Astronomie populaire (Arago)/II/08

GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 49-52).

CHAPITRE VIII

des roues dentées


Aristote, 350 ans avant notre ère, parlait déjà de roues qui évidemment devaient être dentées ; en effet, dans ses Questions de mécanique (introduction, page 848, colonne A, ligne 18, édition de l’Académie de Berlin), on lit, d’après la traduction qu’a bien voulu me donner notre savant confrère de l’Institut, M. Barthélemy Saint-Hilaire :

« D’après cette propriété qu’a le cercle de se mouvoir dans des sens contraires simultanément, c’est-à-dire que l’une des extrémités du diamètre représentée par A (fig. 18), par exemple, se meut en avant, tandis que l’autre représentée par B se meut en arrière, on a pu construire des appareils où par un mouvement unique se meuvent à la fois en sens contraire plusieurs cercles accouplés, comme ces petites roues en airain ou en fer que l’on consacre dans les temples. Soit, en effet, un cercle AB que touche un autre cercle CD. Si le diamètre du cercle AB se meut en avant, celui du cercle CD prendra son mouvement en arrière, le diamètre du cercle AB étant mû autour d’un même point. Le cercle CD marchera donc dans un sens contraire à celui du cercle AB. À son tour, il fera mouvoir dans un sens opposé au sien, et par la même cause, le cercle EF qui lui est contigu. En supposant les cercles aussi nombreux qu’on voudra, ils se comporteront tous de même, du moment qu’un seul aura été mis en mouvement.

Fig. 18. — Mouvement des cercles contigus, d’après Aristote.

« C’est en appliquant cette propriété naturelle du cercle, que les ouvriers font une mécanique où ils ont le soin de cacher le principe même du mouvement, afin que l’effet merveilleux du mécanisme soit seul à paraître, et que la cause en reste inconnue. »

Il n’est pas possible de comprendre ce passage d’Aristote autrement qu’en supposant les cercles armés de dents, puisque le mouvement de l’un se communique à l’autre, et qu’il suffit qu’un seul soit en mouvement pour que tous les autres se meuvent.

Archimède, 250 ans avant J.-C., avait imaginé, pour tirer de lourds fardeaux, des machines composées comme les crics des modernes, de combinaisons de roues dentées.

Les mécaniciens demeurent d’ailleurs d’accord, que la sphère mouvante de l’illustre géomètre de Syracuse ne pouvait posséder les propriétés merveilleuses que l’antiquité lui a attribuées, qu’à la condition d’avoir été construite avec des roues dentées.

Les roues dentées jouaient, comme on l’a vu plus haut, un rôle important dans les clepsydres de Ctésibius, dont Vitruve nous a transmis la description.

Si personne ne peut dire aujourd’hui quel a été le premier inventeur des roues dentées, on sait, du moins, par les paroles d’Aristote, par les inventions d’Archimède, par les clepsydres de Ctésibius, que leur emploi dans les machines remonte à plus de 2 000 ans.

Dans les couvents, on avait, plus que partout ailleurs, besoin de subdiviser le jour et la nuit pour régler le moment des offices. Eh bien, il est constaté que, dans la riche abbaye de Cluny, l’année où saint Hugues y mourut (en 1108), le sacristain consultait les astres quand il voulait savoir s’il était l’heure de réveiller les religieux pour les offices de nuit.

On peut donc affirmer qu’en 1108, les horloges à roues dentées n’étaient pas inventées, ou que, du moins, elles étaient peu répandues.

Le sacristain de Cluny était un savant, puisqu’il recourait à l’observation des astres pour trouver l’heure. Dans les monastères ordinaires ou pauvres, comme nous l’apprend Haëften, on se servait de clepsydres. À leur défaut, un moine (qu’on aurait pu appeler l’horloge vivante), veillait et récitait des psaumes. Une expérience avait appris d’avance combien on pouvait réciter de ces psaumes dans l’espace d’une heure. Le sacristain déterminait alors, par une simple partie proportionnelle, à quel moment il devait réveiller la communauté. Haëften nous dit, enfin, qu’on allait jusqu’à se régler, très-grossièrement, sur le chant du coq (Père Alexandre, p. 300).