Astronomie populaire (Arago)/II/07

GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 46-49).

CHAPITRE VII

des clepsydres


Les clepsydres, suivant toute apparence, sont d’une date encore plus ancienne que les cadrans solaires.

Les clepsydres sont des horloges à l’aide desquelles le temps se mesurait par des effets dépendants de l’écoulement de l’eau.

Désirait-on régler la durée des discours que des orateurs, des avocats, devaient prononcer devant une assemblée du peuple, devant un tribunal, etc. ; on se servait de vases ayant des volumes déterminés et qui étaient remplis d’eau : le temps que le liquide mettait à s’écouler entièrement fixait la durée voulue.

Plusieurs orateurs devaient-ils parler successivement, les autorité assignaient d’avance une clepsydre à chacun d’eux. De là les expressions : on en est encore à la première, à la seconde, à la troisième eau ; vous empiétez sur mon eau, etc. Il y a dans les discours de Démosthène, de Cicéron, des allusions à cette manière de fixer la durée des discours. Les préposés à l’observation des clepsydres favorisaient leurs amis et nuisaient à leurs adversaires, soit en altérant le diamètre de la petite ouverture par laquelle l’écoulement s’opérait, soit en changeant la capacité du vase renfermant le liquide à l’aide de masses de cire qu’ils fixaient subrepticement aux parois intérieures de ce vase, ou qu’ils enlevaient sans qu’on s’en aperçût.

Fig. 16. — Clepsydre de Ctésibius
restituée par Perrault.
Fig. 17. — Coupe de la clepsydre
de Ctésibius.

Dans certaines clepsydres, le temps était mesuré, non par l’écoulement total de l’eau, mais par le changement de son niveau. Dans d’autres, dans celles de Ctésibius, l’eau écoulée devenait une force motrice qui, par exemple, allant remplir successivement les divers augets d’une roue, produisait dans cette roue un mouvement de rotation, lequel se communiquait ensuite à un système de roues dentées (fig. 16 et 17[1]). La force motrice résultait, dans d’autres horloges, du mouvement ascensionnel du liquide qui se déversait dans un verre fixe fermé. Un flotteur placé dans ce vase soulevait une crémaillère ; celle-ci, engrenant avec un pignon, faisait tourner un ensemble de roues dentées qui donnaient naissance à des effets très-variés. Ctésibius vivait vers le milieu du second siècle avant l’ère chrétienne. La machine que Scipion Nasica fit ériger, pendant qu’il était censeur, pour subdiviser la durée du jour, fonctionnait, d’après Pline et Censinorus, par l’intermédiaire d’un courant d’eau (Pline, liv. vii, chap. ix). C’était donc une clepsydre, et non un cadran solaire, comme on le suppose ordinairement. La clepsydre de Scipion Nasica était dans un lieu couvert. Pline en fixe l’exécution à l’an 595 de Rome (172 avant J.-C.).

  1. Les figures 16 et 17 représentent l’une l’extérieur, l’autre l’intérieur de la clepsydre de Ctésibius, dans la forme que Claude Perrault, l’illustre architecte de la colonnade du Louvre, a donnée d’après le texte de Vitruve. Vers la droite de la figure 16, on voit un enfant dont les larmes coulant goutte à goutte et venant d’un réservoir à niveau constant, alimentent la clepsydre ; l’eau ainsi tombée fait monter ou descendre l’autre enfant dont la main est armée d’une baguette qui marque les heures sur une colonne. L’intervalle entre le lever et le coucher du soleil était partagé en douze heures égales pour un même jour, mais différentes d’un jour à l’autre, de telle sorte qu’il fallait un cadran particulier pour chacun des jours de l’année. En conséquence la colonne tournait sur elle-même, et c’est pour obtenir cet effet que Ctésibius employait les roues dentées, comme le montre la figure 17. A est le tuyau par lequel la statuette de l’enfant qui pleure est en communication avec le réservoir. M est un espace vide où retombent les larmes ; auprès de la lettre M on voit un trou par lequel le liquide traverse le socle de la grande colonne, et tombe par le tuyau M dans le conduit long et étroit marqué BCD. CD est un support mobile dans l’intérieur de ce conduit, qui porte à sa base un flotteur en liége D, et qui, par conséquent, monte à mesure que se remplit le canal dans lequel il peut se mouvoir. Un siphon FF’A’ est en communication avec le bas du canal CBD. Lorsque l’eau aura rempli ce canal, à la fin des vingt-quatre heures, elle atteindra le sommet F’ du siphon qui sera ainsi amorcé ; et en vertu de la propriété fondamentale de cet appareil, il donnera alors écoulement à l’eau qui remplit le canal, et le videra complétement. En sortant du siphon, l’eau tombe dans une roue à augets K ; cette roue est disposée de manière à faire un tour dans six jours sous l’influence du poids de l’eau qui s’accumule successivement dans chacun des augets. Cette roue fait tourner le pignon N qui engrène avec la roue P, qui a dix fois plus de dents, de manière à tourner dix fois moins vite. Le pignon II est ainsi entraîné, mais il ne fait un tour qu’en 60 jours. Il fait marcher à son tour la roue G, qui a de son côté six fois plus de dents, et qui par conséquent ne fait un tour qu’en 360 jours. La colonne supérieure fixée sur l’axe L et mobile avec la roue dentée G, tourne donc sur elle-même de manière à accomplir sa révolution en 360 jours.