Assemblée Législative La loi sur l’enseignement




Notes - Assemblée Législative


J Hetzel (Volume 2p. 208-210).

NOTE 3

la loi sur l’enseignement
Bureaux. — Juin 1849.

M. Victor Hugo. — Je parle sur la loi. Je l’approuve en ce qu’elle contient un progrès. Je la surveille en ce qu’elle peut contenir un péril.

Le progrès, le voici. Le projet installe dans l’enseignement deux choses qui y sont nouvelles et qui sont bonnes, l’autorité de l’état et la liberté du père de famille. Ce sont là deux sources vives et fécondes d’impulsions utiles.

Le péril, je l’indiquerai tout à l’heure.

Messieurs, deux corporations redoutables, le clergé jusqu’à notre révolution, depuis notre révolution, l’université, ont successivement dominé l’instruction publique dans notre pays, je dirais presque ont fait l’éducation de la France.

Université et clergé ont rendu d’immenses services ; mais, à côté de ces grands services, il y a eu de grandes lacunes. Le clergé, dans sa vive ardeur pour l’unité de la foi, avait fini par se méprendre, et en était venu — ce fut là son tort du temps de nos pères — à contrarier la marche de l’intelligence humaine et à vouloir éteindre l’esprit de progrès qui est le flambeau même de la France. L’université, excellente par ses méthodes, illustre par ses services, mais enfermée peut-être dans des traditions trop étroites, n’a pas en elle-même cette largeur d’idées qui convient aux grandes époques que nous traversons, et n’a pas toujours fait pénétrer dans l’enseignement toute la lumière possible. Elle a fini par devenir, elle aussi, un clergé.

Les dernières années de la monarchie disparue ont vu une lutte acharnée entre ces deux puissances, l’université et l’église, qui se disputaient l’esprit des générations nouvelles.

Messieurs, il est temps que cette guerre finisse et se change en émulation. C’est là le sens, c’est là le but du projet actuel. Il maintient l’université dans l’enseignement, et il introduit l’église par la meilleure de toutes les portes, par la porte de la liberté. Comment ces deux puissances vont-elles se comporter ? Se réconcilieront-elles ? De quelle façon vont-elles combiner leurs influences ? Comment vont-elles comprendre l’enseignement, c’est-à-dire l’avenir ? C’est là, messieurs, la question. Chacun de ces deux clergés a ses tendances, tendances auxquelles il faut marquer une limite. Les esprits ombrageux, et en matière d’enseignement je suis de ce nombre, pourraient craindre qu’avec l’université seule l’instruction ne fût pas assez religieuse, et qu’avec l’église seule l’instruction ne fût pas assez nationale. Or religion et nationalité, ce sont là les deux grands instincts des hommes, ce sont là les deux grands besoins de l’avenir. Il faut donc, je parle en laïque et en homme politique, il faut au-dessus de l’église et de l’université quelqu’un pour les dominer, pour les conseiller, pour les encourager, pour les retenir, pour les départager. Qui ? L’état.

L’état, messieurs, c’est l’unité politique du pays, c’est la tradition française, c’est la communauté historique et souveraine de tous les citoyens, c’est la plus grande voix qui puisse parler en France, c’est le pouvoir suprême, qui aie droit d’imposer à l’université l’enseignement religieux, et à l’église l’esprit national.

Le projet actuel installe l’état au sommet de la loi. Le conseil sud’enseignement, tel que le projet le compose, n’est pas autre chose. C’est en cela qu’il me convient.

Je regrette diverses lacunes dans le projet, l’enseignement supérieur dont il n’est pas question, l’enseignement professionnel, qui est destiné à reclasser les masses aujourd’hui déclassées. Nous reviendrons sur ces graves questions.

Somme toute, tel qu’il est, en maintenant l’université, en acceptant le clergé, le projet fait l’enseignement libre et fait l’état juge. Je me réserve de l’examiner encore.

M. de Melun, qui soutint la prédominance de l’église dans l’enseignement, fut nommé commissaire par 20 voix contre 18 données à M. Victor Hugo.