Assemblée Législative Enquête sur la misère




Notes - Assemblée Législative


J Hetzel (Volume 2p. 207-208).

NOTE 2

proposition melun. — enquête sur la misère
Bureaux. — Juin 1849.

M. Victor Hugo. — J’appuie énergiquement la proposition.

Messieurs, il est certain qu’à l’heure où nous sommes, la misère pèse sur le peuple. Quelles sont les causes de cette misère ? Les longues agitations politiques, les lacunes de la prévoyance sociale, l’imperfection des lois, les faux systèmes, les chimères poursuivies et les réalités délaissées, la faute des hommes, la force des choses. Voilà, messieurs, de quelles causes est sortie la misère. Cette misère, cette immense souffrance publique, est aujourd’hui toute la question sociale, toute la question politique. Elle engendre à la fois le malaise matériel et la dégradation intellectuelle ; elle torture le peuple par la faim et elle l’abrutit par l’ignorance.

Cette misère, je le répète, est aujourd’hui la question d’état. Il faut la combattre, il faut la dissoudre, il faut la détruire, non seulement parce que cela est humain, mais encore parce que cela est sage. La meilleure habileté aujourd’hui, c’est la fraternité. Le grand homme politique d’à présent serait un grand homme chrétien.

Réfléchissez, en effet, messieurs.

Cette misère est là, sur la place publique. L’esprit d’anarchie passe et s’en empare. Les partis violents, les hommes chimériques, le communisme, le terrorisme surviennent, trouvent la misère publique à leur disposition, la saisissent et la précipitent contre la société. Avec de la souffrance, on a sitôt fait de la haine ! De là ces coups de main redoutables ou ces effrayantes insurrections, le 15 mai, le 24 juin. De là ces révolutions inconnues et formidables qui arrivent, portant dans leurs flancs le mystère de la misère.

Que faire donc en présence de ce danger ? Je viens de vous le dire. Ôter la misère de la question. La combattre, la dissoudre, la détruire.

Voulez-vous que les partis ne puissent pas s’emparer de la misère publique ? Emparez-vous-en. Ils s’en emparent pour faire le mal, emparez-vous-en pour faire le bien. Il faut détruire le faux socialisme par le vrai. C’est là votre mission.

Oui, il faut que l’assemblée nationale saisisse immédiatement la grande question des souffrances du peuple. Il faut qu’elle cherche le remède, je dis plus, qu’elle le trouve ! Il y a là une foule de problèmes qui veulent être mûris et médités. Il importe, à mon sens, que l’assemblée nomme une grande commission centrale, perma- nente, métropolitaine, à laquelle viendront aboutir toutes les recherches, toutes les enquêtes, tous les documents, toutes les solutions. Toutes les spécialités économiques, toutes les opinions même, devront être représentées dans cette commission, qui fera les travaux préparatoires ; et, à mesure qu’une idée praticable se dégagera de ses travaux, l’idée sera portée à l’assemblée qui en fera une loi. Le code de l’assistance et de la prévoyance sociale se construira ainsi pièce à pièce avec des solutions diverses, mais avec une pensée unique. Il ne faut pas disperser les études ; tout ce grand ensemble veut être coordonné. Il ne faut pas surtout séparer l’assistance de la prévoyance. Il ne faut pas étudier à part les questions d’hospices, d’hôpitaux, de refuges, etc. Il faut mêler le travail à l’assistance, ne rien laisser dégénérer en aumône. Il y a aujourd’hui dans les masses de la souffrance ; mais il y a aussi de la dignité. Et c’est un bien. Le travailleur veut être traité, non comme un pauvre, mais comme un citoyen. Secourez-les en les élevant.

C’est là, messieurs, le sens de la proposition de M. de Melun, et je m’y associe avec empressement.

Un dernier mot. Vous venez de vaincre ; maintenant savez-vous ce qu’il faut que vous fassiez ? Il faut, vous majorité, vous assemblée, montrer votre cœur à la nation, venir en aide aux classes souffrantes par toutes les lois possibles, sous toutes les formes, de toutes les façons, ouvrir les ateliers et les écoles, répandre la lumière et le bien-être, multiplier les améliorations matérielles et morales, diminuer les charges du pauvre, marquer chacune de vos journées par une mesure utile et populaire ; en un mot, dire à tous ces malheureux égarés qui ne vous connaissaient pas et qui vous jugeaient mal : — Nous ne sommes pas vos vainqueurs, nous sommes vos frères.