Assemblée Législative Demande en autorisation de poursuites contre les représentants Sommier et Richardet




Notes - Assemblée Législative


NOTE 4

demande en autorisation de poursuites
contre les représentants sommier et richardet
Bureaux. — 31 juillet 1849.

M. Victor Hugo. — Messieurs, on invoque les idées d’ordre, le respect de l’autorité qu’il faut raffermir, la protection que l’assemblée doit au pouvoir, pour appuyer la demande en autorisation de poursuites. J’invoque les mêmes idées pour la combattre.

Et en effet, messieurs, quelle est la question ? La voici :

Un délit de presse aurait été commis, il y a quatre mois, dans un département éloigné, dans une commune obscure, par un journal ignoré. Depuis cette époque, les auteurs présumés de ce délit ont été nommés représentants du peuple. Aujourd’hui on vous demande de les traduire en justice.

De deux choses l’une : ou vous accorderez l’autorisation, ou vous la refuserez. Examinons les deux cas.

Si vous accordez l’autorisation, de ce fait inconnu de la France, oublié de la localité même où il s’est produit, vous faites un événement. Le fait était mort, vous le ressuscitez ; bien plus, vous le grossissez du retentissement d’un procès, de l’éclat d’un débat passionné, de la plaidoirie des avocats, des commentaires de l’opposition et de la presse. Ce délit, commis dans le champ de foire d’un village, vous le jetez sur toutes les places publiques de France. Vous donnez au petit journal de province tous les grands journaux de Paris pour porte-voix. Cet outrage au président de la république, cet article que vous jugez venimeux, vous le multipliez, vous le versez dans tous les esprits, vous tirez l’offense à huit cent mille exemplaires.

Le tout pour le plus grand avantage de l’ordre, pour le plus grand respect du pouvoir et de l’autorité.

Si vous refusez l’autorisation, tout s’évanouit, tout s’éteint. Le fait est mort, vous l’ensevelissez, voilà tout.

Eh bien ! messieurs, je vous le demande, qui est-ce qui comprend mieux les intérêts de l’ordre et de l’autorité et le raffermissement du pouvoir, de nos adversaires qui accordent l’autorisation, ou de nous qui la refusons ?

Cette question d’intérêt social vidée et écartée, permettez-moi de m’élever à des considérations d’une autre nature.

Dans quelle situation êtes-vous ?

Vous êtes une majorité immense, compacte, triomphante, en présence d’une minorité vaincue et décimée. Je constate la situation et je la livre à votre appréciation politique. Le 13 juin a créé pour vous ce que vous appelez des nécessités ; en tout cas, ce sont des nécessités bien fatales et bien douloureuses. Le 13 juin est un fait considérable, terrible, mystérieux, au fond duquel il vous importe, dites-vous, que la justice pénètre, que le jour se fasse. Il faut, en effet, que le pays connaisse dans toute sa profondeur cet événement d’où a failli sortir une révolution. Vous avez pu aider la justice. Ce qu’elle vous a demandé en fait de poursuites, vous avez pu le lui accorder. Vous avez été prodigues, c’est mon sentiment.

Mais enfin, de ce côté, tout est fini. Trente-huit représentants, c’est assez ! c’est trop ! Est-ce que le moment n’est pas venu d’être généreux ? Est-ce qu’ici la générosité n’est pas de la sagesse ? Quoi ! livrer encore deux représentants, non plus pour les nécessités de l’instruction de juin, mais pour un fait ignoré, prescrit, oublié ! Messieurs, je vous en conjure, moi qui ai toujours défendu l’ordre, gardez-vous de tout ce qui semblerait violence, réaction, rancune, parti-pris, coup de majorité ! Il faut savoir se refuser à soi-même les dernières satisfactions de la victoire. C’est à ce prix que, de la situation de vainqueurs, on passe à la condition de gouvernants. Ne soyez pas seulement une majorité nombreuse, soyez une majorité grande !

Tenez, voulez-vous rassurer pleinement le pays ? prouvez-lui votre force. Et savez-vous quelle est la meilleure preuve de la force ? c’est la mesure. Le jour où l’opinion publique dira : Ils sont vraiment modérés, la conscience des partis répondra : C’est qu’ils sont vraiment forts !

Je refuse l’autorisation de poursuites.

M. Amable Dubois combattit M. Victor Hugo. M. Amable Dubois fut nommé rapporteur par 14 voix contre 11 données à M. Victor Hugo.