Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Charles-Hubert Millevoye

Anthologie des poètes français du XIXème siècle, Texte établi par (Alphonse Lemerre), Alphonse Lemerre, éditeurtome 1, (1762 à 1817) (p. 59-65).
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MILLEVOYE


1782 – 1816




Charles-Hubert Millevoye, né à Abbeville, essaya du barreau, perdit quelque temps dans une étude de procureur, puis entra comme commis chez un éditeur. « Jeune homme, vous lisez ! — lui dit un jour le chef de la maison, — vous ne serez jamais libraire ! » Il renonça vite, en effet, à être autre chose qu’un poète. « Facile, insouciant, tendre, vif, spirituel, il menait une vie de monde, de dissipation, ou d’étude par accès et de brusque retraite. Un rayon de soleil l’appelait, et il partait soudain pour une promenade à cheval ; il écrivait ses vers au retour de là, ou en rentrant de quelque déjeuner folâtre. » Le portrait est de Sainte-Beuve : ne croirait-on pas que le critique nous parle d’Alfred de Musset ? Millevoye mourut à 34 ans, d’une phtisie.

On a depuis longtemps oublié ses poèmes chevaleresques : Alfred, Emma et Eginard, Charlemagne à Pavie.

« Vous reviendrez briller dans les tournois,
Les ménestrels rediront vos exploits,
Et vous verrez celle qui vous enflamme,
Presser la main qui servit à la fois
Son Dieu, son roi, son pays et sa dame. »

Ce style « troubadour impérial, » ce moyen-âge de pendule nous font sourire aujourd’hui comme Le Beau Dunois de la reine Hortense.

Certaines des Élégies antiques, telles que Le Bûcher de la Lyre, ne sont point sans mérite ; mais elles ont été éclipsées par la publication des œuvres d’André Chénier, que Millevoye a d’ailleurs connues avant leur impression, car, le premier, il cita des fragments de L’Aveugle dans les notes d’un de ses recueils.

Il restera de Millevoye deux touchantes poésies intimes : Le Poète mourant, — bien que l’auteur des Méditations ait traité le même sujet avec plus d’ampleur lyrique, — et la célèbre Chute des feuilles.

« Pour les sentiments naturels, nous dit encore Sainte-Beuve, pour la rêverie, pour l’amour filial, pour la mélodie, pour les instincts du goût, l’âme, le talent de Millevoye est comme la légère esquisse, encore épicurienne, dont le génie de Lamartine est l’exemplaire platonique et chrétien. »

A. D.


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LE BÛCHER DE LA LYRE




À la fière Cléis tes chants ont pu déplaire ;
Elle a maudit tes chants, ô lyre des amours !
Il faut qu’un sacrifice apaise sa colère :
Tu dois périr ; adieu, Lyre, adieu pour toujours !

« Ô nymphes des coteaux, oréades légères,
Venez ; venez aussi, déités des forêts !
Apportez les parfums des plantes bocagères,
Quelques lauriers, un myrte, et de jeunes cyprès.

« Les dieux aiment les fleurs qui parent la victime :
Couronne-toi de fleurs une dernière fois,
Lyre ! au suprême instant que ta voix se ranime ! »
Et la Lyre en ces mots fit entendre sa voix :


«  Toi que j’ai consolé, songes-y bien ! dit-elle,
Les dieux, les justes dieux punissent les ingrats.
L’amour vit peu d’instants, la gloire est immortelle :
Quelque jour, mais en vain, tu me regretteras.

«  À tes doigts répondaient mes cordes poétiques,
Je m’éveillais pour toi dans le calme des nuits,
J’aurais fait plus encor : sous les cyprès antiques
L’Élégie en tes vers eût pleuré ses ennuis.

«  Vers les bords du Mélès, pour toi du Méonide
J’eusse été recueillir quelque chant commencé,
Ou chercher à Céos du touchant Simonide
Les nobles vers perdus dans la nuit du passé.

«  J’ouvrirais à tes pas la grotte accoutumée
Où rêvait Théocrite, où ses chants tous les soirs
Retentissaient, plus purs que l’huile parfumée
Dont l’or, dans Sicyone, inonde les pressoirs.

«  Un jour, je sommeillais dans les bois d’Aonie ;
La Muse me toucha d’un magique rameau,
Et d’un mode inconnu m’enseigna l’harmonie ;
Mais j’emporte avec moi ses secrets au tombeau. »

Elle a cessé. Les feux, qu’allume le Zéphire,
À travers les parfums emportent ses adieux ;
Et toutefois, dit-on, des cendres de la Lyre
S’exhala jusqu’au soir un son mélodieux.


(Élégies)


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LA CHUTE DES FEUILLES




De la dépouille de nos bois
L’automne avait jonché la terre ;
Le bocage était sans mystère,
Le rossignol était sans voix.
Triste et mourant à son aurore
Un jeune malade, à pas lents,
Parcourait une fois encore
Le bois cher à ses premiers ans :

« Bois que j’aime, adieu ! je succombe :
Votre deuil me prédit mon sort,
Et dans chaque feuille qui tombe
Je lis un présage de mort.
Fatal oracle d’Épidaure,
Tu m’as dit : « Les feuilles des bois
À tes yeux jauniront encore,
Et c’est pour la dernière fois.
La nuit du trépas t’environne ;
Plus pâle que la pâle automne,
Tu t’inclines vers le tombeau.
Ta jeunesse sera flétrie
Avant l’herbe de la prairie,
Avant le pampre du coteau. »
Et je meurs ! De sa froide haleine
Un vent funeste m’a touché,
Et mon hiver s’est approché
Quand mon printemps s’écoule à peine.
Arbuste en un seul jour détruit,
Quelques fleurs faisaient ma parure ;

Mais ma languissante verdure
Ne laisse après elle aucun fruit.
Tombe, tombe, feuille éphémère,
Voile aux yeux ce triste chemin,
Cache au désespoir de ma mère
La place où je serai demain !
Mais vers la solitaire allée
Si mon amante désolée
Venait pleurer quand le jour fuit,
Éveille par un léger bruit
Mon ombre un moment consolée. »

Il dit, s’éloigne… et sans retour !
La dernière feuille qui tombe
A signalé son dernier jour.
Sous le chêne on creusa sa tombe.
Mais son amante ne vint pas
Visiter la pierre isolée ;
Et le pâtre de la vallée
Troubla seul du bruit de ses pas
Le silence du mausolée.


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LE POÈTE MOURANT




Le poète chantait ; de sa lampe fidèle
S’éteignaient par degrés les rayons pâlissants ;
          Et lui, prêt à mourir comme elle,
          Exhalait ces tristes accents :

          « La fleur de ma vie est fanée ;
          Il fut rapide, mon destin !

          De mon orageuse journée
          Le soir toucha presque au matin.

          « Il est sur un lointain rivage
Un arbre où le Plaisir habite avec la Mort.
Sous ses rameaux trompeurs malheureux qui s’endort !
Volupté des amours, cet arbre est ton image.
Et moi j’ai reposé sous ce mortel ombrage :
Voyageur imprudent, j’ai mérité mon sort.

          « Brise-toi, lyre tant aimée,
Tu ne survivras point à mon dernier sommeil,
          Et tes hymnes sans renommée
Sous la tombe avec toi dormiront sans réveil.
Je ne paraîtrai pas devant le trône austère
Où la postérité, d’une inflexible voix,
          Juge les gloires de la terre,
Comme l’Égypte, aux bords de son lac solitaire,
          Jugeait les ombres de ses rois.

« Compagnons dispersés de mon triste voyage,
Ô mes amis ! ô vous qui me fûtes si chers !
De mes chants imparfaits recueillez l’héritage,
Et sauvez de l’oubli quelques-uns de mes vers.

« Et vous par qui je meurs, vous à qui je pardonne,
Femmes, vos traits encore à mon œil incertain
          S’offrent comme un rayon d’automne,
          Ou comme un songe du matin.
Doux fantômes, venez ! mon ombre vous demande
Un dernier souvenir de douleur et d’amour :
Au pied de mon cyprès effeuillez pour offrande
          Les roses qui vivent un jour. »

Le poète chantait, quand la lyre fidèle
S’échappa tout à coup de sa débile main ;
          Sa lampe mourut, et, comme elle,
          Il s’éteignit le lendemain.



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