Astronomie populaire (Arago)/XIV/02

GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 47-80).

CHAPITRE II

mesure du disque solaire — usages des micromètres et des héliomètres


Le Soleil embrasse dans le ciel un espace d’environ un demi-degré en tout sens. Du bord supérieur au bord inférieur, du bord oriental au bord occidental, tous ses diamètres, enfin, mesurés de la Terre au même moment et alors que l’astre radieux est près du zénith, sous-tendent environ 30′.

Il faudrait donc 720 soleils tangents l’un à l’autre pour remplir le contour d’un grand cercle de la sphère céleste.

Nous avons vu déjà que la valeur du diamètre du disque solaire est loin d’être invariable avec le temps, qu’elle est plus grande en hiver qu’en été, qu’elle est au maximum quand la vitesse angulaire du mouvement propre apparent le long de l’écliptique est elle-même maximum (liv. vii, chap. viii). On comprend donc que nous ne devions citer qu’une valeur approximative, puisque cette valeur est différente pour tous les jours de l’année, quoique aux époques correspondantes de deux années différentes elle revienne à l’identité. Quels sont les moyens employés par les astronomes pour obtenir de tels résultats ? Ces moyens consistent dans l’emploi d’instruments propres à mesurer les diamètres des planètes, les élongations des satellites, les distances des étoiles doubles, et en général tous les angles très-petits, c’est-à-dire des micromètres dont nous avons déjà indiqué le principe (liv. iii, chap. xviii). Ces instruments n’étaient pas encore connus au milieu du XVIIe siècle. À cette époque, Grimaldi et Riccioli évaluaient plutôt qu’ils ne mesuraient les angles que les planètes sous-tendent en comparant leurs images dans la lunette aux images de cercles de papier dont les dimensions étaient connues, et qui étaient placés à des distances déterminées. Huygens modifia cette méthode défectueuse ; le procédé qu’il imagina, et dont il donna la description dans son Systema Saturnium, consistait à placer au foyer commun de l’objectif et de l’oculaire d’une lunette, une lame de cuivre triangulaire, mobile entre deux coulisses établies aux deux côtés opposés du tube. En faisant glisser la lame, on cherchait dans quelle partie elle couvrait exactement le diamètre de la planète observée ; la largeur de la lame en ce point, comparée au diamètre de la pièce circulaire qui terminait le champ, et dont la valeur en minutes et secondes était déduite du temps du passage d’une étoile équatoriale, faisait connaître le diamètre cherché. Quelques astronomes substituèrent de longues fentes triangulaires à la languette pleine de Huygens ; mais à peine est-il permis de regarder ce changement comme une amélioration.

Hors-Texte : Fig. 130. — Équatorial de l’Observatoire de Paris.

Hors-Texte : Fig. 131. — Dôme rotatif de l’Observatoire de Paris.

Trois ans après la publication de l’ouvrage de ce célèbre géomètre, c’est-à-dire en 1662, le marquis deMalvasia donna dans ses Éphémérides la description d’un micromètre qui était composé de plusieurs fils d’argent déliés et perpendiculaires les uns aux autres. Par là, le champ de l’instrument se trouvait partagé en plusieurs espaces rectangulaires dont les dimensions en minutes et secondes étaient déterminées par le temps qu’une étoile connue employait à les parcourir. Cet appareil ne diffère de ceux qu’on adapte maintenant aux lunettes méridiennes et aux cercles muraux qu’en ce que les fils doivent y être très-rapprochés. Il ne paraît pas qu’à l’origine il ait obtenu beaucoup de crédit, sans doute à cause de la nécessité dans laquelle on se trouve, lorsque l’astre qu’on mesure n’est pas exactement compris entre deux fils, d’estimer la différence ; à en juger cependant par le parti que Mayer a tiré de cette méthode dans son beau travail sur la libration de la Lune, cette évaluation peut se faire assez exactement, surtout lorsque les repères consécutifs comprennent entre eux de petits angles.

En 1666, Auzout et Picard imaginèrent de substituer à la multitude de fils fixes dont se composait l’appareil que nous venons de décrire, deux fils dont l’un était attaché au corps de la lunette, tandis que l’autre pouvait se mouvoir parallèlement à lui-même à l’aide d’une vis. Ce changement capital a été généralement adopté, parce que le micromètre ainsi disposé se prête avec une facilité égale à la mesure de toutes sortes d’angles, et dispense l’observateur d’une estime plus désagréable encore par le doute qu’elle laisse toujours dans l’esprit que par les inexactitudes qu’elle peut entraîner. Du reste, l’emploi d’une vis comme moyen de mesure présentait des inconvénients graves, à l’époque d’Auzout et de Picard ; le défaut de l’inégalité des pas de la vis exposait à des erreurs d’autant plus dangereuses, que l’observateur n’avait presque aucun moyen de les reconnaître ou de les corriger. Aussi, au lieu de se fier aux indications de l’index, Picard préférait-il, après chaque mesure, déterminer l’écart des deux fils, en transportant tout l’appareil sur une règle dont il observait les divisions à l’aide d’un bon microscope. Cet usage, quelque incommode qu’il fût, a prévalu assez longtemps parmi les astronomes.

Ce n’est que depuis quelques années qu’on a pu sans inconvénient se dispenser de toutes ces précautions ; regarder les tours de la vis, dans quelque sens qu’on l’ait fait mouvoir, comme la mesure de l’intervalle des fils, et lire immédiatement la valeur du diamètre qu’on observe sur le cadran à grandes dimensions dont la tête de la vis est armée.

À mesure que la construction du micromètre se perfectionnait, les astronomes sentaient la nécessité de réduire la grosseur des deux repères entre lesquels l’astre devait être compris. Auzout et Picard, dès l’origine, avaient substitué des fils de cocon de soie aux lames et aux fils métalliques dont Huygens et Malvasia s’étaient servis ; Gascoigne, d’après Townley, comprenait l’astre dont il voulait rechercher le diamètre entre deux pièces de métal dont les bords étaient très-aigus. Newton fit remarquer que les diamètres des planètes obtenus de cette manière étaient plus grands que les véritables, comme cela arrive pour toute ouverture pratiquée dans un objet obscur et se projetant sur un fond lumineux. Hooke substitua des cheveux aux pièces de métal de Gascoigne.

Les fils faits en soie de cocon, en cheveux, etc., ont été remplacés plus tard par les diagonales des toiles d’araignée, auxquelles on a pu récemment préférer les fils plus déliés encore d’or ou de platine obtenus par l’ingénieux procédé dont Wollaston a donné la description, procédé qui consiste à détruire par un acide le fourreau d’argent dont le platine ou l’or ont été entourés pour pouvoir être passés extrêmement fins à la filière.

La Hire proposa, en 1707, d’employer dans la construction du micromètre ces filaments de verre flexibles, déliés et diaphanes, qui, de son temps, étaient un objet de commerce, et qui se forment si aisément à la lampe d’émailleur. M. Brewster a reproduit cette idée, il y a quelques années ; mais aucune expérience, que je connaisse, n’a montré que ces fils aient quelques avantages sur ceux employés jusqu’à présent par les astronomes.

Telles sont les améliorations dont le micromètre ordinaire a été l’objet depuis son origine. Cet instrument a sur quelques-uns de ceux qui l’ont suivi l’avantage de fournir avec la même facilité la mesure de toutes sortes d’angles compris entre zéro et la valeur du champ de la lunette. Ses défauts assez nombreux sont de ne se prêter en astronomie qu’à la mesure des distances perpendiculaires à la direction du mouvement diurne ; de nécessiter une fixité de la lunette qui ne s’obtient presque toujours qu’aux dépens du grossissement, et d’exiger un appareil propre à éclairer les fils. Cette dernière condition nuit à l’exactitude des mesures, et rend même ces mesures impossibles lorsque les astres qu’on observe sont peu lumineux. J’ai proposé de vaincre la difficulté de l’éclairage des fils en les rendant eux-mêmes plus ou moins lumineux à l’aide de l’électricité produite par une pile voltaïque ; je suis convaincu qu’on arrivera à faire disparaître les inconvénients que cette application nouvelle a présentés dans les premiers essais.

Dans tous les micromètres à fils, il est très-difficile d’exprimer les effets de l’inflexion que la lumière peut éprouver dans le voisinage des fils ; la moindre altération dans la situation et dans la quantité de la lumière qui éclaire le champ, change le zéro ; il est rare de trouver des vis exemptes de ce que les artistes appellent des temps perdus, c’est-à-dire des vis dont les filets sont partout également espacés ; la fixation du point zéro et de la valeur des parties de l’échelle est sujette à maintes difficultés. Pour toutes ces raisons, un bon instrument de ce genre doit avoir un prix très-élevé, et il ne peut être placé qu’en des mains très-habiles. On sentira combien un micromètre fondé sur d’autres principes, et qui serait exempt de la totalité, ou même seulement d’une partie des défauts que je viens de signaler, serait utile, et pourrait contribuer aux progrès de l’astronomie.

C’est à Bouguer que les observateurs doivent l’invention d’un micromètre fondé sur des principes tout nouveaux. Cet habile physicien imagina de placer à côté l’un de l’autre et à l’extrémité d’un seul tuyau deux objectifs de foyer égal et qui correspondaient à un même oculaire. Par là on obtient deux images qui peuvent s’apercevoir d’un même coup d’œil, et dont la distance est réglée par celle qui sépare les centres des deux objectifs. Cette distance étant variable à volonté, peut servir d’échelle de mesure, et la détermination de la valeur d’un angle perpendiculaire, parallèle ou oblique au mouvement diurne, se réduit à l’observation de la tangence des images que chaque objectif produit. Le propre de cet instrument est de ne pas exiger que la totalité des images à mesurer soit visible, de ne point limiter par conséquent les grossissements, et de permettre à l’observateur de transporter les deux segments tangents, à l’aide de manivelles, dans la partie du champ de la lunette où les objets se peignent avec le plus de netteté. Ce micromètre de Bouguer, auquel il donna le nom d’héliomètre[1], date de l’année 1748, et est antérieur de dix ans à la découverte des lunettes achromatiques (liv. iii, chap. xi). Si à cette époque il était déjà permis de regarder comme un défaut capital de l’héliomètre d’exiger dans sa composition l’emploi de deux lentilles simples de même foyer, ce défaut ne dût-il pas sembler plus grand lorsque les astronomes eurent senti la nécessité d’employer exclusivement dans leurs observations des objectifs composés. Mais ces difficultés disparaissent entièrement à l’aide d’un changement proposé par Dollond, et qui consiste à substituer les deux moitiés d’un même objectif aux objectifs entiers dont se servait Bouguer.

Les deux parties d’une même lentille agissent pour donner la même image focale ; si on sépare ces deux parties, comme le présente la figure 132, chacune des
Fig. 132. — Moitiés d’objectifs employées dans les héliomètres.
deux moitiés fonctionnera de même que la lentille entière, et on obtiendra deux images. Quand les deux demi-lentilles étaient juxtaposées, leurs deux images étaient superposées. En faisant glisser la moitié B sur la moitié A, on laisse immobile l’image m produite par A, et on peut mesurer le chemin que parcourt la moitié B pour que l’image n qu’elle fournit arrive exactement au contact de la première. Le chemin mesuré par une vis donne évidemment la valeur de l’angle sous lequel on voit le diamètre apparent ab de l’astre (fig. 133) qu’il s’agit d’évaluer. Si,
Fig. 133. — Évaluation par héliomètre de l’angle sous-tendu par le diamètre
apparent d’un astre.
une fois qu’on est arrivé au contact, on fait tourner la demi-lentille, et si l’on amène l’image n successivement en n′, n″, n‴… de manière à lui faire toucher tous les points de la circonférence de l’image m (fig. 134), on reconnaît, par exemple, que le Soleil a le même diamètre dans tous les sens.
Fig. 134. — Observation par l’héliomètre de l’égalité de tous les diamètres
du Soleil.
Il est bien entendu qu’on doit opérer au même moment avec une lunette montée parallatiquement (liv. xiii, chap. viii).

On voit que l’instrument de Bouguer, par le perfectionnement que Dollond a imaginé, est devenu moitié moins lourd et moins coûteux ; il pouvait en outre s’adapter facilement aux télescopes à réflexion. Ce changement fut adopté d’autant plus aisément que les ateliers de l’habile artiste à qui on le devait étaient alors en position de fournir d’héliomètres et même de télescopes tous les observatoires publics ou particuliers de l’Europe. Aussi, à peine rencontre-t-on maintenant un héliomètre à double objectif complet.

L’héliomètre qui passe pour le plus parfait est celui que Frauenhofer a construit pour l’observatoire de Kœnigsberg, et que représente la figure 135, d’après la description donnée par l’illustre directeur de cet observatoire, M. Bessel.
Fig. 135. — Héliomètre construit par Frauenhofer pour l’Observatoire
de Kœnisberg.
On aperçoit le long du corps de la lunette deux tringles ab, cd, à l’aide desquellesl’observateur, sans quitter l’oculaire, peut, soit faire tourner autour de l’axe de la lunette l’ensemble des deux moitiés de l’objectif, soit donner le mouvement à la vis qui fait marcher la moitié mobile de l’objectif. Pour faciliter la recherche immédiate des astres, on emploie la

lunette auxiliaire ou le chercheur L, qu’on fait tourner autour de la grande lunette à l’aide de la poignée M. L’instrument est monté parallatiquement et on le met à volonté en communication avec le mouvement d’horlogerie H pour suivre l’astre observé dans le mouvement diurne de la sphère céleste.

L’héliomètre, auquel dès l’origine on attacha avec raison une grande importance, n’a pas produit, il faut en convenir, tout ce qu’on en attendait.

Bouguer s’en était à peine servi lorsqu’il en publia la description ; Lalande l’employa dans la suite pour déterminer le diamètre du Soleil ; et son résultat est trouvé plus exact qu’on n’aurait dû l’attendre et de l’imperfection de ses objectifs qui n’étaient pas achromatiques, et du très-petit nombre d’observations qu’il exécuta. Short publia dans les Transactions les résultats de quelques mesures du Soleil faites avec un héliomètre ; depuis lors cet instrument n’a guère plus été employé que dans l’observation des phases, pendant les éclipses de Lune ou de Soleil. Dans la multitude d’observations de diamètres des planètes que j’ai eu l’occasion de recueillir, à peine en ai-je trouvé quatre ou cinq qui aient été faites avec cet instrument, auquel les astronomes ont souvent préféré le micromètre à fils ou des méthodes même plus imparfaites. Cet abandon tient, ce me semble, à deux causes principales : l’une est la rareté des bons objectifs, l’autre les défauts inhérents à la construction de ce genre de micromètre ; la première de ces causes ne disparaîtra que lorsque les pompeuses promesses des verriers sur la fabrication du flint-glass, si souvent reproduites et si souvent démenties, auront donné quelque résultat ; alors, et seulement alors, les artistes se résoudront à scier en deux un objectif bien régulier pour en construire un héliomètre, et l’astronome n’aura pas à craindre que les imperfections des images viennent masquer les petites quantités qu’il se propose de mesurer. Les défauts de parallaxe qu’on a remarqués dans l’usage de l’héliomètre, peuvent aussi être surmontés ; mais les attentions minutieuses auxquelles l’observateur devra s’astreindre, pour arriver à ce but, me semblent peu propres à populariser l’instrument.

Ramsden donna en 1779, dans le recueil des Transactions philosophiques, la description de deux nouveaux micromètres dans lesquels les mesures s’obtenaient, comme dans celui dont nous venons de parler, par la tangence de deux images ; l’un applicable seulement au télescope de Cassegrain (liv. iv, chap. i), exige, de l’aveu même de l’inventeur, une perfection de travail dont peu d’artistes seraient capables ; l’autre, qu’on pourrait appeler héliomètre oculaire, s’adapte avec une égale facilité aux lunettes et aux télescopes à réflexion. La théorie de ces instruments est très-simple, leur usage semble devoir être commode ; l’habile artiste à qui nous les devons paraissait y attacher une grande importance, et était très-capable de les amener à leur dernier degré de perfection ; ses ateliers étaient les plus renommés de l’Europe et cependant ses micromètres se sont si peu répandus qu’il serait peut-être impossible de trouver dans les nombreux recueils d’observations qui ont vu le jour, une seule mesure qui soit faite suivant sa méthode. L’expérience aurait-elle encore cette fois donné un démenti à la théorie ? L’oubli dans lequel ces micromètres sont tombés, tient-il à des causes indépendantes de leur mérite, c’est ce qu’il est impossible de décider à priori. Le peu d’essais que j’ai eu l’occasion de faire avec celui de ces deux instruments qui s’adapte aux lunettes, m’a convaincu que l’inflexion qu’éprouve la lumière dans le voisinage du plan suivant lequel se joignent les deux moitiés de l’oculaire, doit nuire singulièrement à l’exactitude des mesures.

J’ai interverti l’ordre des dates afin de présenter sous un même point de vue l’histoire de l’héliomètre et des instruments qui n’en sont que des modifications ; je vais passer maintenant aux micromètres prismatiques.

Rochon est incontestablement le premier auteur de cette classe d’instruments ; déjà en 1768 il avait proposé dans ses Mémoires, imprimés à Brest, d’étendre l’usage de l’instrument de Bouguer à de grands angles, en plaçant devant les objectifs des prismes achromatiques de verre. En 1778 il construisit, pour la mesure des petits angles, un micromètre formé de deux prismes achromatiques de cristal de roche, mobiles circulairement l’un sur l’autre ; ce micromètre se plaçait devant la lunette. Cet instrument, tout ingénieux qu’il était, avait l’inconvénient de donner presque toujours quatre images d’intensités très-inégales, d’astreindre l’observateur à des attentions pénibles pour distinguer celles qui devaient être tangentes, d’occasionner une grande perte de lumière, d’exiger, dans les prismes, de grandes dimensions et une perfection de travail qui les rendait très-dispendieux.

Rochon ne tarda pas à imaginer une nouvelle construction qui remédiait à une partie des imperfections dont nous venons de parler et qui consistait à n’employer qu’un seul prisme de cristal de roche, achromatisé avec deux prismes de verre ordinaire, et à le faire mouvoir le long de l’axe dans l’intérieur de la lunette ; par là on peut mesurer avec précision tous les angles compris entre zéro et celui qui exprime la double réfraction du prisme de cristal, l’échelle de tous ces angles étant la distance focale de la lunette. Ce nouveau micromètre fut reçu par les astronomes avec un applaudissement général, et un petit nombre d’expériences exactes semblèrent confirmer tout ce que la théorie en avait fait espérer. Mais comme s’il était de l’essence de cette espèce d’instruments de faire naître des réclamations, ce qui était arrivé pour le micromètre à fils d’Auzout et pour l’héliomètre de Bouguer, se reproduisit dans cette nouvelle circonstance ; Maskelyne, à qui l’exactitude de ses observations à Greenwich avait fait une réputation justement méritée, produisit des certificats de M. Aubert et de Dollond, d’où il résultait que déjà vers la fin de 1776 il avait fait construire un micromètre à prisme isocèle de verre ordinaire assez semblable pour le but et pour les moyens, à celui dont le physicien français avait publié la description. L’abbé Boscowich crut aussi avoir des droits à cette découverte et chercha à les faire valoir ; l’Académie intervint dans la querelle ; les journaux du temps publièrent de nombreux Mémoires pour ou contre chaque compétiteur, tandis que personne ne s’occupait du mérite de la découverte. Un trait remarquable de cette longue discussion, c’est que l’instrument qui en a été l’objet n’a jamais servi, en sorte que ni Maskelyne ni Boscowich, qui étaient si intéressés à le faire, n’ont publié dans les nombreux recueils d’observations que les astronomes leur doivent, ni une mesure de planète ni même une seule observation de mire terrestre qui puisse permettre d’asseoir un jugement motivé sur le mérite pratique de l’instrument. Le micromètre à prisme de cristal de roche c, placé au delà de l’oculaire ab, mobile le long de l’axe de la lunette à l’aide de la crémaillère d, et dont personne n’a jamais contesté la propriété à Rochon (fig. 136), fut seul dès l’origine appliqué avec succès, soit par son inventeur, soit par Méchain, à la mesure de Mars, de Jupiter et de Saturne. Il est vrai que depuis lors la plupart des astronomes l’ont totalement abandonné.

fig. 136. — Micromètre de Rochon.

Je n’aurais atteint que très-imparfaitement le but que je me suis proposé en écrivant ce chapitre, si j’oubliais de parler du micromètre à projection dont la première idée a été puisée, ce me semble, dans le procédé dont Hooke et Hauksbée se servaient pour mesurer le grossissement des télescopes. Dans ce micromètre, ou plutôt dans cette méthode dont Herschel a fait de nombreuses applications, surtout pour la mesure des angles très-petits, on découpe dans un diaphragme une ouverture circulaire derrière laquelle on place un petit miroir réfléchissant. L’image lumineuse qui se forme ainsi, sous-tend des angles progressivement croissants à mesure que le diaphragme se rapproche de l’observateur, et diminue de même lorsque le diaphragme s’éloigne ; une ou deux manivelles permettent de faire varier les distances et par conséquent les angles par degrés insensibles. Cela posé, tandis qu’on observe, avec l’un des deux yeux, la peinture amplifiée par le télescope de l’astre qu’on veut mesurer, on éloigne ou l’on rapproche le signal qu’on lui compare jusqu’au moment où son image, vue avec l’autre œil et sans le secours d’aucun verre grossissant, semble avoir la même étendue ; l’angle de cette dernière image est égal au quotient de ses dimensions réelles, divisées par sa distance à l’œil de l’observateur ; l’angle de l’image télescopique est agrandi, dans le rapport de l’unité au nombre qui exprime le grossissement du télescope : de là résulte que l’angle cherché ou celui sous lequel cette dernière image se présente à l’œil nu est égal à l’angle déjà connu de la mire lumineuse divisé par le grossissement qu’on a employé.

On ne peut refuser à cette méthode d’être très-ingénieuse ; mais sans entrer dans une discussion approfondie des inconvénients auxquels elle est sujette, on peut remarquer qu’elle nécessite dans la monture de l’instrument des dispositions particulières. Lorsque la pièce à laquelle l’oculaire s’adapte a, comme dans les télescopes grégoriens (liv. iii, chap. xxiv), une largeur beaucoup plus grande que la distance des deux prunelles, il est à peu près impossible de trouver une place convenable pour le diaphragme et le réflecteur ; car, à moins qu’ils ne soient assez éloignés, l’évaluation trigonométrique de l’image artificielle est sujette à erreur. D’autre part, si le diaphragme est trop loin, la vision à l’œil nu devient confuse, la comparaison des deux images se fait d’une manière imparfaite, et la longueur excessive des manivelles adaptées au disque mobile entraîne de telles difficultés, qu’à peine il est possible d’observer.

La rareté du micromètre à projection, ne m’a laissé qu’un seul moyen d’apprécier, abstraction faite des embarras dont je viens de parler, l’exactitude qu’on peut s’en promettre ; ce moyen a été de comparer des mesures de planètes faites par Herschel lui-même avec son instrument, à des déterminations du même genre que j’avais obtenues par d’autres méthodes très-précises. S’il était prouvé que les erreurs très-grandes que j’ai découvertes ainsi, et que personne ne sera sûrement tenté d’attribuer à l’habile observateur que je viens de nommer, n’ont pas tenu en partie à la grande aberration de sphéricité dont il semble bien difficile que les grands miroirs soient exempts, je n’hésiterais pas à regarder le micromètre en question comme un instrument très-défectueux et dont l’usage doit être entièrement proscrit.

Je dois parler ici de deux modifications qu’Herschel a imaginées dans la construction des micromètres, et qui ont donné naissance au micromètre de position et au micromètre à lampe.

Supposons qu’une étoile soit arrivée au méridien, c’est à-dire au point le plus élevé de sa course diurne. Par son centre concevons une horizontale. Cette ligne se confondra, dans une étendue bornée, avec le petit cercle parallèle à l’équateur que l’étoile décrit. La ligne droite menée du centre de l’étoile culminante à un astre voisin, forme avec l’horizontale un angle qu’on a appelé l’angle de position de cet astre. L’angle de position pourrait se déduire par le calcul, des différences d’ascension droite et de déclinaison des deux astres. Il est souvent plus exact et plus commode de le mesurer directement. Cette mesure est devenue facile à l’aide d’une modification essentielle qu’Herschel a fait subir au micromètre à fils ordinaire.

Le nouveau micromètre, comme l’ancien, se compose de deux fils, l’un fixe, l’autre mobile. Seulement le fil mobile, dans ses déplacements, ne reste plus parallèle à lui-même et au fil fixe : il ne peut recevoir qu’un mouvement de rotation. À l’aide de ce mouvement, l’observateur place à volonté le fil mobile sous toutes les inclinaisons possibles, relativement au fil fixe, depuis zéro jusqu’à 180°. La quantité dont le fil mobile a tourné, se lit sur un cercle extérieur gradué.

Veut-on avoir, au méridien, un angle de position ? Rien de plus simple : il faut, à l’aide des manivelles du télescope, maintenir la principale étoile, celle qui doit occuper le sommet de l’angle, à la croisée apparente des fils ; il faut amener le fil mobile, le fil rotatif à passer en même temps par la seconde étoile ; le cercle extérieur gradué, dont le mouvement de rotation est toujours égal, par construction, à celui de la plaque intérieure qui porte le fil mobile, donne immédiatement la valeur de l’angle cherché.

J’ai supposé l’un des astres au méridien et le fil fixe horizontal. L’observation de l’angle de position réussit de même hors du méridien, pourvu que le fil fixe, quelle que soit son inclinaison à l’horizon, coïncide avec l’arc du parallèle céleste passant par le point vers lequel le télescope est dirigé ; or on peut employer un pied parallatique qui, sans empêcher de tourner à volonté le télescope vers toutes les régions de l’espace, donne de lui-même, au fil fixe du micromètre, la direction d’un parallèle céleste quelconque, dès que dans une seule position, par exemple dans la position méridienne d’une étoile haute ou basse, méridionale ou boréale, la coïncidence du fil en question avec l’arc du parallèle correspondant a existé. L’observation la plus simple sert d’ailleurs à mettre les choses dans cet état.

Le micromètre à fil tournant, le micromètre servant à la mesure des angles de position, a joué le plus grand rôle dans les travaux d’Herschel sur les satellites d’Uranus et sur les étoiles doubles. La première description que l’auteur en ait donnée se trouve dans les Transactions philosophiques de 1781.

L’idée, dont on a fait tant de bruit il y a quelques années, d’éclairer les fils des micromètres ordinaires par devant, c’est-à-dire par la partie de leurs contours qui est tournée du côté de l’oculaire, du côté de l’observateur, appartient, si je ne me trompe, à Herschel. C’est ainsi du moins que j’envisage une note d’un Mémoire on the construction of the heavens (Trans. phil. de 1785, page 263).

La mesure, à l’aide de très-forts grossissements, de l’intervalle angulaire qui sépare les centres des étoiles dont se composent les groupes binaires, conduisit Herschel à la construction d’un nouveau micromètre qu’il appela micromètre à lampe (lamp micrometer). L’ancien micromètre ne pouvait évidemment pas être employé dans ce genre d’observations, dès que, par l’hypothèse de la lentille oculaire, les fils acquéraient un diamètre supérieur au diamètre apparent des étoiles. Comment, en effet, savoir dans ce cas si l’on avait visé aux centres des deux astres comparés. Herschel désirait aussi se mettre à l’abri des légères inégalités et des temps perdus dont nous avons dit que les vis les plus soigneusement construites ne sont pas toujours exemptes. Il voulait enfin se soustraire à l’obligation d’éclairer artificiellement le champ de ses télescopes, obligation à peu près indispensable dans les micromètres à fils, et qui souvent aurait fait disparaître le très-faible satellite de l’étoile principale.

Pour atteindre ce but, Herschel imagina le lamp-micrometer. Il y a, dans cet instrument, deux petites lanternes fermées l’une et l’autre à l’aide de plaques de cuivre mince. Au centre de chaque plaque existe un trou d’aiguille correspondant à la mèche de la lampe. On se procure ainsi deux très-petits points brillants, qu’une combinaison convenable de manivelles, longues de 3 mètres, permet d’éloigner, de rapprocher entre eux, et de placer dans toutes les inclinaisons possibles relativement à l’horizon.

Armé de cet appareil, quand Herschel voulait observer une étoile double, il regardait l’astre avec l’œil droit par l’intermédiaire de son télescope newtonien ; en même temps l’œil gauche lui montrait à nu, c’est-à-dire en dehors de l’instrument, c’est-à-dire sans grossissement aucun, et sur le prolongement de la ligne apparente de visée de l’autre œil, les deux points lumineux du micromètre. Ces deux systèmes d’objets se projetaient l’un sur l’autre. Après quelques tâtonnements, après quelques mouvements des manivelles, il était possible de faire coïncider respectivement les deux points brillants artificiels avec les images télescopiques des deux parties de l’étoile double. Cela établi, il ne restait plus qu’à mesurer avec une règle divisée, la distance rectiligne des deux trous d’aiguille. Cette distance était évidemment, sur un rayon de trois mètres, la tangente de la distance angulaire amplifiée des deux étoiles. Divisant la valeur de cette distance angulaire amplifiée, tirée des tables trigonométriques, par le grossissement du télescope, on avait la distance angulaire réelle des deux parties de l’étoile double. L’instrument donnait également, pour l’heure de l’observation, l’angle que la ligne menée d’une étoile à l’autre formait avec la verticale ou avec l’horizon.

Chacun concevra que l’usage du micromètre à lampe n’est pas borné à l’observation des étoiles doubles : il peut être étendu avec la même facilité à la mesure des diamètres apparents, réels ou factices, des planètes, des satellites et des étoiles. Chacun aussi aura remarqué combien les opérations que l’emploi de cet instrument exige, ont d’analogie avec la manière de déterminer les grossissements des lunettes, dont les anciens observateurs, Galilée, par exemple, faisaient usage.

J’ai déjà eu plusieurs fois l’occasion de faire remarquer, dans ce chapitre, combien il y a loin, généralement, de l’exactitude qu’un instrument semble promettre à première vue, à l’exactitude qu’on obtient effectivement lorsqu’on le dirige vers le ciel. Je pourrais, d’après cette considération, me dispenser de parler de cette multitude de micromètres que M. Brewster a décrits d’une manière si minutieuse dans son traité sur de nouveaux instruments, publié en 1813, puisqu’aucun d’eux ne paraît avoir été soumis à l’épreuve de l’expérience. Ces instruments n’étant cependant pour la plupart que des modifications évidentes des micromètres dont j’ai déjà eu l’occasion de parler, pourront être appréciés par analogie ; je me livrerai d’autant plus volontiers à cet examen qu’il ne prendra que peu de lignes, et que j’aurai alors parcouru la série entière des micromètres exécutés ou même seulement décrits.

Le premier des instruments de M. Brewster, celui qu’il appela nouveau micromètre à fils, et auquel il attacha une grande importance puisqu’il a cherché à s’en assurer la propriété exclusive par un brevet d’invention, est formé comme le micromètre d’Auzout, de deux fils entre lesquels l’astre doit être compris ; mais dans ce dernier instrument, après avoir placé l’un des bords de la mire, qu’on mesure sur le fil fixe, on transporte, comme nous l’avons déjà dit, le fil mobile parallèlement à lui-même, à l’aide d’une vis, jusqu’à ce qu’il atteigne le bord opposé ; dans l’autre construction, les fils sont à une distance fixe, mais en augmentant ou en diminuant le grossissement de la lunette, les dimensions de l’image éprouvent des variations correspondantes qui permettent également de placer les deux bords, tangentiellement aux deux fils. La variation de grossissement s’obtient par le mouvement d’un objectif mobile entre l’objectif principal et son foyer ; mais doit-on se flatter que par là l’image ne perdra rien de sa netteté ; qu’on ne se jettera pas dans des erreurs plus grandes que celles qu’on voulait éviter ? Ce micromètre exigeant deux excellents objectifs, ne sera-t-il pas toujours d’un prix trop élevé pour qu’on puisse espérer qu’il se répande ? Quoi qu’il en soit, au demeurant, de ces difficultés, il ne sera pas hors de propos de remarquer que l’invention n’est rien moins que nouvelle, et que 106 ans avant la publication de l’ouvrage du Dr Brewster, c’est-à-dire en 1707, La Hire avait inséré dans le Recueil de l’Académie des sciences, la description d’un micromètre qui de tout point est identique avec celui que le savant anglais a reproduit. C’est donc à La Hire, ou si l’on veut même à Rœmer, qui déjà auparavant s’était occupé du même objet, qu’on doit la première idée des micromètres à grossissements variables.

Dans une lunette, le grossissement est une fonction déterminée de la distance focale de l’objectif et de celle des oculaires ; il ne sera donc possible de le faire varier qu’à l’aide d’une lentille additionnelle et mobile qui doit nécessairement nuire à la netteté des images ; dans un télescope de Gregory ou de Cassegrain, l’expression du grossissement renferme comme indéterminée la distance du petit au grand miroir ; en faisant varier cette distance, on obtiendra donc différentes valeurs du pouvoir amplificatif, et deux fils fixes pourront servir, comme dans une lunette, à la mesure de diamètres variables. Tel est le second des micromètres de M. Brewster. Cet instrument, ainsi que le précédent, ne se prête qu’à l’observation des diamètres perpendiculaires à la courbe du mouvement diurne de l’astre, et il exige que les fils puissent être placés dans cette direction, ce qui, à moins d’une monture parallatique, est toujours extrêmement incommode. Comme dans le micromètre ordinaire, la lumière peut éprouver dans le voisinage des fils une inflexion dont il est difficile d’évaluer les effets ; et si nous ajoutons qu’ici comme dans les micromètres ordinaires il sera nécessaire d’éclairer artificiellement le champ, on verra que les nouvelles constructions ne remédient qu’aux erreurs qui, dans les anciens instruments, dépendaient des temps perdus de la vis.

Nous avons déjà parlé plus haut d’un micromètre qui est formé d’un prisme isocèle de verre, mobile entre l’objectif et son foyer ; en remplaçant ce prisme par deux demi-lentilles dont les centres ne coïncideraient pas, et en leur conservant la même mobilité, on aura celle des inventions de M. Brewster, qu’il appelle le nouveau micromètre objectif divisé ; mais il paraît impossible de regarder ceci comme une amélioration, car d’après la construction de cet instrument, il doit avoir à la fois les défauts du micromètre à prisme ordinaire, et les défauts qu’on a remarqués dans l’usage de l’héliomètre.

L’instrument que le même auteur appelle micromètre à images lumineuses, a pour objet spécial la détermination de la distance de deux points très-voisins ; les résultats curieux que semble promettre l’étude des mouvements des étoiles doubles, donne beaucoup d’importance à cette recherche ; mais à peine peut-on se persuader que M. Brewster ait espéré quelque exactitude du moyen qu’il propose, et qui consiste à étendre les peintures des points qu’on observe, soit en enfonçant, soit en retirant l’oculaire, jusqu’à ce que leurs bords se touchent. Pour peu qu’on ait dirigé une lunette vers le ciel, on sait, en effet, qu’aussitôt qu’on a dépassé le foyer avec l’oculaire, les images ont d’autant moins de netteté que les franges de différentes couleurs, qui tiennent aux défauts inévitables de l’achromatisme, acquièrent alors beaucoup de vivacité et de largeur. Je ne m’étendrai pas davantage sur cet instrument, dont les astronomes ne seront sûrement pas tentés de se servir, de même qu’ils se garderont bien de dépasser le foyer lorsqu’ils prendront des ascensions droites et des déclinaisons, et d’observer au lieu du centre de l’image distincte les deux bords de l’image déformée ou diffuse.

Quelques personnes demanderont peut-être comment, avec quelques-uns des instruments que je viens de critiquer et que je suppose si imparfaits, les astronomes ont cependant obtenu des résultats qui sont toujours cités comme des modèles d’exactitude. À cela je répondrai qu£ s’il est vrai de dire, en général, que les distances angulaires relatives ont été mesurées d’une manière satisfaisante, il n’existe pas, d’un autre côté, une seule détermination absolue dont un astronome non prévenu voulût répondre à 2″ près, et que pour le diamètre des planètes en particulier, je pourrais citer des mesures récentes qui, quoique faites par des astronomes également habiles et avec d’excellentes lunettes, n’en diffèrent pas moins les unes des autres de 4″ ou 5″, sans qu’il soit possible de dire de quel côté se trouve la vérité.

En décrivant plus haut l’instrument d’Auzout, je n’ai pas parlé de celui que Tibérius Cavallo a donné dans les Transactions philosophiques pour 1791, sous le nom de nouveau micromètre en nacre de perle, parce que je ne vois pas ce qu’on gagne à choisir un corps à peine diaphane pour y tracer des divisions, de préférence aux lames de verre dont se servait La Hire. M. Brewster propose aussi dans son ouvrage un micromètre de nacre de perle ; mais celui-ci n’est autre chose qu’un anneau circulaire de cette substance partagé en 360° et placé au foyer du dernier oculaire, afin qu’on puisse en voir aisément les divisions ; on détermine d’abord la valeur angulaire du diamètre de cette ouverture, soit par le passage d’une étoile, soit par un moyen équivalent, et lorsqu’on veut mesurer un intervalle quelconque, on cherche quelle corde du même cercle il comprend. J’avoue que je n’ai pu découvrir quels avantages cet instrument, ne dût-on jamais l’appliquer qu’à des mires terrestres et immobiles, pourrait avoir sur le micromètre ordinaire à divisions fixes ; car, dans celui-ci, l’observation se fait toujours au centre de la lunette, tandis que dans l’autre la mire doit toujours être transportée au bord du champ.

En réunissant sous un même point de vue les remarques que nous avons eu l’occasion de faire dans ce chapitre, nous trouverons que dans le grand nombre de micromètres dont nous avons parlé, trois seulement, savoir le micromètre à fils d’Auzout, l’héliomètre de Bouguer et le micromètre à projection d’Herschel, ont été employés dans la mesure des astres ; le premier, avec lequel le pointé est très-difficile, ne peut servir d’ailleurs que pour les diamètres perpendiculaires à la direction du mouvement diurne ; le second ne donne pas constamment les mêmes résultats, quelque habile que soit l’astronome et quelque soin qu’on apporte dans les observations ; le troisième, dont l’usage est très-difficile, peut à peine être regardé comme un instrument, et ne paraît pas d’ailleurs exempt d’erreur.

Parmi les micromètres qui ont été soumis avant moi à l’épreuve de l’expérience, je n’ai pas placé celui de Rochon, parce que les mesures que cet habile physicien avait faites de Mars et de Saturne dès l’origine, n’ayant été répétées ni par lui ni par aucun astronome, n’étaient pas suffisantes pour montrer quelle exactitude on pouvait attendre de l’usage de cet instrument. Mais des épreuves nombreuses et de divers genres, réitérées pendant quatre années consécutives ; plus de 3 000 mesures de Jupiter, de son aplatissement, de la position des bandes ; de l’anneau de Saturne, de sa largeur, de son inclinaison à l’écliptique, et des deux diamètres de la planète ; de Mars et de son aplatissement ; de Vénus et du progrès de ses phases ; de disques noirs placés sur des fonds clairs ; de disques blancs placés sur des fonds obscurs ; de disques planétaires lumineux découpés dans des réverbères paraboliques très-brillants ; doivent selon moi tirer cet instrument de l’oubli dans lequel les astronomes l’ont laissé sans motif.

Le long usage que j’ai fait du micromètre de Rochon a rendu toutefois manifestes plusieurs inconvénients. L’achromatisme du prisme ne peut être parfait pour les deux images à la fois ; avec de très-forts grossissements, ce défaut devient intolérable. D’autre part, quand le prisme se trouve très-près de la lentille oculaire, pour la détermination du zéro de l’échelle ou pour la mesure des plus petits angles, les moindres imperfections du cristal ou du travail des surfaces sont considérablement grossies. Enfin, pour tout dire en deux mots, il est fâcheux d’introduire dans la lunette une pièce qui en altère inévitablement la bonté.

En apportant dans la détermination du zéro de l’échelle et de la valeur de ses parties, quelques précautions que Rochon avait négligées, parce que l’expérience seule pouvait en faire sentir la nécessité, on obtient avec son micromètre (fig. 136, p. 61) une grande exactitude dans la mesure des petits angles. Cette exactitude me paraît tenir à deux causes principales : à l’extrême facilité avec laquelle on établit le point de tangence entre deux disques lumineux, et à la netteté des images. Dans le micromètre dont je vais maintenant parler, on conserve le même pointé, et l’on gagne ce me semble quelque chose sous le rapport de la netteté.

Ce micromètre est le résultat de la réunion de deux moyens d’observation particuliers qui jusqu’à présent n’avaient été employés que séparément, savoir du changement de grossissement de la lunette combiné avec la double réfraction du cristal de roche. En conservant une certaine mobilité à l’une des lentilles dont se compose le double oculaire d’un télescope, on se procure le moyen de changer le grossissement, ou, ce qui revient au même, de faire varier à volonté les dimensions de l’image focale ; si la lentille ne doit faire que des excursions peu étendues, elle pourra ne pas être achromatique, sans que la lunette perde rien de sa bonté. Cela posé, il est clair que pour amener l’image à avoir au foyer du dernier oculaire une grandeur déterminée, il faudra employer un grossissement d’autant plus considérable que l’objet sous-tendra un angle plus petit. Il n’est pas moins évident que le rapport des grossissements sera toujours égal à celui de ces angles, de sorte que si l’observateur pouvait conserver le souvenir des dimensions sous lesquelles une mire terrestre connue se présentait dans une position donnée de l’oculaire, il aurait la valeur de tout autre objet quelconque en parties de cette mire prise pour unité, en cherchant quel grossissement doit avoir la lunette pour que les dimensions apparentes de l’objet soient égales aux dimensions semblables de l’image primitive. Mais on conçoit, sans que je le dise, qu’une observation de ce genre ne pourra avoir d’exactitude qu’au tant que l’astronome aura simultanément en vue l’objet qu’il veut mesurer et la mire de comparaison. En prenant pour mire deux fils fixes et placés au foyer du dernier oculaire, on aurait le micromètre de Rœmer et de La Hire, qui ne peut servir que pour les diamètres perpendiculaires au mouvement diurne. En appliquant le même appareil à grossissement variable à l’héliomètre de Bouguer, on pourrait placer les deux moitiés d’objectifs à une distance constante et mesurer toutes sortes de diamètres ; mais les défauts de parallaxe propres à cet instrument ne seraient pas changés, Il est facile de voir que l’emploi de l’oculaire variable dont il s’agit ici n’apporterait non plus aucune amélioration ni au micromètre à prisme de Maskelyne, ni au micromètre dioptrique de Ramsden, ni à aucun des instruments semblables de M. Brewster,

Il n’y aurait pareillement aucune raison de remplacer le mouvement rectiligne du prisme de cristal de roche dans le micromètre de Rochon, par le changement de pouvoir amplificatif ; mais ce moyen deviendra très-commode si on adopte la disposition que je vais décrire.

Cette disposition consiste à mesurer la dernière peinture aérienne de l’objet qu’on observe, non pas, comme dans tous les micromètres dont j’ai parlé jusqu’ici, par un mécanisme situé dans l’intérieur de la lunette ou devant l’objectif, mais à l’aide d’un prisme achromatique de cristal de roche dont la place est marquée entre la dernière lentille oculaire et l’œil, précisément dans le point où l’on fixe le verre coloré qui, dans les observations du Soleil, est destiné à affaiblir la trop grande vivacité de sa lumière. Ce prisme oculaire donnera deux images qui seront séparées, superposées en partie ou tangentes, suivant que la peinture amplifiée de l’objet qu’on observera sous-tendra un angle plus petit, un angle plus grand ou un angle de même valeur que l’angle de la double réfraction du cristal ; or, la disposition des verres de l’oculaire.

permettant de faire varier par degrés le pouvoir amplificatif de la lunette, il sera toujours possible de satisfaire à cette dernière condition, et cela d’autant mieux que l’observation de la tangence de deux images se fait avec une grande exactitude.

Fig. 137. — Micromètre oculaire à grossissement variahle de M. Arago.

Un oculaire ordinaire, formé de deux lentilles a et b, dont l’une b est mobile à l’aide d’une crémaillère d, et un prisme c achromatique très-petit et par conséquent très-mince, de cristal de roche, sont donc les seules pièces dont le nouvel instrument se compose (fig. 137). Pour avoir avec cet instrument la mesure d’une ligne quelconque dans quelque sens qu’elle soit placée relativement à la direction du mouvement diurne, il suffit de diviser l’angle invariable de la double réfraction dans le cristal par le grossissement auquel on s’était arrêté lorsque les deux images étaient tangentes, grossissement qui, pour chaque position de la lentille intermédiaire, a dû être déterminé par une expérience à part.

Tant d’astronomes et d’artistes habiles se sont occupés du perfectionnement des moyens d’observation ; tant d’instruments ont été exécutés ou décrits, surtout depuis un certain nombre d’années, qu’il semble à peine possible d’imaginer en ce genre une combinaison nouvelle, qui diffère essentiellement des combinaisons qui déjà ont été mises en pratique. Aussi depuis longtemps tous les perfectionnements, tous les changements qu’on a apportés dans la construction des nombreuses espèces d’instruments auxquelles, suivant les cas, l’astronome est forcé d’avoir recours, sont-ils, pour ainsi dire, de pure main d’œuvre ce qui au reste ne doit rien ôter de l’importance qu’on leur accorde, et qu’ils méritent effectivement. Cette assertion, dont la justesse sera sentie par tous ceux à qui l’histoire de l’astronomie est familière, et qui est surtout vraie lorsqu’il s’agit de micromètres, m’imposait l’obligation de faire précéder la description du micromètre que j’ai présenté au Bureau des Longitudes le 19 octobre 1814, d’un aperçu dans lequel je me suis efforcé de renfermer l’histoire exacte de cette classe d’instruments.

Dans mon micromètre oculaire à grossissement variable, la tangence des deux images s’obtient en faisant varier le grossissement de la lunette à l’aide d’un changement dans la distance des deux lentilles de l’oculaire composé. Ce changement de distance n’est pas sans inconvénient ; il faut après chaque altération dans la position des deux lentilles se remettre au foyer. Ajoutons que pour avoir le meilleur effet possible de l’oculaire double, il est nécessaire que les deux lentilles dont il se compose soient à une distance déterminée ; qu’en deçà et au delà de cette limite, les images perdent un peu de leur netteté ; qu’enfin ce procédé micrométrique est sans application possible, quand on veut faire usage d’oculaires simples et de très-forts grossissements.

Dans la disposition définitive que j’ai adoptée, toutes les difficultés s’évanouissent. Le prisme est toujours en dehors ; ses défauts ne sont jamais amplifiés. Le grossissement est invariable ; les plus courts oculaires simples, les oculaires biconcaves, trop négligés aujourd’hui, peuvent être employés. Des prismes un peu plus larges que la pupille, formant une série continue et se succédant, depuis les plus petits écartements des rayons ordinaires et extraordinaires jusqu’aux plus grands, se succédant par des variations de 30 secondes et même de 15 seulement, sont fixés par séries de sept, dans les ouvertures de pièces de cuivre, dans des fiches susceptibles de se mouvoir le long d’une rainure pratiquée sur la pièce (fig. 138) qui sert à adapter tout le système au porte-oculaire d’une lunette ou d’un télescope quelconque.
Fig. 138. — Micromètre oculaire à grossissement constant de M. Arago.
L’astronome n’a plus, en faisant passer la fiche devant ses yeux, qu’à chercher quel est le prisme qui lui donne deux images tangentes de l’objet qu’il observe ; il divise ensuite l’angle séparatif de ce prisme par le grossissement de la lunette. Quelquefois, un des prismes n’ayant pas assez séparé les images, le suivant les séparera trop. On n’aura donc que deux limites pour le diamètre cherché : ce sera leur moyenne qu’il faudra adopter. Voyons à combien se montera l’incertitude.

Avec des prismes se succédant par quinzaines de secondes, et avec un grossissement de 200, chaque mesure ne différera de celle que le prisme précédent aurait donnée, que de ou de sept centièmes de seconde ; l’incertitude de la moyenne n’irait guère qu’à quatre centièmes de seconde, quantité entièrement négligeable.

Cette forme de micromètre oculaire à double réfraction était déjà employée depuis quelques années à l’Observatoire de Paris, lorsque j’en ai communiqué la description à l’Académie des sciences en 1847. Je ne dois pas oublier de rendre justice à l’habileté vraiment remarquable qu’un de nos meilleurs constructeurs d’instruments d’optique, M. Soleil, a déployée dans l’exécution de la longue suite de prismes, en quelque sorte microscopiques, qui sont incrustés dans les fiches du micromètre. L’habileté devait être ici et elle a été effectivement accompagnée d’une grande modération dans les prix.

Pour ceux qui trouveraient longs et minutieux les détails dans lesquels je suis entré, je dirai avec Fontenelle que ce qui n’est dans l’astronomie que de pratique et de détail se trouve être cependant d’une extrême importance. La manière d’observer, qui n’est que le fondement de la science, est elle-même une grande science.

  1. De ἣλιος, soleil, et μἐτρον, mesure.