Astronomie populaire (Arago)/XIV/03

GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 81-87).

CHAPITRE III

taches, facules, forme sphérique du soleil et son mouvement
de rotation — équateur solaire


Le Soleil, observé à l’œil nu et même avec des lunettes, se présente sous la forme d’un disque circulaire plat. Mais, comme un corps lumineux sphérique, vu à l’immense distance qui nous sépare du Soleil, aurait exactement cette même forme apparente, il nous reste à chercher, dans les observations astronomiques, des phénomènes d’où l’on puisse déduire si le Soleil est un corps rond sphérique ou si, au contraire, il doit être assimilé à une surface plane circulaire. Voici comment cette question a été résolue.

En examinant attentivement le Soleil, en se servant de verres colorés qui affaiblissent sa lumière de manière que l’œil n’en puisse pas être offensé, on aperçoit quelquefois sur la surface de l’astre des taches noires, irrégulières et plus ou moins étendues. Ces taches font leur apparition au bord oriental du Soleil ; elles s’avancent graduellement vers le centre du disque circulaire apparent, l’atteignent au bout de sept jours environ à partir du moment de leur première apparition sur le bord oriental, le dépassent et vont disparaître au bord occidental, après un nouvel intervalle d’environ sept jours. Elles sont invisibles pendant un certain nombre de jours (quatorze environ), puis elles se montrent de nouveau sur le bord oriental, dans les points de leur apparition antérieure, et continuent leur course comme la première fois.

Supposons que les observations aient porté sur une tache qui, à l’instant de son passage par le centre du Soleil, était à peu près circulaire. Au moment où la tache s’était montrée au bord oriental de l’astre, loin d’être circulaire elle avait la forme d’un filet très-allongé, dont la dimension longitudinale ne différait pas ou différait à peine du diamètre de la tache à l’époque de son passage par le centre.

À partir du moment de son apparition et jusqu’à l’instant où la tache, devenue centrale, aura des dimensions égales dans tous les sens, le filet noir allongé deviendra graduellement de plus en plus large. Après le passage par le centre du Soleil, le diamètre transversal de la tache diminuera graduellement, comme il avait d’abord augmenté ; enfin, au moment où la tache atteindra le bord occidental, elle sera réduite à un filet presque rectiligne, comme à l’époque de son apparition au bord oriental.

Si on examine la quantité dont une tache se déplace en vingt-quatre heures, pendant son trajet apparent sur le disque du Soleil, on trouvera que cette quantité est petite lorsque la tache est près du bord oriental, qu’elle augmente à mesure que la tache se rapproche du centre, qu’au centre elle est à son maximum, qu’en suite elle diminue, suivant une loi pareille à celle de ses augmentations, de manière à devenir très-petite lorsque la tache est arrivée près du bord occidental du Soleil.

En marquant sur un cercle représentant le disque solaire, les positions successives du centre d’une tache, on trouve qu’en général l’ensemble de ces positions est contenu dans une demi-ellipse très-allongée ; que pendant six mois de l’année la convexité de l’ellipse est tournée vers la partie supérieure du Soleil, et que pendant les six mois suivants cette convexité se trouve dirigée vers la partie inférieure du même astre ; qu’enfin, à deux époques intermédiaires, les taches paraissent décrire des lignes droites.

Tous ces phénomènes peuvent s’expliquer si on suppose que les taches sont adhérentes au Soleil, et si l’on admet que cet astre est doué d’un mouvement de rotation sur lui-même, autour d’un axe peu différent d’une perpendiculaire au plan de l’écliptique. On se convaincra de la vérité de mon assertion en collant un papier noir de peu d’étendue sur la surface d’une sphère mobile, et en faisant tourner cette sphère uniformément autour de celui de ses axes qui est à peu près perpendiculaire au rayon visuel joignant l’œil de l’observateur et le centre de la sphère. Il est évident, quant aux dimensions transversales de la tache, qu’elles devront sembler d’autant plus petites qu’elles seront vues plus obliquement, que la tache sera plus près du bord de l’astre ; d’un autre côté, le mouvement diurne de la tache, supposé uniforme, paraîtra d’autant plus grand que l’arc parcouru se présentera à l’œil de l’observateur sous une direction plus voisine de la perpendiculaire, ou que cet arc aura une position plus centrale.

Nous devons faire remarquer que les phénomènes seraient absolument les mêmes, si des corps opaques, d’une très-mince épaisseur, tournaient uniformément autour du Soleil, à peu de distance de sa surface, et de manière à rester toujours perpendiculaires à la ligne menée du centre de l’astre au centre de cette espèce de disque opaque.

Peu de temps après la découverte des taches, les partisans des théories d’Aristote crurent pouvoir concilier ces théories avec les faits à l’aide de la supposition précédente. Il est clair, en effet, que dès le moment où ces corps opaques, en vertu de leurs mouvements, se projetteraient hors du disque du Soleil, ils deviendraient invisibles dans l’océan de lumière réfléchie par les couches atmosphériques terrestres dont l’astre radieux est entouré.

Heureusement, indépendamment des taches noires dont nous venons de parler, on aperçoit quelquefois sur le disque solaire des taches d’une nature tout opposée, qu’on a appelées des facules[1], et dont la lumière est supérieure à celle de la généralité de la surface de l’astre. On ne pourrait donc pas dire de ces taches que lorsqu’elles se projetteraient au delà des limites du disque, elles deviendraient invisibles. Or, ces facules présentent exactement les mêmes phénomènes que les taches noires quant aux inégalités de vitesse qu’elles éprouvent en traversant le disque solaire d’un bord à l’autre. Ainsi il demeure établi irrévocablement que le Soleil est doué d’un mouvement de rotation sur son centre. Ce mouvement, dirigé de l’orient à l’occident, n’est que la continuation du mouvement qui, sur l’hémisphère invisible, est dirigé de l’occident à l’orient.

Le temps qui s’écoule entre deux apparitions consécutives d’une tache au bord oriental du Soleil, ou entre deux disparitions successives d’une tache au bord occidental, ou encore, si l’on veut, l’intervalle de temps qui s’écoule entre deux passages consécutifs d’une tache par le centre du disque apparent, est d’environ 27j,5

Au premier aspect on est disposé à regarder ce temps comme égal à celui de la rotation réelle du Soleil, mais avec un peu de réflexion on voit que ce serait là une erreur.

Fig. 139. — Détermination de la durée de la rotation du Soleil.

En effet, soient T la Terre, C le centre du Soleil, ABD sa circonférence (fig. 139). Le Soleil paraît animé d’un mouvement de translation elliptique autour de la Terre, de droite à gauche. Une tache s’est montrée une première fois dans la direction TVC aboutissant au centre. Après environ 27 jours 1/2 la tache se présentera de nouveau, suivant la direction TV′C′ d’un rayon joignant l’observateur et le centre du Soleil ; cet astre se sera ainsi avancé dans son orbite jusqu’en C′. Mais le mouvement circulatoire avait eu lieu en entier lorsque le diamètre AD était parvenu en A′D′ dans une position parallèle à AD. Le rayon TV′C′ qui, dans la nouvelle position du Soleil, doit marquer le centre apparent du disque, rencontre donc la surface matérielle de l’astre en un point V′, plus occidental que le point V, actuellement V″, dans lequel le rayon visuel avait rencontré cette même surface 27 jours 1/2 auparavant. Donc le temps de la révolution réelle sera inférieur au temps de la révolution apparente du temps dont la tache aura eu besoin pour parcourir sur la surface solaire l’arc V″V′. Ce temps est égal à environ deux jours. En le retranchant des 27 jours 1/2, durée de la révolution apparente, on aura 25 jours 1/2 pour le temps que la tache a employé à revenir au même point que dans la première observation, c’est-à-dire pour la durée de la rotation réelle du Soleil.

Ce temps nécessaire pour parcourir l’arc V″V′, et que nous venons d’évaluer à deux jours, s’obtient par un calcul très-simple. En effet, chaque rotation apparente du Soleil ayant lieu en 27j,5, il y a par année de 365,25638 jours solaires moyens un nombre de rotations apparentes égal à ou 13,282.

L’observateur est dans le cas d’un voyageur qui ferait le tour de la Terre en sens contraire du mouvement diurne, et qui au point de départ aurait fait un tour de moins que le globe lui-même. Il y a donc 14,282 rotations réelles dans l’année sidérale, une de plus que de rotations apparentes ; la durée de chaque rotation réelle est en conséquence de ou 25j,5. On voit que la différence à 27j,5 est bien d’environ 2 jours solaires.

Les résultats obtenus par divers observateurs pour la durée de la rotation réelle du Soleil sont un peu différents les uns des autres ; cela tient à ce que, les taches se déformant, l’astronome n’a pas toujours visé au même point, ou bien encore à ce que, outre le mouvement de révolution générale qui les entraîne, les taches sont assujetties à un petit déplacement propre, tantôt dans un sens, tantôt dans le sens contraire, analogue au mouvement propre des nuages terrestres.

Le plan passant par le centre du Soleil et perpendiculaire à l’axe autour duquel cet astre fait sa révolution sur lui-même, s’appelle l’équateur solaire. L’équateur solaire est incliné sur le plan de l’écliptique d’environ 7°. La trace de cet équateur passe par deux points diamétralement opposés et distants de l’équinoxe de printemps de 75° et de 255°.

  1. Le mot latin facula signifie flambeau.