Assemblée Législative Pillage des imprimeries




Notes - Assemblée Législative


J Hetzel (Volume 2p. 205-206).

ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE

1849-1851
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NOTE 1

PILLAGE DES IMPRIMERIES


Aux journées de juin 1848, Victor Hugo, après avoir contribué à la victoire, était venu au secours des vaincus. Après le 13 juin 1849, il accepta le même devoir. La majorité était enivrée par la colère, et voulait fermer les yeux sur les violences de son triomphe, notamment sur les imprimeries saccagées et pillées. Victor Hugo monta le 15 juin à la tribune. L’incident fut bref, mais significatif. Le voici tel qu’il est au Moniteur.


Permanence. — Séance du 15 juin 1849.


INTERPELLATION

La parole est à M. Victor Hugo.

M. Victor Hugo. — Messieurs, je demande à l’assemblée la permission d’adresser une question à MM. les membres du cabinet.

Cette assemblée, dans sa modération et dans sa sagesse, voudra certainement que tous les actes de désordre soient réprimés, de quelque part qu’ils viennent. S’il faut en croire les détails publiés, des actes de violence regrettables auraient été commis dans diverses imprimeries. Ces actes constitueraient de véritables attentats contre la légalité, la liberté et la propriété.

Je demande à M. le ministre de la justice, ou, en son absence, à MM. les membres du cabinet présents, si des poursuites ont été ordonnées, si des informations sont commencées. (Très bien ! très bien !)

Plusieurs Membres. — Contre qui ?

M. Dufaure, ministre de l’intérieur. — Messieurs, nous regrettons aussi amèrement que l’honorable orateur qui descend de la tribune les actes à propos desquels il nous interpelle. Ils ont eu lieu, j’ose l’affirmer, spontanément, au milieu des émotions de la journée du 13 juin… (Interruptions à gauche.)

Je dis qu’ils ont eu lieu spontanément, c’est à ce sujet que j’ai été interrompu. Rien n’avait prévenu l’autorité des actes de violence qui devaient être commis dans les bureaux de quelques presses de Paris ; je veux expliquer seulement comment l’autorité n’était pas, n’a pas pu être prévenue, comment l’autorité n’a pas pu les empêcher.

On a dit dans des journaux qu’un aide de camp du général Changarnier avait présidé à cette dévastation. Je le nie hautement. Un aide de camp du général Changarnier a paru sur les lieux pour réprimer cet acte audacieux ; il n’a pu le faire, tout ayant été consommé ; d’ailleurs, on ne l’écoutait pas. J’ajoute qu’aussitôt que nous avons été prévenus de ces faits, ordre a été donné de faire deux choses, de constater les dégâts et d’en rechercher les auteurs. On les recherche en ce moment, et je puis assurer à l’assemblée, qu’aussitôt qu’ils seront découverts, le droit commun aura son empire, la loi recevra son exécution. (Très bien ! Très bien !)

M. le président. — L’incident est réservé.

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À propos de cet incident, on lit dans le Siècle du 17 juin 1848 :

M. Victor Hugo était très vivement blâmé aujourd’hui par un grand nombre de ses collègues pour la généreuse initiative qu’il a prise hier en flétrissant du haut de la tribune les actes condamnables commis contre plusieurs imprimeries de journaux. — Ce n’était pas le moment, lui disait-on, de parler de cela, et dans tous les cas ce n’était pas à nous à appeler sur ces actes l’attention publique ; il fallait laisser ce soin à un membre de l’autre côté, et la chose n’eût pas eu le retentissement que votre parole lui a donné. —

Nous étions loin de nous attendre à ce que l’honnête indignation exprimée par M. Victor Hugo, et la loyale réponse de M. le ministre de l’intérieur pussent être l’objet d’un blâme même indirect d’une partie quelconque de l’assemblée. Nous pensions que le sentiment du juste, le respect de la propriété devaient être au-dessus de toutes les misérables agitations de parti. Nous nous trompions.

M. Victor Hugo racontait lui-même aujourd’hui dans l’un des groupes qui se formaient çà et là dans les couloirs une réponse qu’il aurait été amené à faire à l’un de ces modérés excessifs. — Si je rencontrais un tel dans la rue, je lui brûlerais la cervelle, dit celui-là. — Vous vous calomniez vous-même, répondit M. Victor Hugo, vous vouliez dire que vous feriez usage de votre arme contre lui, si vous l’aperceviez sur une barricade. — Non, non ! disait l’autre en insistant, dans la rue, ici même. — Monsieur, dit le poëte indigné, vous êtes le même homme qui a tué le général Bréa ! — Il est difficile de dire l’impression profonde que ce mot a causée à tous les assistants, à l’exception de celui qui venait de provoquer cette réponse foudroyante.