Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Éphraïm Mikhaël

Anthologie des poètes français du XIXème siècleAlphonse Lemerre, éditeur**** 1852 à 1866 (p. 348-352).


ÉPHRAÏM MIKHAËL


1865



Éphraïm Mikhaël (Georges-Éphraïm Michel) est né à Toulouse le 25 juin 1866. Ses vers, parus d’abord dans plusieurs Revues de jeunes poètes, ont été réunis en un volume sous le titre de : L’Automne. L’auteur de ce recueil, a dit un critique, M. Camille Bloch, « attire par une profondeur et une finesse de pensée auxquelles s’ajoute une grande sincérité d’artiste. Grâce à la délicatesse de sa nature, il sent vivement le néant des choses, et il fait servir la poésie à exprimer le découragement de l’âme en face de la contradiction du rêve et de la réalité. »

En prose, M. Éphraïm Mikhaël a écrit une série de petits poèmes, et il a fait paraître, en collaboration avec M. Bernard Lazare, une légende dramatique intitulée : La Fiancée de Corinthe.

Ses œuvres ont été publiées par Alcan-Lévy et Camille Dalou.

Rodolphe Darzens.

L’AUTOMNE



Le parc bien clos s’emplit de paix et d’ombre lente :
Un vent grave a soufflé sur le naïf orgueil
Du lis et la candeur de la rose insolente ;
Mais les arbres sont beaux comme des rois en deuil.


Encore un soir ! Des voix éparses dans l’automne
Parlent de calme espoir et d’oubli ; l’on dirait
Qu’un verbe de pardon mystérieux résonne
Parmi les rameaux d’or de la riche forêt.

Au dehors, par delà mon vespéral domaine,
La terre a des parfums puissants et ténébreux ;
Dans les vignes, le vent vibrant de joie humaine
Disperse des clameurs de vendangeurs heureux :

C’est l’altière saison des grappes empourprées :
Des splendeurs de jeunesse éclatent dans les champs,
Si j’allais me mêler aux foules enivrées
De clairs raisins, et si j’allais chanter leurs chants ?

Je suis las à présent de mes rêves stériles
Que j’ai gardés comme un miraculeux trésor.
Je hais comme l’amour mes fiertés puériles
Et la rose de deuil comme la rose d’or.

L’Ennui, rythme dolent de flûte surannée,
L’Orgueil, vulgaire chœur d’inutiles buccins,
Ne vont-ils pas mourir avec la vieille année
Dans le soir bourdonnant de rires et d’essaims ?

D’invisibles clairons dans l’Occident de cuivre
M’appellent vers la vigne et les impurs vergers ;
Je veux aussi ma part dans le péché de vivre ;
Seigneur, conduisez-moi parmi les étrangers !

Pourtant tu sais, ô cœur épris de blond mystère,
Qu’au pays triomphal des treilles et des vins
Veille le dur regret de la forêt austère :
Tu pleurerais de honte en leurs sentiers divins.


N’écoute pas le cri lointain qui te réclame,
Les conseils exhalés dans la semeur des nuits.
Tu sais que nul baiser libérateur, mon âme,
Ne rompt l’enchantement de tes subtils ennuis.

Laisse les vendangeurs en leurs mauvaises vignes.
Tu ne t’enivres pas des vins de leur pressoir :
Contemple les lueurs candides des grands cygnes
Glissant royalement sur les lacs bleus de soir.

Et dans le jardin pur de floraisons charnelles
Regarde croître l’ombre avec sérénité,
Tandis qu’au ciel, des mains blanches et fraternelles
Font dans le crépuscule un geste de clarté.


L’HIÉRODOULE



Dans le triomphe bleu d’un soir oriental
Elle s’accoude avec une lente souplesse
Au rebord lumineux de la terrasse, et laisse
Ses cheveux étaler leur deuil sacerdotal.

La ville sainte aux toits baignés de lueurs blanches
Est pleine de rumeurs d’épouvante, et là-bas,
Dans le Bois pollué par le sang des combats,
Des feux semblent des yeux cruels entre les branches.

Les hommes durs venus de pays innommés
Fouleront ce matin le soi du sanctuaire ;
Près des murs, attendant l’aurore mortuaire,
Veillent, silencieux, des cavaliers armés.


Et vers le ciel pareil aux cuirasses brunies
Que hérissent des clous brillants, leur rude main
Lève de longs buccins d’or qui seront demain
Les annonciateurs sacrés des agonies.

Des femmes, leurs seins nus caressés de clartés,
Dans de grands parcs plantés d’hiératiques chênes
S’attardent à rêver des souillures prochaines
Et s’apprêtent pour les mauvaises voluptés.

Mais, dédaignant le songe humain des vils désastres,
L’hiérodoule au cœur d’éternel diamant
Dans la suprême nuit regarde éperdument
L’hiver du ciel blanchi par le givre des astres.


CONSEILS DU SOIR



Nulle pourpre aujourd’hui dans le gris vespéral ;
Le jour meurt simplement comme une âme lassée,
Et voici que du ciel uniforme et claustral
Une paix de couvent tombe sur ma pensée.

J’accepte le conseil religieux du soir
Qui m’édifie un pacifique monastère,
Et mon rêve, oublieux et calme, ira s’asseoir
Au jardin monacal plein de chaste mystère.

Je quitterai le lourd manteau du vain orgueil :
Trop d’autres ont usé l’or de son insolence.
Et je dépouillerai la vanité du deuil :
Tant d’ennuis ont crié que je veux le silence.


Comme un captif hanté par l’espoir suborneur,
Je ne monterai plus sur la Tour idéale
Épier le galop mensonger du Bonheur
Qui vient dans un brouillard de clarté liliale ;

Mais mon Esprit absous de ses désirs altiers
Sera pareil aux doux abbés mélancoliques
Errants dans les jardins graves des bons moutiers
Et vieillissant parmi les roses symboliques.