Artamène ou le Grand Cyrus/Première partie/À Madame la duchesse de Longueville

Auguste Courbé (Première partiep. np).


A
MADAME
LA DUCHESSE
DE LONGUEVILLE.


MADAME,

Un des plus Grands & des plus ſages Princes de toute l’Aſie, va demander Audience, à une des plus Grandes & des plus ſages Princeſſes de toute l’Europe. Ce Vainqueur de la moitié du Monde, qui croit avécque raiſon que Voſtre Alteſſe ſeroit digne de le commander tout entier : vient mettre à vos pieds ſes Palmes & ſes Trophées, & advoüer ingenûment, qu’il a moins conqueſté de Sceptres & de Couronnes, que vous ne meritez d’en avoir. Il a sçeu que vous n’avez pas autrefois dénié voſtre Glorieuſe protection à un Prince déguiſé : ſi bien qu’eſtant déguiſé & Prince ; & Prince incomparablement plus fameux que l’autre, il a creû qu’il pouvoit aſpirer au meſme honneur. Il a creû, dis-je, que puis que vous aviez en ſuitte eſcouté favorablement la Mort de Ceſar, vous ſouffririez bien la vie de Cyrus : & que vous luy permettriez de ſe faire revoir à tout l’Univers, avec plus d’éclat & plus de ſplendeur, qu’il n’en avoit en montant aut Throſne des Rois d’Aſſirie, veû la ſplendeur & l’éclat qui rejalira ſur luy de voſtre illuſtre Nom, ſi vous agreez qu’il le meſle parmy ſes Lauriers, & qu’il le porte par toute la Terre. Il sçait bien, Madame, qu’en pretendant à cette gloire, ſon ambition eſt extréme : Mais qui doit eſtre hardy, ſi ce ne ſont les Conquerans ? Et que n’entreprennent point ces heureux Temeraires, que la Fortune favoriſe ? Et puis il eſt certain que peu de Rois l’ont égalé : & que ſi Alexandre meſme à eu depuis ſa valeur & ſon eſprit, il n’a pas eu ſa ſagesse & ſa temperance. En un mot, il a eſté ſeul de qui l’on puiſſe dire comme de Voſtre Alteſſe, qu’il avoit toutes les vertus & pas un defaut. Auſſi comme un des plus celebres Eſcrivains de toute l’Antiquité, en a fait l’exemple de tous les Princes, vous ſerez un jour, ſi j’ay l’adreſſe de Xenophon, & ſi la Poſterité vous rend juſtice, l’exemple de toutes les Princeſſes. Cette glorieuſe conformité, que l’on voit entre un Heros & une Heroïne, me fait eſperer qu’il ſera bien reçeu de vous : & que vous connoiſtrez que ſi parmy tant de Perſonnes illuſtres qui ſont au Monde, il n’a eu pour objet que vous ſeule, c’eſt parce que les Perſans n’adorent que le Soleil. Icy Madame, comme j’ay l’honneur d’eſtre l’Interprete de ce Prince, & de vous parler pour luy ; il ne me ſera pas difficile de faire voir que ma comparaiſon eſt juſte : que le meſme éclat que ce grand Aſtre a dans les Cieux, vouz l’avez dans cette Cour : & que vous eſtes comme luy toute couverte de rayons, & toute brillante de lumiere. En effet, ſi l’on regarde la haute Naiſſance de Voſtre Alteſſe, quelle ſplendeur n’y verra t’on pas ? Ce ne ſont que Throſnes ; que Sceptres ; & que Couronnes ; & cette longue ſuitte de Rois dont vous deſcendez, vous couvre d’un ſi grand éclat, qu’il en eſt preſque inacceſſible. Que ſi du Sang Royal de Bourbon, nous paſſons au noble Sang de Montmorency, dont eſt la Princeſſe adorable qui vous a donné la vie, & dont les rares qualitez donnent de l’admiration à toute la Terre, & vous donnent encore un nouveau luſtre : nous verrons autant de Heros, que nous aurons veû de Monarques : & nous verrons auſſi la Grandeur de cette illuſtre Maiſon, plus ancienne que la Monarchie Françoiſe. Mais Madame, je ne juge pas qu’il ſoit à propos de vous arreſter plus long temps parmy ces magnifiques Mauſolées de Rois, de Princes, de Conneſtables, & d’Admiraux : Que ſi pour vous en eſloigner, & pour paſſer de ces Grands Morts, au plus Grand de tous ceux qui vivent, l’on regarde celuy que toute l’Europe regarde avec eſtonnement : de quelle gloire ne brillera pas Voſtre Alteſſe, lors qu’on la verra digne Sœur d’un Prince tout couvert de Palmes & de Lauriers ? & pour lequel l’eloquence la plus haute & la plus ſublime eſt baſſe & rampante, quand elle oſe entreprendre de le loüer. La Grece qui nomma autrefois un de ſes Capitaines LE PRENEUR DE VILLES, auroit eſté obligée d’aller plus loing de la moitié pour noſtre Heros : & de le nommer LE PRENEUR DE VILLES, & LE GAGNEUR DE BATAILLES. Ainſi Madame, eſtre digne Sœur d’un Frere tel que le voſtre, c’eſt eſtre tout ce qu’on peut eſtre ; & plus que perſonne n’a jamais eſté ; & que perſonne ne ſera jamais. Que ſi des vertus Militaires, nous paſſons aux vertus paiſibles, & du brillant éclat des Armes, au pompeux éclat de la Pourpre ; de quel nouveau luſtre ne vous verra t’on pas reluire, pour eſtre encore Sœur d’un autre Prince dont le merite eſt auſſi grand que ſa condition ? & pour qui Rome meſme, n’a que des honneurs trop bas : ſoit que l’on conſidere la Grandeur de ſa Naiſſance ; ſoit que l’on regarde la grandeur de ſon Eſprit, ou celle de ſes hautes & genereuſes inclinations. Mais ſi Voſtre Alteſſe a eu pour Anceſtres des Rois & des Heros, & ſi elle à pour Freres des Heros dignes d’eſtre Rois ; elle a encore pour Mary un Prince ſi illuſtre par ſa Condition, & ſi conſiderable par ſes rares qualitez, que ſoit que l’on vous regarde comme Fille, comme Sœur, ou comme Femme, l’on vous voit touſjours, comme je l’ay dit, toute couverte de ſplendeur, de rayons, & de lumiere. En effect, ce Grand Prince qui conte parmy ſes Devanciers le Reſtaurateur de l’Eſtat, ſeroit capable de l’eſtre luy meſme, veû les grandes choſes qu’il a faites ; & l’invincible Comte de Dunois ne fit rien qu’il ne peuſt faire par ſon courage & par ſon eſprit. Mais Madame, je n’oſerois toucher davantage, à une Matiere ſi precieuſe, ce ſeroit entreprendre ſur le fameux Autheur de la Pucelle, qu’un ſi noble travail regarde : & il eſt juſte de ne luy oſter pas ce Marbre & ce Jaſpe, qu’il mettra mieux en œuvre que moy : & dont il fait un Monument eternel, à la gloire de vos Alteſſes. Et puis à dire les choſes comme elles ſont, ce n’eſt pas ſeulement de ces lumieres empruntées dont on vous voit briller, comme en brillent tous les Aſtres inferieurs, qui prennent leur éclat d’un plus grand Aſtre : Vous avez des rayons & des clartez, que vous ne prenez que de vous meſme : & des ſplendeurs qui vous ſont eſſencielles comme celles du Soleil. Mais des ſplendeurs ſi éclatantes, qu’aupres d’elles toutes lumieres, tous rayons, toutes clartez, & toutes ſplendeurs, ne ſont qu’ombres & que tenebres. La beauté meſme que vous poſſedez au ſouverain degré, elle que le plus Grand Homme de l’Egliſe Greque n’a pas craint de nommer SPLENDEUR CELESTE : & un autre encore plus hardy, RAYON DE LA DIVINITÉ ; n’eſt pas ce que vous aves de plus merveilleux, quoy qu’elle ſoit l’objet de la merveille de tout le monde. L’on en voit ſans doute en Voſtre Alteſſe, l’idée la plus parfaite qui puiſſe tomber ſous la veuë : ſoit pour la taille qu’elle à ſi belle & ſi noble ; ſoit pour la majeſté du port ; ſoit pour la beauté de ces cheveux, qui effacent les rayons de l’Aſtre avec lequel je vous compare ; ſoit pour l’éclat & pour le charme des yeux ; pour la blancheur & pour la juſte proportion de tous les traits ; & pour cét air modeſte & galant tout enſemble, qui eſt l’ame de la beauté, & que vos Miroirs vous feront bien mieux voir que mes paroles. Mais apres tout Madame, l’oſeray je dire, & me pourra t’on croire ſi je le dis ? Voſtre Eſprit eſt encore plus beau que voſtre viſage : & c’eſt par luy principalement, que ma comparaiſon du Soleil eſt juſte. En effet ce Grand Eſprit a des clartez qui nous ébloüiſſent : il brille, & brille touſjours : ſes rayons percent l’obſcurité des choſes les plus cachées : il penetre tout ; il voit tout ; il connoiſt tout ; & rien ne ſe dérobe à ſa veüe. Mais il ne voit & ne connoiſt pas ſeulement les belles choſes, car il les produit luy meſme : les Fleurs qui ſont le plus bel Ouvrage du Soleil, cedent à celles de l’eloquence naturelle qui brille en tout ce qu’on vous entend dire ; & l’Or, les Perles, les Rubis, les Eſmeraudes, les Diamans, & toutes les autres Pierreries, qui ſont ſes derniers Chefs-d’œuvres ; n’ont rien de ſi éclatant ny de ſi precieux, que vos paroles & vos penſées. Cependant le meſme avantage qu’a voſtre beauté, ſur toutes les autres beautez, & voſtre eſprit ſur voſtre viſage, voſtre jugement l’a ſur voſtre eſprit. C’eſt un Monarque qui regne Souverainement : qui regle toutes vos actions, à l’infaillible Compas de la raiſon : & qui agit en vous avec tant d’ordre & tant de juſtesse, que le cours du Soleil dont je vous parle, n’eſt pas plus juſtement reglé. Ouy Madame, le plus grand Roy de la Terre, pourroit ſe repoſer ſur la prudence de voſtre Alteſſe, de la conduite de tous ſes Eſtats : & tant qu’elle veilleroit à cette conduite, il pourroit dormir en aſſurance, quelque tempeſte qui peut s’eſlever contre luy. Toutefois je n’en demeure pas encore là : & je deſcouvre quelque choſe du plus éclatant en vous, que tout ce que j’ay dit juſques icy. C’eſt la Grandeur de voſtre Ame, qui non plus que le Soleil ne voit rien au monde qui ne ſoit au deſſous d’elle. Cette Grande Ame, dis-je, qui eſt au deſſus des foudres & des orages : & qui demeure ferme & tranquile, lors que tout eſt en trouble & en agitation. Mais quelques belles que ſoient toutes vos hautes & genereuſes inclinations, elles ne paroiſſent preſque plus, dés qu’on voit paroiſtre la pureté de cette Grande Ame, c’eſt à dire le plus parfait Ouvrage de la Nature & de la Vertu. Elle a moins de taches que le Soleil : elle paſſe comme les rayons de ce bel Aſtre, ſur la corruption de la Terre ſans s’y alterer : elle ne change jamais non plus que luy : elle ne quitte non plus ſa routte, que le Soleil quitte la ſienne : & elle ne s’arreſte non plus dans le chemin de la Gloire, que cét Aſtre ſi éclatant dans ſon chemin ordinaire : allant touſjours de perfection en perfection, ſans retrograder jamais, non plus que l’Aſtre dont je parle. Iray je encore plus loing que tout cela ? & finiray je le dénombrement de vos vertus, par la Reine de toutes les vertus ? Je veux dire cette haute pieté, dont vous faites une profeſſion ſi publique & ſi exacte ; que vous vous en départez moins que le Soleil ne ſe départ des premiers ordres qu’il a reçeus de l’Eternelle puiſſance qui fait agir ſon Corps & voſtre Ame. Enfin Madame, Cyrus vous voyant tant au deſſus de tout l’Univers ; Vous voyant, dis-je, ſi brillante & ſi lumineuſe ; Vous voyant unique comme le Soleil ; & voyant que s’il eſt nuit où il n’eſt pas, le jour n’eſt beau qu’ou vous eſtes : ſuivant la Religion de ſon Païs, il ſe proſterne devant vous : & cét illuſtre Perſan vous prenant pour ce Grand Aſtre qu’il adore, s’offre luy meſme à Voſtre Alteſſe, avec tout le zele & tout le reſpect qu’il croit devoir à la Divinité viſible. Voila Madame, ce que j’avois à vous dire, pour le Vainqueur de l’Aſie. Mais ſi apres vous avoir parlé pour luy, j’oſe vous parler pour moy, j’advoüeray franchement à Voſtre Alteſſe, qu’encore que toute la France ait aſſez bien reçeu mon Illuſtre Baſſa, & que les Nations Eſtrangeres l’ayent traduit en leur Langue, je ne laiſſe pas de craindre pour Artamene. Car enfin vous eſtes ſans doute capable de voir, ce que mille autres ne verroient pas : & vous découvrirez peut-eſtre des deffauts dans mon Ouvrage, qui ne ſeront aperçeus que de vous ſeule. Il eſt vray que ſi la ſublimité de voſtre eſprit me fait peur, voſtre extréme bonté me r’aſſure : & me fait meſme eſperer que vous recevrez favorablement, ce que vous preſente avec toute l’humilité poſſible,

MADAME,

De Voſtre Alteſſe,
Le tres humble & tres
obeïſſant Serviteur,
DE SCUDERY.