Astronomie populaire (Arago)/XIII/07

GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 33-36).

CHAPITRE VII

de la cause des mouvements propres des étoiles


Herschel n’abandonnait aucun sujet de recherches sans l’avoir examiné sous toutes les faces, sans avoir porté ses investigations aussi loin que l’état des sciences à son époque le permettait. Il ne faut pas s’étonner qu’après s’être assuré que notre Soleil n’est pas immobile dans l’espace, Herschel ait désiré rattacher le mouvement de cet astre, déduit de l’ensemble des observations, à l’action attractive de quelque groupe stellaire.

Dès les premières lignes de calcul, la recherche semble devoir conduire à un résultat négatif. En effet, faisons de Sirius un astre égal au Soleil, supposons sa parallaxe annuelle d’une demi-seconde ; calculons ensuite de combien, par l’action de l’étoile, le Soleil se déplacera en un an. Ce déplacement sera si petit que, vu perpendiculairement, il ne sous-tendrait pas de Sirius un angle égal à la cinq-cent-millionième partie d’une seconde. Sirius cependant, vu de la Terre, se meut en un an de plus d’une seconde (chap. i). L’action d’une seule étoile sur le Soleil est donc beaucoup trop faible pour expliquer les faits.

Des groupes d’étoiles ne pourraient-ils pas être suffisants pour rendre compte de la translation du système solaire ? En cherchant dans le ciel la solution de ce doute, Herschel tomba sur une petite tache blanche, découverte par Halley en 1714, entre ζ et η d’Hercule (fig. 122), dans laquelle personne n’avait jamais aperçu une seule étoile, et où le télescope de 12 mètres en fit voir plus de 14 000 qui auraient pu être comptées.

À quelque distance de cette première agglomération se trouve une autre tache aperçue par Messier en 1781, et dans laquelle le grand télescope démontrait aussi l’existence d’une multitude d’étoiles excessivement rapprochées.

Il y a sans doute loin encore d’une trentaine de mille étoiles, à ce qu’il en faudrait pour produire dans notre système le mouvement reconnu. Aussi, quoique les deux groupes dont il vient d’être question soient précisément situés dans la partie du firmament vers laquelle notre soleil se dirige, Herschel se garda bien d’insister sur cette coïncidence. Pour ne point décourager, cependant, ceux qui voudraient tenter de rattacher les étoiles les unes aux autres, malgré les prodigieuses distances qui les séparent, il leur rappelait que certaines parties de la Voie lactée offrent, dans des espaces fort resserrés, des centaines de mille et même des millions de ces astres. Les régions où les deux branches de la Voie lactée vont se réunir, d’une part vers Céphée et Cassiopée, de l’autre vers le Scorpion et le Sagittaire, » lui semblaient particulièrement pouvoir être des centres d’attraction puissants, et mériter toute l’attention des astronomes.

« L’attraction, disait Lambert dans ses Lettres cosmologiques (1761), étend son empire sur tout ce qui est matériel. Les étoiles elles-mêmes gravitent les unes vers les autres, et il doit inévitablement en résulter des déplacements. Là où la force d’attraction sera contre-balancée par une force centripète convenable, les étoiles parcourront sans cesse les mêmes courbes, et le système sera stable. »

Les idées cosmogoniques que ces paroles supposent, conduisent à admettre que le Soleil, centre, régulateur des mouvements planétaires, peut être assimilé à ce pauvre globe terrestre dont un illustre poëte, M. de Lamartine, a dit :

Lorsque du Créateur la parole féconde
Dans une heure fatale eut enfanté le monde
Des germes du chaos,
De son œuvre imparfaite il détourna sa face,
Et, d’un pied dédaigneux le lançant dans l’espace,
Rentra dans son repos.

Lambert, quand il parlait de la difficulté du problème, admettait, sans doute, que les mouvements de rotation des corps célestes, pouvaient ne pas avoir été engendrés d’un seul coup, par une impulsion unique et après la consolidation entière de ces corps. Peut-être même le célèbre géomètre de Mulhouse entrevoyait-il déjà quelque chose du système que Laplace a postérieurement développé touchant la condensation successive d’une matière diffuse rotative, condensation dont le dernier terme aurait été le Soleil actuel.

Voici, du reste, une manière frappante de montrer que si l’attraction établit entre tous les corps du monde physique des liaisons nécessaires, inévitables, ces liaisons deviennent d’une faiblesse extrême quand les distances dépassent certaines limites. En supposant le Soleil et Sirius de même masse, et éloignés l’un de l’autre à une telle distance que le diamètre de l’orbite terrestre ne sous-tendît, vu de Sirius, qu’une seule seconde, les deux astres tomberaient l’un vers l’autre avec une si grande lenteur, qu’il leur faudrait, d’après le calcul d’Herschel, plus de 33 millions d’années pour se réunir.