Anthologie des poètes français contemporains/Villiers de l’Isle Adam

Anthologie des poètes français contemporains, Texte établi par Gérard WalchCh. Delagrave, éditeur ; A.-W. Sijthoff, éditeurTome premier (p. 127-131).







Bibliographie. — Premières Poésies (1856-1858) ; — Fantaisies nocturnes, poèmes ; — Isis, roman (1862) ; — Elen, drame en trois actes (1865) ; — Morgane, drame en cinq actes (1866) ; — Claire Lenoir (1867) ; — La Révolte, pièce en un acte, représentée sur la scène du théâtre du Vaudeville le 6 mai 1870 (1870) ; — Le Nouveau Monde, drame en cinq actes (1880) ; — Contes cruels (1883) ; — Akédysséril (1885) ; — Axël (1885) ; — L’Amour suprême (1886) ; — L’Eve future (1886) ; — Tribulat Bonhomet (1887) ; — L’Evasion, drame en un acte, représenté sur la scène du Théâtre-Libre (1887) ; — Histoires insolites (1888) ; — Nouveaux Contes cruels (1888) ; — Le Secret de l’échafaud (1888) ; — Axël (1890) ; — Chez les passants (1890). — En outre, plusieurs manuscrits inachevés, dans lesquels se trouvent d’importantes parties inédites.

Les poésies de Villiers de L’Isle-Adam ont été publiées en deux volumes : le premier, intitulé Isis, a paru à Lyon, chez Perrin ; le second, Contes cruels, a été édité par Calmann-Lévy.

Villiers de L’Isle-Adam a collaboré au Parnasse Contemporain, etc.

Philippe-Auguste-Mathias comte de Villiers de L’Isle-Adam, né à Saint-Brieuc le 7 novembre 1840, mort à Paris le 18 août 1889, compte parmi les meilleurs écrivains contemporains. Il est surtout connu comme prosateur. Cet admirable « musicien des mots, ce parfait dominateur des sonorités verbales », ne fut qu’occasionnellement poète. Descendant d’une ancienne famille qui comptait parmi ses membres un grand-maître de l’ordre de Malte, il consacra ses loisirs aux lettres et débuta fort jeune en publiant ses Premières Poésies (1856-1858), qui passèrent presque inaperçues. Son deuxième recueil, Fantaisies nocturnes, fut bien accueilli.

Il publia un peu plus tard, en 1362, un roman, Isis, puis un drame en trois actes, Elen (1865), un drame en cinq actes, Morgane (1866), et en 1867 Claire Lenoir, collabora au Parnasse Contemporain et, le 6 mai 1870, eut une pièce en un acte représentée au Vaudeville, La Révolte, qui frappa Théophile Gautier. En 1880, il donna Le Nouveau Monde, drame en cinq actes, où Francisque Sarcey releva « plusieurs traits absolument cornéliens ». « Malgré le talent dépensé dans ces diverses œuvres, Villiers ne connaissait pas le succès littéraire : la bizarrerie de son imagination, le mépris de la critique, sa vie de pur artiste dédaigneux de l’opinion vulgaire et se refusant aux concessions, éloignaient le public de son œuvre ; les lettrés commençaient cependant à reconnaître l’intensité singulière de ses conceptions, inquiètes et tourmentées comme sa vie. Les Contes cruels, parus en 1883, écrits dans une langue magnifique, pleine d’harmonie d’éclat, sont bien près d’être un chef-d’œuvre. En 1885 paraissent Akedyssèril et Axel. Deux romans, L’Amour suprême et L’Eve future (1886), « l’un des rares livres immortels de la fin du XIX siècle », caractérisent aussi le talent subtil de Yilliers de L’Isle-Adam. Tribulat Bonhomet parut en 1887, Le Secret de l’èchafaud en 1888, ainsi qu’Histoires insolites et Nouveaux Contes cruels. Le Théâtre-Libre joua, en 1887, L’Évasion, petit drame en un acte. Villiers, dont la vie avait été pauvre et fière, ne parvint pas à forcer la gloire ; injustement dédaigné de la foule, il mourut à l’hôpital des Frères de Saint-Jean-de-Dieu. »

Villiers de L’Isle-Adam semblait vivre dans un songe, au milieu des rêves d’une puissante et ironique imagination. Et cet état d’âme se révélait dans sa conversation et dans son œuvre. Celle-ci, dont sa conversation était comme « le premier état », mélangeait à la raillerie la plus cruelle la plus haute éloquence. « Villiers écrivain, comme Villiers causeur, fut surtout un grand orateur, et certains discours, dans Azel, dans Akedyssèril, sont comparables aux plus belles harangues de Tacite ou d’Homère. Son style est toujours nombreux, d’une allure presque classique ; souvent il ; s’agrandit encore, se sculpte en (ormes amples. On s’étonne alors que l’ironie, cette grimace, s’encadre dans l’éloquence, cette forme souveraine. Cela fait songer aux images grotesques que forment parfois les grands rochers… » (georges Rodenbach, L’Elite.)

PRIMAVERA

Voici les premiers jours de printemps et d’ombrage,
Déjà chantent les doux oiseaux ;
Et la mélancolie habite le feuillage ;
Les vents attiédis soufflent dans le bocage
Et font frissonner les ruisseaux.


Et les concerts légers que le printemps amène
Avec ses rayons et ses fleurs ;
Les troupeaux mugissants, la verdoyante plaine,
Et les blancs papillons qui respirent l’haleine
Des violettes tout en pleurs ;

Et l’air nouveau chargé de parfums et de vie,
L’azur où luit le soleil d’or,
Réveillant de l’hiver la campagne ravie,
C’est toute une prière où le ciel nous convie
A nous sentir jeunes encor.

Entends les mille voix de la nature immense ;
Elles nous parlent tour à tour.
Ma belle, on les comprend souvent sans qu’on y pense :
Le rayon nous dit : « Dieu ! » la nature : « Espérance ! »
La violette dit : « Amour ! »


ZAIRA


« D’où vient que vous aimez de la sorte ? demanda encore Sahid. — Nos femmes sont belles et nos jeunes gens sont chastes, » répondit l’Arabe de la tribu d’Azra.
(Ebn-abi-hadlah, manuscrits, 1461-

1462. — Bibliothèque Royale.)

Le couchant s’éteignait voilé ;
Un air tiède, comme une haleine,
Sous le crépuscule étoilé
Flottait mollement sur la plaine.

L’Arabe amenait ses coursiers
Devant ses tentes entr’ouvertes.
Les platanes et les palmiers
Froissaient leurs longues feuilles vertes.

Son menton bruni dans la main,
Tout amoureusement penchée,
La jeune fille, un peu plus loin,
Sur une natte était couchée.

Ses yeux noirs, chargés de langueur,
De leurs cils ombraient son visage

— Devant elle, le voyageur
Arrêta son cheval sauvage ;

Et, se courbant soudain, il dit :
« Allah ! comme vous êtes belle !
Veux-tu fuir ce désert maudit ?
Je t’aime, et te serai fidèle. »

L’enfant le regarda longtemps ;
Et, se soulevant avec peine :
« Tu n’es pas celui que j’attends,
O voyageur au front d’ébène !

« Un autre a déjà mon amour ;
Et mon amour, c’est tout mon être.
J’attends ici le giaour
Qui reviendra, ce soir, peut-être !

« Mais… ce collier d’ambre, veux-tu ?
Tiens ! prends ! et qu’Allah te conduise !
— La main sombre de l’inconnu
Tourmentait sa dague, indécise. —

« O perle du désert ! dis-moi :
Si le giaour infidèle
Ne s’en revenait plus vers toi ?
— Je te comprends bien, lui dit-elle :

« Mais je m’appelle Zaïra.
Va, mon cœur l’aimerait quand même :
Je suis de la tribu d’Azra ;
Chez nous on meurt lorsque l’on aime ! »