Anthologie des poètes français contemporains/Valade Léon

Anthologie des poètes français contemporains, Texte établi par Gérard WalchCh. Delagrave, éditeur ; A.-W. Sijthoff, éditeurTome premier (p. 230-233).







Bibliographie. — Avril, Mai, Juin, avec Albert Mérat (1863) ; — L’intermezzo, de Henri Heine, traduit en français, avec Albert Mérat ; — A Mi-Côte (1874) ; — L’Affaire Arlequin (1882) ; — Les Papillottes, comédie (1883) ; — Le Barbier de Pézenas et Molière à Auteuil, comédies, en collaboration avec Emile Blémont ; — Poésies (1886) ; — La Raison du moins fort, comédie, en collaboration avec Emile Blémont (1889) ; — Poésies posthumes (1890).

Les œuvres de Léon Valade ont été publiées par Alphonse Lemerre.

Léon Valade a collaboré au Parnasse, etc.

Léon Valade, né à Bordeaux en 1841, mort à Paris en 1883, fit ses études au Lycée Louis-le-Grand. Après avoir été pendant quelque temps secrétaire de Victor Cousin, il entra, tout jeune encore, dans les bureaux de l’Hôtel de Ville et consacra ses loisirs aux lettres. Il excellait à brosser les petits tableaux de la vie parisienne, d’un charme si spécial, et tournait fort agréablement les triolets, égratignant au passage certaines célébrités, Caro, Zola, et surtout Francisque Sarcey.

« Léon Valade n’a été, de son vivant, jugé à toute sa valeur que par un groupe restreint d’amis et de lettrés. Il n’a jamais cherché la renommée : on pourrait presque dire qu’il l’a fuie ; et peut-être, cependant, tel qui a fait tout d’abord gros tapage autour de son nom laissera-t-il après lui beaucoup moins que ce poète. Il a enfermé, d’une main singulièrement délicate, des sentiments exquis dans des vers achevés : il faut autre chose dans le bruit du moment, mais cela suffit pour rester. » (Camille Pelletan.)



AU LEVER


Charmante, les yeux bruns de mollesse baignes,
Dans le désordre exquis des cheveux non peignés,
Jeune fille déjà, l’air d’une enfant encore
(Grâce double ! qui tient de l’aube et de l’aurore),
Elle est là, se croyant toute seule… Elle a pris,
Dans le frisson neigeux de la poudre de riz,
Une houppe de cygne, et, dormeuse encor lasse,
Sur la pointe des pieds se hausse vers la glace
Par un effort qui la cambre légèrement.
Pose coquette : ainsi le divin gonflement
Du souffle accuse mieux la naissante poitrine,
En même temps que bat l’aile de la narine,
Et que les cils pressés palpitent sur les yeux.
Attentive, elle tend sa peau d’un grain soyeux
Qu’effleure le duvet doux comme une caresse.
Et se dépite à voir que toujours transparaisse
Le sang jeune par qui son teint reste vermeil
De la carnation récente du sommeil ;
Car elle a beau poudrer sa joue ardente et fraîche*
Où, dans le rose, pointe une rougeur de pèche,
Toujours ce vilain rose et ce rouge insolent
Triomphent…
O morale, aïeule au chef branlant !
O duègne, qu’en secret la mode farde et grime,
Ne t’indigne pas trop (bien que ce soit un crime
D’opprimer sous l’hiver le printemps rose et nu),
Ne t’indigne pas trop de ce crime ingénu.
Si naïve, l’erreur peut être pardonnée.
Songe qu’avril aussi, jeunesse de l’année,
Parfois s’éveille avec un caprice pareil,
Et fait, à la surprise extrême du soleil,
Sur les rouges bourgeons, drus et pressés de vivre,
Scintiller la blancheur délicate du givre.

(A Mi-Côte.)
NUIT DE PARIS


Le ciel des nuits d’été fait à Paris dormant
Un dais de velours bleu piqué de blanches nues,
Et les aspects nouveaux des ruelles connues
Flottent dans un magique et pâle enchantement.

L’angle, plus effilé, des noires avenues
Invite le regard, lointain vague et charmant.
Les derniers Philistins, qui marchent pesamment,
Ont fait trêve aux éclats de leurs voix saugrenues.

Les yeux d’or de la Nuit, par eux effarouchés,
Brillent mieux, à présent que les voilà couchés…
— C’est l’heure unique et douce où vaguent, de fortune,

Glissant d’un pas léger sur le pavé chanceux,
Les poètes, les fous, les buveurs, — et tous ceux
Dont le cerveau fêlé loge un rayon de lune.


(A Mi-Côte.)


L’INFINI


Prisonnier de la vie et de ses lois cruelles,
J’ai connu les élans du désir indompté,
Et j’ai toujours frémi devant l’immensité
Comme l’oiseau captif sent palpiter ses ailes.

Le dernier mot, l’énigme, ont eux seuls irrité
Mon désir, dédaigneux des notions réelles,
Mon cœur toujours épris de chimères plus belles
A salué de loin l’idéale beauté.

Amoureux, j’ai pleuré de sentir limitée
Du temps et de la mort l’extase tourmentée
Qui flambe dans le cœur comme un feu de copeaux.

Plus tard, j’ai voulu croire à l’éternelle vie ;
Mais je suis las d’efforts, et ma dernière envie
Est de connaître enfin l’infini du repos.


(Extrait de la revue le Penseur, février 1904.)