Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Louis Marsolleau

Anthologie des poètes français du XIXème siècleAlphonse Lemerre, éditeur**** 1852 à 1866 (p. 316-321).




LOUIS MARSOLLEAU


1864




Louis Marsolleau est né à Brest le 21 juin 1864. En 1886, il a publié son premier volume de vers : Les Baisers perdus. Nature étrange où les dons les plus divers se mêlent et se confondent. M. Marsolleau nous apparaît comme un voluptueux et un sentimental. La chair et l’âme se font entendre à la fois dans son livre très personnel et où le poète s’est mis lui-même tout entier sans arrière-pensée, avec la sincérité de sa jeunesse. À côté des images ardentes et de la folie d’amour, on rencontre des délicatesses qui vont presque jusqu’au madrigal ou à la mièvrerie la plus raffinée. Avec des mots ingénieux M. Marsolleau sait rendre les situations les plus osées et les passions les plus hardies.

Dans son prochain volume, L’Amour de la Vie, le poète montrera toutes les qualités du début, mais avec quelque chose de plus intime peut-être et de plus mélancolique. Ce qui distingue cet artiste si fin, c’est qu’il ne songe jamais à prendre la plume pour aligner des mots et faire sonner des rimes, mais pour rendre les sentiments et les sensations dont il est tourmenté. Ses vers sont essentiellement vivants et tout pleins de lui-même, ce qui ne les empêche pas d’appartenir à l’art le plus habile.

L’œuvre poétique de M. Marsolleau paraît chez A. Lemerre.

E. Ledrain.




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L’homme trompe, et la femme ment.
L’enfant dissimule ; le maître
Est féroce, et l’esclave est traître.
La bête est lâche, simplement.

La fleur est souvent vénéneuse ;
La pierre est un outil de mort ;
La griffe écorche, la dent mord,
La brise est une empoisonneuse.

Tout être se traîne, méchant,
Parmi de plus méchants encore.
Que font ces choses à l’aurore
Et qu’importe au soleil couchant !





OPHÉLIE



     Ophélie, avec des fleurs, bercée au flot,
S’en va, très pâle et trépassée, au fil de l’eau.

     Renversée, et ses cheveux traînant sur l’onde,
Ses froids yeux bleus perdus au ciel, fragile et blonde,

     Elle va, la bouche ouverte, laissant voir
Ses blanches dents. Le fleuve lent semble un miroir.

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     C’est l’aurore. Un frais frisson court dans les branches.
Les nénuphars ouvrent sur l’eau leurs splendeurs blanches.

     Sur les bords, s’éveillent, clairs, des chants d’oiseaux.
La brise penche, à son passage, les roseaux.

     Ophélie, avec des rieurs, au flot bercée,
Au fil de l’eau, s’en va très pâle et trépassée.

     Romarins déchiquetés, bouquets broyés,
Espoirs finis, baisers perdus, amours noyés.


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     Quelquefois, désir de gloire, amour de femme,
On sent en soi passer un rêve, au fil de l’âme.

     Un beau rêve, aurore en fleur, joyeux et fort.
On s’aperçoit, quand on y touche, qu’il est mort.

     Romarins déchiquetés, roses broyées,
Espoirs finis, baisers perdus, amours noyées.


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     ... Ophélie, avec des fleurs, bercée au flot,
Là-bas, bien loin, s’en est allée, au fil de l’eau.




NUIT




Le Luxembourg baigné de fraîcheur et de nuit
Étage en lourds massifs sa masse dense et brune.
Trois heures du matin sonnent au loin. La lune,
Calme et ronde, au milieu du ciel limpide, luit.

Une très vague odeur de fleurs flotte et parfume...
Il tombe un froid mouillé sur le trottoir glissant
Où s’assourdit le pas attardé du passant.
Les becs de gaz jaunis clignotent dans la brume.

Pas un souffle de vent, pas un oiseau soudain :
La gaze du brouillard enveloppe les arbres,
Et vêt d’une clarté vaporeuse les marbres
Entrevus à travers les grilles du jardin.





L’AMITIÉ




Dans la vie égoïste et frivole où nous sommes,
Les amitiés — pure union de deux cœurs d’hommes —
Sont rares. Ce temps-ci souffle un air desséchant.
Un laboureur pervers a mal planté le champ :
L’épi fait à l’épi voisin sa guerre infâme.
Le meilleur d’entre nous a du mauvais dans l’âme ;
Le regard faux dément le serrement de main,
Le flatteur d’aujourd’hui nous honnira demain,
Et tant de trahisons nous ont souillé la route
Que, masqués de mensonge et cuirassés de doute,


Nous allons vers nos buts, enfers ou paradis,
Seuls comme des lépreux, durs comme des maudits,
Enfiellés de dégoûts et torturés de craintes,
Reniant les pardons, les aveux, les étreintes,
Nous, les rêveurs, et nous, les tendres, cependant !...

Le scepticisme ouvre en nos yeux son œil prudent.

Hélas ! qui nous rendra l’effusion première ?
Qui nous rendra la foi naïve et coutumière
Du tout petit enfant qu’instruit sa grande sœur ?
Qui nous rendra la confiance et la douceur ?
Qui nous tendra la main ouverte et le cœur tendre ?
Qui nous dira le mot loyal qu’on rêve entendre ?
Quel bras inespéré venu nous soutenir,
Aux jours de désespoir où l’on sent tout finir,
Viendra, nous rehaussant soudain la conscience,
Faire mentir en nous l’abjecte expérience ?

Car l’Amitié n’est pas plus morte que l’Amour.
Ami, nous l’avons vue apparaître un beau jour.
J’étais triste : — Souvent un regard dur nous blesse. —
Je pleurais : Toi, tu m’as consolé sans faiblesse.
Tu m’as dit : « Sois un homme, et marche ! » — J’ai marché.
J’ai fui la douleur lâche où je m’étais couché.
J’ai donné la volée au doux rêve stérile.
J’ai bu le vin des forts à la source virile,
Et nous sommes partis comme deux compagnons.

Dans la foule du monde où nous nous alignons,
Pour le même combat nous luttons côte à côte.
J’aime à te voir. Ton cœur est grand, ton âme est haute ;
Ta bouche a toujours dit des mots de vérité,
Et l’honneur fier fleurit tes yeux d’une clarté.

Meilleur que moi, plus noble et de bonté plus forte,
Tu m’as montré l’exemple altier qui réconforte,
Et j’ai couru plus droit sur le chemin plus sûr,
Pour l’approbation de ton sourire pur.

Aussi, mon exigence intime est satisfaite.
Quoi qu’apporte à vos vœux l’avenir, deuil ou fête,
Joie ou peine, la gloire ou bien l’obscurité,
Mon bonheur me suffit, et je suis contenté,
Pourvu que jusqu’au bout ma main étreigne et serre
Ta chère main, ta main généreuse et sincère !...