Astronomie populaire (Arago)/XIII/01

GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 19-22).

CHAPITRE PREMIER

mouvements propres des étoiles


Les étoiles s’appelaient jadis les fixes, d’après l’opinion généralement admise qu’elles restaient toujours dans les mêmes positions relatives. Pour ceux qui n’observaient le ciel qu’à l’œil nu, les constellations conservaient, en effet, perpétuellement les mêmes grandeurs et les mêmes formes. Quelques astronomes s’étaient fortifiés dans ces idées en notant sur les globes tracés d’après les plus anciens catalogues, diverses combinaisons de trois étoiles qui, situées exactement sur un grand cercle de la sphère, devaient sembler rangées en lignes droites, et ils s’assurèrent que de leur temps cette même disposition rectiligne existait. Riccioli citait dans son Astronomia reformata vingt-cinq de ces combinaisons ternaires formant des lignes droites ; par exemple : la Chèvre, le pied précédent du Cocher et Aldebaran ; Castor, Pollux et le cou de l’Hydre ; le bassin austral de la Balance, Arcturus et la moyenne de la queue de la Grande Ourse, etc. Mais ce n’étaient là que des approximations grossières. Il est maintenant établi que certaines étoiles ont un mouvement propre angulaire apparent appréciable, qu’elles ne gardent pas les mêmes positions les unes par rapport aux autres, qu’elles finiront à la longue par sortir des constellations où on les voit aujourd’hui, que la dénomination de fixes ne leur convient pas.

Je vais indiquer quelques-unes des étoiles dans lesquelles les mouvements propres annuels sont constatés avec le plus d’exactitude.

Nous rangeons ces étoiles dans le tableau suivant, d’après l’ordre de l’importance des mouvements propres annuels observés :

Noms
des étoiles.
Grandeurs des étoiles. Valeurs
des mouvements propres.
La 2151e de la Poupe du Navire 
6e 7",871
ε de l’Indien 
6e à 7e 7 ,740
La 1830e du catalogue des étoiles circompolaires de Groombridge, située sur la limite qui sépare les Chiens de chasse de la Grande Ourse 
7e 6 ,974
L’étoile double du Cygne, marquée la 61e 
5e à 6e 5 ,123
Étoile double δ de l’Éridan 
5e à 4e 4 ,080
μ de Cassiopée 
4e 3 ,740
α du Centaure 
1re 3 ,580
Arcturus 
1re 2 ,250
Sirius 
1re 1 ,234
ι de la Grande Ourse 
3e à 4e 0 ,766
La Chèvre 
1re 0 ,461
Wéga 
1re 0 ,400
Aldebaran 
1re 0 ,185
La Polaire 
2e 0 ,035

Il était assurément bien naturel de supposer que les mouvements propres seraient plus considérables dans les étoiles brillantes que dans les étoiles faibles. Cela s’est trouvé vrai dans beaucoup de cas ; mais, chose singulière, les plus forts mouvements propres connus appartiennent à des étoiles très-peu brillantes, et on peut dire qu’aucune étoile de première grandeur ne marche avec une vitesse comparable aux vitesses des étoiles de sixième et septième grandeurs qui se trouvent en tête du tableau précédent.

Les astronomes croyaient jusqu’à ces dernières années que le mouvement propre de chaque étoile s’exécutait dans le même sens ou en ligne droite, et avec une vitesse uniforme. On a récemment élevé des doutes sur la réalité de cette conception théorique, du moins en ce qui concerne Procyon et Sirius. En discutant les positions de ces étoiles correspondantes à des époques bien choisies, Bessel a cru trouver, quant à la vitesse du mouvement propre de ces deux astres et quant à leur direction, des irrégularités manifestes et qui l’ont conduit à supposer que l’une et l’autre de ces étoiles circulent à la manière des étoiles doubles autour de centres d’attraction obscurs situés dans leur voisinage. M. Struve, qui est aussi une autorité, a élevé des doutes sur les résultats obtenus par le directeur de l’Observatoire de Kœnisberg. Des observations ultérieures décideront la question.

Si l’on calcule en lieues, d’après les distances à la Terre que nous avons données précédemment pour quelques étoiles (liv. ix, chap. xxxii) les valeurs des mouvements propres de ces mêmes étoiles que nous venons d’exprimer en secondes de degré, on arrive aux chiffres suivants qui méritent de fixer l’attention du lecteur :

Noms
des étoiles.
Vitesses par seconde
de temps.
Lieues
Arcturus 
21,34
61e du Cygne 
17,90
La Chèvre 
10,47
Sirius 
9,89
ι de la Grande Ourse 
6,75
α du Centaure 
4,73
Wéga ou α de la Lyre 
1,83
La Polaire 
0,40

On voit ainsi que les corps que l’on avait cru pouvoir considérer, dans l’univers où tout s’agite, comme un exemple de la fixité, sont précisément ceux qui présentent les plus grandes vitesses dont on ait trouvé jusqu’ici la matière animée. Et encore doit-on remarquer que les nombres contenus dans le tableau précédent ne mesurent que des déplacements relatifs du Soleil et de chaque étoile, qu’ils ne représentent pas les valeurs absolues des mouvements propres des astres, si improprement appelés fixes, qu’ils n’expriment que les projections des vitesses stellaires sur une sphère factice, et que nous ne connaissons ni les directions ni les valeurs absolues de mouvements dont la rapidité étonne l’imagination.