Artamène ou le Grand Cyrus/Première partie/Au lecteur

Auguste Courbé (Première partiep. np).


AU LECTEUR.


LE Heros que vous allez voir, n’eſt pas un de ces Heros imaginaires, qui ne ſont que le beau ſonge d’un homme eſveillé, & qui n’ont jamais eſté en l’eſtre des choſes. C’eſt un Heros effectif : mais un des plus Grands dont l’Hiſtoire conſerve le ſouvenir : & dont elle ait jamais conſacré la memoire immortelle, à la Glorieuſe Eternité. C’eſt un Prince que l’on a propoſé pour Exemple à tous les Princes : ce qui fait bien connoiſtre qu’elle eſtoit la vertu de Cyrus : puis qu’un Grec à pû ſe reſoudre de loüer tant un Perſan ; de faire tant d’honneur à une Nation qui eſtoit ennemie irreconciliable de la ſienne ; & contre laquelle Xenophon avoit fait luy meſme de ſi belles actions. Enfin Lecteur, c’eſt un homme dont les Oracles avoient parlé comme d’un Dieu, tant ils en avoient promis de merveilles : & dont les Prophetes ont pluſtost fait des Panegyriques que des Predictions : tant ils en ont avantageuſement parlé, & tant ils ont eſlevé la gloire de cét invincible Conquerant. Je vous dis tout cecy Lecteur, pour vous faire voir que ſi j’ay nommé mon Livre LE GRAND CYRUS, la vanité ne m’a pas fait prendre ce ſuperbe Titre : que par ce mot de Grand, je n’ay rien entendu qui me regarde, comme il vous eſt aiſé de le connoiſtre : puis qu’effectivement ce Prince dont j’ay fait mon Heros, a eſté le plus grand Prince du monde : & que l’Hiſtoire l’a nommé Grand comme moy, & pour ſes hautes vertus, & pour le diſtinguer de l’autre Cyrus, qu’elle a appellé le moindre. Au reſte Lecteur, je me ſuis ſi bien trouvé des regles que j’ay ſuivies dans mon Illuſtre Baſſa, que je n’ay pas jugé que je les deuſſe changer, en compoſant ce ſecond Roman : de force que pour ne redire pas deux fois les meſmes choſes, c’eſt à la Preface de ce premier que je vous renvoyé, ſi vous voulez voir l’ordre que je ſuy en travaillant ſur ces matieres. Je vous diray donc ſeulement que j’ay pris & que je prendray touſjours pour mes uniques Modelles, l’immortel Heliodore, & le Grand Urfé, Ce ſont les ſeuls Maiſtres que j’imite, & les ſeuls qu’il faut imiter : car quiconque s’écartera de leur route, s’égarera certainement, puis qu’il n’en eſt point d’autre qui ſoit bonne : que la leur au contraire eſt aſſurée : & qu’elle mene infailliblement où l’on veut aller : je veux dire Lecteur, à la Gloire. Comme Xenophon à fait de Cyrus l’exemple des Rois, j’ay taſché de ne luy faire rien dire ny rien faire qui fuſt indigne d’un homme ſi accomply, & d’un Prince ſi eſlevé : que ſi je luy ay donné beaucoup d’amour, l’Hiſtoire ne luy en à guere moins donné que moy : la luy ayant fait teſmoigner meſme apres la mort de ſa femme : puis que pour faire voir combien il en eſtoit touché, il ordonna un deüil public d’un an par tout ſon Empire. Et puis, lors que l’amour eſt innocente, comme la ſienne l’eſtoit, cette noble paſſion eſt pluſtost une vertu qu’une foibleſſe : puis qu’elle porte l’ame aux grandes choſes, & qu’elle eſt la ſource des actions les plus heroïques. J’ay engagé dans mon Ouvrage preſque toutes les Perſonnes illuſtres, qui vivoient au Siecle de mon Heros : & vous verrez, tant dans ces deux Parties que dans toutes les autres juſques à la Concluſion ; que je ſuy quaſi par tout Herodote, Xenophon, Juſtin, Zonare, & Diodore Sicilien. Vous pourrez, dis-je, voir qu’encore qu’une Fable ne ſoit pas une Hiſtoire, & qu’il ſuffise à celuy qui la compoſe de s’attacher au vray-ſemblable, ſans s’attacher toujours au vray : neantmoins dans les choſes que j’ay inventées, je ne ſuis pas ſi eſloigné de tous ces Autheurs, qu’ils le ſont tous l’un de l’autre. Car par exemple, Herodote décrit la guerre des Scithes, dont Xenophon ne parle point : & Xenophon parle de celle d’Armenie, dont Herodote ne dit pas un mot. Ils renverſent de meſme l’ordre des guerres dont ils conviennent enſemble : car celle de Lydie precede celle d’Aſſirie dans Herodote : & celle d’Aſſirie precede celle de Lydie dans Xenophon. L’un parle de la Conqueſte de l’Egypte, l’autre n’en fait mention aucune : l’un fait expoſer Cyrus en naiſſant, l’autre oublie une circonſtance ſi remarquable : l’un met l’Hiſtoire de Panthée, l’autre n’en parle en façon du monde : l’un le fait mourir encore aſſez jeune, l’autre fort vieux : l’un dans une Bataille, l’autre dans ſon lict : toutes choſes directement oppoſées. Ainſi j’ay ſuivy tantoſt l’un & tantoſt l’autre, ſelon qu’ils ont eſté plus ou moins propres à mon deſſein : & quelquefois ſuivant leur exemple, j’ay dit ce qu’ils n’ont dit ny l’un ny l’autre : car apres tout, c’eſt une Fable que je compoſe, & non pas une Hiſtoire que j’écris. Que ſi cette raiſon ne ſatisfait pas pleinement les ſcrupuleux, ils n’ont qu’à s’imaginer pour ſe mettre l’eſprit en repos, que mon Ouvrage eſt tiré d’un vieux Manuſcrit Grec d’Egeſippe, qui eſt dans la Bibliotheque Vaticane : mais ſi precieux & ſi rare, qu’il n’a jamais eſté imprimé, & ne le ſera jamais. Voila Lecteur, tout ce que j’avois à vous dire.