther par les parties constituantes des corps ; cette question, dis-je, a une tout autre portée, et ce ne serait pas ici le lieu de la traiter.

  1. Dans ma démonstration, je n’ai considéré que des surfaces planes. La loi est également vraie pour des surfaces courbes, mais je ne pourrais le prouver qu’en entrant dans des détails qui allongeraient trop ce chapitre.
  2. Cette expérience et la conséquence qui en découle ne pourront donner lieu à aucune incertitude, quand l’intensité naturelle de la comète observée sera telle qu’on l’apercevra à peine, lorsqu’un degré d’affaiblissement de plus la rendrait complètement invisible. Cette condition, au reste, est facile à réaliser dans tous les cas, par des procédés dans lesquels ni l’objectif ni l’oculaire ne sont en jeu, et qui dès lors n’empêchent pas d’opérer, pour le reste de l’expérience, comme je l’ai déjà expliqué.