Astronomie populaire (Arago)/VIII/09

GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 335-342).

CHAPITRE IX

sur les moyens de connaître les constellations des anciens


Nous avons dit que dans les 48 constellations qui nous ont été transmises par Ptolémée, il y en avait 12 dans la région intermédiaire, entre le nord et le midi, lesquelles dans leur ensemble faisaient le tour entier du ciel. Si ces constellations occupaient chacune exactement, comme le vulgaire le suppose, une étendue de 30 degrés, ce qui est , il suffirait, pour passer d’une de ces constellations à la suivante, de parcourir, à partir de l’étoile la plus orientale de la première, un intervalle de 30 degrés ; mais cette égalité des douze constellations est loin d’être exacte, comme nous l’avons annoncé (chap. vii). Ainsi, dans Ptolémée, le Cancer, par exemple, n’avait que 14°, en ne comptant pas les étoiles informes ; la Vierge empiétait sur le Lion et sur la Balance, etc. Néanmoins on pourra très-utilement se servir de l’ordre dans lequel ces douze constellations se succèdent pour passer de l’une d’entre elles à la constellation la plus orientale.

Il faut donc se graver cet ordre dans la mémoire. Nous répétons les noms de ces constellations, en marchant de l’ouest à l’est : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons.

Les deux vers latins suivants du poëte Ausone donnent ces douze noms dans le même ordre :

Sunt Arias, Taurus, Gemini, Cancer, Léo, Virgo,
Libraque, Scorpius, Arcitenens, Caper, Amphora, Pisces.

Dans ces douze constellations il en est plusieurs, le Taureau, le Lion, le Scorpion, qu’il suffit d’avoir vues une fois pour les reconnaître toujours ; à l’aide de celles-là, par une sorte d’interpolation, on pourra trouver à peu près la place des autres.
Hors-Texte : Fig. 102. — Carte Celeste de l’Hémisphère Boréal.
Hors-Texte : Fig. 103. — Carte Celeste de l’Hémisphère Austral.

Le meilleur moyen pour connaître et retrouver les constellations ou astérismes, consiste à comparer le ciel avec des cartes célestes exactes, telles que celles que nous donnons (fig. 102 et 103), mais plus développées ; ce sont des sortes de miniatures du firmament où, proportions gardées, les étoiles sont représentées dans leurs vraies positions relatives. Cependant, comme il est très utile, surtout en voyage, quand on n’a pas de cartes sous la main, d’avoir quelques points de repère, je vais indiquer les principaux groupes étoilés qui peuvent être retrouvés par des alignements en partant de la Grande Ourse, constellation connue de tout le monde et constamment visible dans nos climats.

Fig. 105. — Constellation de la Grande Ourse.

Les principales étoiles de la Grande Ourse ont presque toutes le même éclat et sont disposées ainsi que le montre la figure 105.

Les étoiles α, β, γ, δ}, sont dans le corps de la Grande Ourse ; les étoiles ξ, ζ, η}, dessinent la queue.

Dans la Grande Ourse α et β s’appellent les gardes. Presque toutes les étoiles de cette belle constellation ont reçu en outre chacune un nom particulier ; ces noms, quoique peu en usage, sont cités et employés par quelques astronomes. Ce sont :

Pour α, Dubhé,
β, Mérak,
γ, Phegda,
δ, Mégrez,
Pour ξ, Alioth,
ζ, Mizar,
η, Ackaïr ou Benetnasch.

Les petites étoiles ο, τ, η, υ, etc., placées à peu près en demi-cercle convexe par rapport au carré principal α ϐ γ δ, forment la tête de l’Ourse. Les étoiles des pattes se nomment λ et μ Tania, ν et ξ Alula, ι Talita.

Il y a lieu de citer aussi une petite étoile de cinquième à sixième grandeur, nommée Alcor, qui se trouve dans la queue de la Grande Ourse, à 11′ 84″ de distance de Mizar, dont l’éclat paraît l’éclipser. Mon ami Alexandre de Humboldt fait remarquer que les Arabes l’appelaient Saidak, c’est-à-dire l’épreuve, parce qu’ils s’en servaient pour éprouver la perte de la vue.

Ceux qui voient dans cet astérisme un chariot (le chariot de David) considèrent les étoiles α, β, γ, δ, comme représentant les quatre roues ; les trois suivantes, ε, ζ, η, figurent le timon.

Hors-Texte : Fig. 106. — Carte Celeste de l’Horizon de Paris.
Remarquons cependant que cette assimilation est bien défectueuse, car le timon est courbe et implanté dans le chariot en un point correspondant à l’une des roues[1].

La ligne β α, prolongée du côté d’α, quelle que soit d’ailleurs la position de la constellation, passe près d’une étoile isolée de deuxième à troisième grandeur. Cette étoile est la Polaire actuelle, que nous montre la figure 106, figure qui va nous servir à retrouver toutes les constellations importantes visibles sous le ciel de Paris.

La Polaire est la troisième étoile du timon ou de la queue, dans une constellation semblable à la Grande Ourse, plus petite qu’elle, placée en sens inverse, et qu’on appelle Petite Ourse.

Cassiopée est une constellation fort remarquable, qui renferme plusieurs étoiles de deuxième grandeur ; elle est toujours directement opposée à la Grande Ourse, relativement à l’étoile polaire. Ainsi, quand la Grande Ourse est dans le point le plus élevé de sa course diurne, Cassiopée est voisine de l’horizon et réciproquement ; si la Grande Ourse brille à l’orient, Cassiopée se voit à l’occident de la Polaire. La ligne menée de ε de la Grande Ourse à la Polaire va toujours passer au milieu de Cassiopée. Les six ou sept étoiles les plus apparentes de cette constellation forment un Y dont la branche verticale serait un peu brisée, ou si l’on veut une chaise renversée. Mais quoi qu’il en soit de ces formes, on retrouvera toujours la constellation à l’aide des simples alignements que je viens de rapporter.

La ligne α β, qui nous a fait connaître la Polaire, prolongée au delà du pôle, traverse la constellation de Pégase. Les étoiles qui occupent les quatre angles du carré sont de seconde grandeur. La plus méridionale est α de Pégase ou Markab ; l’étoile placée sur l’angle opposé à Markab, qui forme ce qu’on appelle le carré de Pégase, est α d’Andromède. Sur le prolongement de la ligne qui joint α de Pégase à α d’Andromède, se trouvent les étoiles β et γ de cette dernière constellation ; plus loin, dans le même sens, mais un peu plus près du pôle, on rencontre α de Persée. Le carré de Pégase, joint à β et γ d’Andromède et à α de Persée, forme un groupe semblable à la Grande Ourse.

α de Persée est aussi sur le prolongement de la ligne α δ, passant par les deux dernières de la queue de la Petite Ourse ; ou bien encore sur la ligne α γ de la Grande Ourse. Cette dernière ligne, prolongée un peu au delà de α de Persée, rencontre β de la même constellation ou Algol, étoile très-remarquable dont nous n’indiquons pas la grandeur parce que son éclat varie considérablement. Nous en parlerons en son lieu. Algol est aussi l’étoile brillante de la tête de Méduse.

La ligne α β prolongée d’un arc d’environ 45° vers β, c’est-à-dire à l’opposite de la Polaire, fait connaître une étoile de première grandeur située à l’angle occidental de la grande base d’un vaste trapèze. Cette étoile est α du Lion, autrement dit Régulus. À l’autre angle de la même base du trapèze, vers l’orient, brille β du Lion ou Dénébola, étoile de seconde grandeur.

Le côté δ α du carré de la Grande Ourse, prolongé dans la direction opposée à la queue ou au timon, passe sur une étoile de première grandeur, occupant un des angles d’un pentagone irrégulier. Cette étoile est α du Cocher ou la Chèvre.

Remarquons que l’étoile située à l’angle méridional du pentagone n’appartient pas au Cocher et fait partie d’une autre constellation. Cette étoile est β du Taureau. On l’appelle aussi la corne boréale du Taureau. En prolongeant δ α de la Grande Ourse, on rencontre en outre Aldebaran, ou α, ou l’œil du Taureau. Dans cette constellation du Taureau on voit les Pléiades et les Hyades.

La diagonale α γ du carré de la Grande Ourse, prolongée du côté de γ, passe par α ou l’Épi de la Vierge.

La diagonale δ β du même carré passe entre deux étoiles remarquables ; ce sont α et β des Gémeaux, ou Castor et Pollux.

Sur le prolongement de la ligne passant par la Polaire et par Pollux, on rencontre Procyon ou α du Petit Chien.

La ligne ζ η joignant les deux dernières étoiles du timon du chariot ou de la queue de la Grande Ourse, passe près d’une étoile de première grandeur. Cette étoile est α du Bouvier ou Arcturus.

La constellation la plus belle du ciel est celle d’Orion, puisqu’elle contient deux étoiles de première grandeur et plusieurs étoiles de seconde ; on la rencontre dans la direction de la ligne passant par l’Étoile polaire et par la Chèvre. Les trois étoiles en ligne droite situées dans le milieu de la constellation, les trois étoiles formant ce qu’on appelle le baudrier, prolongées vers l’orient, rencontrent Sirius ou α du Grand Chien. Sirius se trouve aussi sur le prolongement de la diagonale δ β du carré de la Grande Ourse, qui nous a déjà indiqué les Gémeaux. À l’extrémité méridionale du carré d’Orion se trouve Régulus ou le Cœur ou α du Lion ; Dénébola ou β se trouve dans la queue de cette constellation.

Au nord de la Petite Ourse, presque dans le prolongement de la direction de la Polaire et de la Chèvre, on rencontre Wéga, ou α de la Lyre, et à côté, on voit la constellation du Cygne, composée de cinq étoiles formant une croix.

Sur le prolongement de la droite passant par δ de la Grande Ourse, par la Polaire et α d’Andromède, se trouve sur l’équateur l’équinoxe du printemps.

Aldebaran du Taureau, Antarès du Scorpion, Régulus du Lion et Fomalhaut du Poisson austral, partagent le ciel en quatre parties presque égales. Ces quatre étoiles, très-brillantes et très-remarquables, appelées aussi étoiles royales, étaient sans doute les quatre gardiens du ciel des Perses, 3 000 ans avant J.-C. Alors Aldebaran était dans l’équinoxe du printemps et gardien de l’est ; Antarès, ou le cœur du Scorpion, se trouvait précisément dans l’équinoxe d’automne et était le gardien de l’ouest ; enfin Régulus n’était qu’à une petite distance du solstice d’été, et Fomalhaut à une petite distance du solstice d’hiver, de manière à désigner pour les Perses le midi et le nord. On voit ainsi combien changera, dans les siècles futurs, le point que nous avons désigné comme étant aujourd’hui l’équinoxe du printemps.

  1. Les Iroquois, dit Goguet, connaissaient la Grande Ourse au moment de la découverte de l’Amérique ; ils la désignaient par le terme okouari, c’est-à-dire l’ours.