Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Victor Margueritte

Anthologie des poètes français du XIXème siècleAlphonse Lemerre, éditeur**** 1852 à 1866 (p. 344-347).




VICTOR MARGUERITTE


1865




Victor Margueritte est le plus jeune fils du glorieux général qui fut tué pendant la guerre de 1870.

Frère d’un romancier déjà célèbre, neveu du poète Stéphane Mallarmé, Victor Margueritte fit preuve d’une grande précocité en publiant, à dix-sept ans, un recueil de vers, Brins de Lilas (1883), et, l’année suivante, La Chanson de la Mer, toutes poésies où la perfection de la forme et la science du rythme s’allient à l’élévation des pensées et au charme des expressions.

Voulant suivre la carrière de son père, Victor Margueritte s’est engagé dans un régiment de spahis, en Algérie, mais nous espérons qu’il restera fidèle à l’art dont il s’est montré si jeune un sincère adepte.

Ses vers ont été imprimés par Paul Schmidt.

Rodolphe Darzens.





SOLEIL MORT DANS LA BRUME


I




Aux étés flamboyants sous des clartés brûlantes,
Quand le soleil s’abîme à l’horizon vermeil,
Il meurt dans un lit d’or, draps de pourpres sanglantes,
Voiles riches du soir qui traîne le sommeil !


À cette heure où, dans l’air, les senteurs émanées
S’exhalent lentement des bois silencieux
Et vastes, les reflets du soleil dans les cieux
Rougissent les tapis des mousses d’or fanées !

Le fleuve miroitant comme un étrange émail
S’endort ; le calme énorme et le repos emplissent
L’âme ; et les cieux couleur d’améthyste se plissent
Avec des chatoiements superbes de corail !


II


Mais quand l’automne passe un vêtement mouillé,
Lorsqu’un ciel gris étend son immensité vague,
Et que le vent — courbant, au grand bois dépouillé,
Les arbres gémissants — passe comme une vague,

Dans son voile obscurci de brumes suspendues,
Un rideau gris de suie éteint les sourds sanglots
Du soleil, qui jadis se mourait dans les flots
Riches et glorieux des pourpres épandues !

Frileusement plongé dans un triste sommeil,
Envahi par l’ennui tout puissant qui l’étonné,
Et regrettant la gloire à son coucher vermeil,
Le soleil meurt d’ennui dans les brouillards d’automne.





MATINS




Monotone ruisseau d’heures qui fut ma vie,
L’ennui du jour et la fatigue de la nuit,
Joies et douleurs, ah! si petites, tout s’enfuit...


Et c’est dans le matin l’âme toute ravie
D’aller sans savoir où, d’aller dans le matin
En respirant l’odeur amère des grands pins.
L’aube à l’orient monte, et la dernière étoile

Pâlit ; une fraîcheur de rosée emplit l’air,
Puis dans le ciel pareil à de tranquilles mers
Les nuages légers volent comme des voiles,
Et secouant la vie et ses parfums au vent
L’aurore disparait dans le soleil levant.

C’est l’immense réveil mystérieux des choses,
Un chant d’oiseaux, le cri du matin et du soir,
C’est la terre fumant comme un grand encensoir
Vers les horizons bleus et les horizons roses,
Les aigles frissonnants, ivres d’un long essor,
Et le soleil montant parmi les vapeurs d’or.

Comme des bulles d’air crevant sur l’eau dormante,
Des amours d’autrefois me remontent au cœur ;
Vous me grisez d’une âpre et divine liqueur,
Herbes et thyms mouillés à cette heure charmante,
Et dans mon souvenir vos parfums sont mêlés,
Amours éteints, et thyms d’aurore parfumés!

Mon âme emplit les bois et le ciel solitaire,
Mon sang afflue, et je respire à pleins poumons
Le vent sauvage et frais qui souffle sur les monts.
J’ai vu courir la vie et palpiter la terre.
Dans le passé, gouffre invisible où tout s’en va,
Comme un point lumineux cette heure restera.

Demain je saluerai votre douleur déserte
Et le soleil brûlant vos lointains fabuleux,
Sables, comme la mer immobiles et bleus...

Nulle fraîcheur, à l’horizon, d’oasis verte ;
Solitudes où pèse un torride sommeil,
Les pierres, et le sable et le morne soleil.

Pas même au ras du sable et des dunes de sable,
Le mirage éclatant des palmiers et des eaux ;
Et vous m’engourdirez de votre lourd repos,
Sans espérance de sources insaisissables,
Plaines où, sous l’azur immuable des deux,
L’étendue et le temps brûlent silencieux.