Astronomie populaire (Arago)/III/24

GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 146-154).

CHAPITRE XXIV

des télescopes


L’image que fournissent les miroirs concaves (chap. iii) peut être observée de près avec un verre grossissant, comme nous l’avons dit lorsqu’il s’agissait de l’image formée au foyer d’une lentille objective.

Mais dans le cas de la lentille objective, les rayons partant de l’objet et se réunissant au foyer n’avaient rencontré sur leur route aucun corps opaque qui les arrêtât, il n’en est pas de même du cas actuel.

L’observateur qui, pour examiner l’image focale d’un miroir concave, se placerait en face de cette image armé de sa loupe oculaire, arrêterait par sa tête une très-grande partie des rayons destinés à tomber sur le miroir. Conséquemment, au lieu d’examiner l’image dans sa position naturelle, on la réfléchit latéralement à l’aide d’un petit miroir qui, n’ayant pas besoin d’être plus grand que l’image elle-même, n’intercepte qu’une petite partie des rayons tombant sur le miroir principal. C’est dans cette position latérale que l’image est observée avec des lentilles oculaires semblables à celles dont nous nous sommes servis dans les lunettes astronomiques.

Cette disposition constitue ce qu’on appelle le télescope de Newton.

Dans un pareil télescope, dont les figures ci-jointes donneront une idée exacte (fig. 79 et 80), l’observateur regarde perpendiculairement à la ligne qui va du point qu’il occupe à l’objet observé.

Fig. 79. — Vue du télescope de Newton[1].
Fig. 80. — Coupe du télescope de Newton[2].

Il est une autre forme de ces télescopes qu’on appelle la forme grégorienne et qui diffère à certains égards de celle adoptée par Newton.

Dans la forme grégorienne (fig. 81 et 82), on place un peu au delà de l’image focale un miroir dont les dimensions n’ont pas besoin d’être considérables ; ce miroir perpendiculaire cette fois à l’axe du téléscope n’est plus plan, il a une courbure sphérique telle que l’image fournie par le premier miroir, après s’être réfléchie dans le petit miroir concave, fournit une seconde image, laquelle va se former au dehors de l’instrument par un trou pratiqué au centre du grand miroir ; c’est là que la lentille oculaire s’en saisit pour le grossir.

Quand on observe avec un télescope grégorien, l’observateur est donc placé, par rapport aux astres, comme s’il se servait d’une lunette.


Fig. 81. — Vue du télescope de Grégory[3].

Il est évident, par ce qui précède, que les télescopes ne diffèrent des lunettes qu’en ce que les images des objets éloignés destinées à être grossies par la lentille oculaire, au lieu d’être formées par voie de réfraction, le sont par réflexion. Voyons si ces nouvelles images présentent sur les premières quelque avantage manifeste.

L’intensité de l’image focale dépend de l’intensité des rayons qui se réunissent dans chacun de ses points. Plus ces rayons sont nombreux et plus, les circonstances restant les mêmes, cette image aura d’éclat. Or, le nombre de rayons qui se réunissent au foyer du miroir d’un télescope, en chaque point de l’image d’un objet, sera toujours proportionnel à la surface de ce miroir. Mais comme on construit des miroirs de télescope de dimensions beaucoup plus étendues que celles qu’on est parvenu à donner aux objectifs des lunettes, les images focales auront plus d’éclat dans les télescopes que dans les lunettes, et elles seront dès lors susceptibles de supporter de plus fortes amplifications.

Cependant il est nécessaire de faire subir par la pensée une réduction assez considérable à l’image télescopique quand on veut la comparer à l’intensité de l’image formée au foyer d’une lunette.

Fig. 82. — Coupe du télescope de Grégory[4].

Supposons que le miroir d’un télescope de Newton ou de Grégory ait une étendue superficielle égale à huit fois l’étendue superficielle d’un objectif : l’image focale du télescope semblerait devoir être en intensité égale à huit fois celle de l’image de la lunette. Il n’en est rien cependant ; et cela tient à ce que les miroirs les mieux polis ne réfléchissent pas la totalité de la lumière qui tombe sur leur surface. Admettons, ce qui n’est pas très loin de la vérité, que la lumière réfléchie par un métal poli ne soit que la moitié de la lumière incidente, l’image focale d’un télescope n’aura alors que la moitié de la vivacité qu’elle aurait eue si une portion notable de la lumière incidente ne s’était absorbée dans l’acte de la réflexion. Mais les rayons de l’image focale ne parviennent à la place où la lentille oculaire doit se saisir de l’image pour la grossir, qu’après avoir été réfléchis sur un second miroir métallique. La première réflexion avait réduit l’intensité de l’image à moitié, la seconde réflexion devant éteindre la lumière dans la même proportion, il n’en restera plus dans l’image définitive placée au foyer de la lentille oculaire que la moitié de la moitié, ou un quart.

Les rayons qui passent perpendiculairement à travers le verre diaphane dont est formé l’objectif d’une lunette, n’éprouvent presque pas d’affaiblissement ; on voit donc que pour comparer sous le rapport de l’intensité un télescope à une lunette proprement dite, il faut réduire, par la pensée, la surface du télescope au quart de ses dimensions réelles.

Nous avons vu précédemment (chap. ix) que par un défaut qu’on a appelé l’aberration de sphéricité, les rayons parallèles qu’embrasse la surface d’un objectif sphérique ne se réunissent pas tous dans des foyers mathématiques, et qu’il résulte de cette aberration une certaine diffusion dans les images qu’on ne parvient à atténuer, sinon à faire totalement disparaître, qu’en donnant aux surfaces de l’objectif une forme approchant plus ou moins de la forme parabolique ou hyperbolique. Cette même aberration existe dans les images télescopiques formées au foyer de miroirs sphériques ; on ne peut parvenir à la détruire, ainsi que Descartes l’a démontré, qu’en donnant à la surface réfléchissante une courbure parabolique ou hyperbolique. Mais hâtons-nous de signaler le principal avantage des images formées par réflexion sur celles qu’on obtient à l’aide de lentilles de verre simple. Ces dernières sont multiples à cause de l’inégale réfraction des rayons de différentes couleurs, ce qui donne lieu à une intolérable diffusion. Les rayons de toutes les couleurs n’étant point séparés les uns des autres par la réflexion, les images télescopiques sont totalement exemptes de l’aberration dite de réfrangibilité.

Disons pourquoi on n’a pas renoncé à construire des télescopes, quoiqu’on ait découvert depuis longtemps les moyens de parer à l’aberration de réfrangibilité.

Si dans la masse de verre destinée à la construction d’un objectif de lunette, il y a çà et là des stries, elles donnent lieu à des réfractions irrégulières qui troublent considérablement la netteté des images. La même diffusion peut résulter d’une inégale réfringence dans les diverses parties vitreuses dont la masse se compose.

Un défaut d’homogénéité dans la masse métallique destinée à la construction d’un miroir de télescope, n’a pas les mêmes conséquences, puisque les rayons se réfléchissent suivant les mêmes lois, quelle que soit la densité ou la contexture d’un métal. On peut craindre seulement qu’en polissant le métal, les parties différentes par leur dureté ne s’entassent diversement, et qu’elles ne fassent pas partie, quand le travail est achevé, d’une seule et même courbe régulière.

Si l’on me demandait maintenant pourquoi les télescopes à réflexion ne sont pas appliqués aux instruments divisés, je répondrais que cela tient à leur poids beaucoup plus grand que celui des lunettes proprement dites, et à la difficulté de maintenir le miroir dans une position parfaitement invariable par rapport au tuyau qui le renferme.

Le poids du télescope dépend de l’épaisseur considérable qu’on est obligé de donner au miroir, sans quoi sa courbure change très-sensiblement, même par le plus léger changement de pression dans un point particulier de la surface.

  1. Le miroir concave placé au fond du tube fournit une image que le miroir plan b placé vers l’orifice réfléchit latéralement pour que l’œil puisse l’observer avec l’oculaire d. On dirige l’instrument à l’aide du chercheur a, en soulevant le cadre m dans des coulisses à l’aide de la manivelle h. En avant on fait aussi mouvoir l’instrument de haut en bas ou de bas en haut par les engrenages g et f, qui permettent des mouvements lents ou rapides. On le fait enfin marcher de droite à gauche ou de gauche à droite à l’aide de l’engrenage e.
  2. Le miroir M placé au fond du tube fournit une image qui, avant la réunion des rayons lumineux C′MN à son foyer, est réfléchie par le miroir N incliné à 45° par rapport à l’axe du tube. Ce miroir N renvoie l’image en ab ; la lentille oculaire o la fait voir en a′b′.
  3. a est une lunette qu’on nomme un chercheur ; b est l’oculaire, qu’on approche ou qu’on éloigne pour l’approprier à la vue de l’observateur. — L’instrument est monté sur un pied autour duquel il peut tourner.
  4. Le miroir concave placé au fond du tube donne son image en a entre le foyer f et le centre o d’un second miroir concave N très petit placé près de l’orifice du tube O. Le miroir N fournit alors une image en ab vers le fond du tube, où une lentille oculaire MI′ adaptée à la vision distincte de l’observateur fait voir l’image de l’astre grossie et droite en a′b′.