Anthologie des poètes français contemporains/Theuriet André

Anthologie des poètes français contemporains, Texte établi par Gérard WalchCh. Delagrave, éditeur ; A.-W. Sijthoff, éditeurTome premier (p. 404-415).








Bibliographie. Le Chemin des bois, poésie, ouvrage couronné par l’Académie française (1867) ; — Les Paysans de l’Argonne, 1792-1871 (1871) ; — Jean-Marie, drame en un acre et en vers (Odéon, 1871) ; — Le Bleu et le Noir, poème (1873) ; Mademoiselle Guignon (1874) ; Le Mariage de Gérard (1875) ; La Fortune d’Angèle (1876) ; Rymonde (1877) ; — Nos Enfants (1878) ; Sous bois (1878) ; Les Nids, poésie (1879) ; — Le Fils Maugars (1879) ; — La Maison des deux Barbeaux (1879) ; — Toute seule (1880) ; — Madame Véronique (1880) ; — Sauvageonne (1880) ; — Les Enchantements de la forêt (1881) ; — Les Mauvais Ménages (1882) ; Madame Heurteloup (1882) ; — Le Journal de Tristan (1883) ; — Michel Verneuil (1883) ; — Le Secret Gertrude (1883) ; — Tante Aurélie (1884) ; — Nouvelles (1884) ; — Eusèbe Lombard (1885) ; — Les Œillets de Kerlaz (1885) ; — Péché mortel (1885) ; — Bastien Lepage, étude (1885) ; — Bigarreau (1886) ; — Nos Oiseaux, poésie (1886) ; — Hélène (1886) ; — Contes pour les jeunes et les vieux (1886) ; — Contes la vie de tous les jours (1887) ; — Le Livre de la payse, poésie (1887) ; — L’Affaire Froideville, Mœurs d’employés (1886) ; — Contes de la vie intime (1888) ; — Amour d’automne (1888) ; — L’Amoureux de la préfète (1889) ; — Deux Sœurs (1889) ; — Contes pour les soirs d’hiver (1889) ; — Reine des bois (1890) ; L’Oncle Scipion (1890) ; — Le Bracelet de turquoises (1890) ; Charme dangereux (1891) ; — Jeunes et Vieilles Barbes (1892) ; — La Rondes des saisons et des mois, poésie (1892) ; — La Chanoiness (1893) ; L’Abbé Daniel (1893) ; — Surprises d’amour (1893) ; Contes forestiers (1894) ; — Jardin d’automne, poésie (1894) ; — Nos Oiseaux, nouvelle édition (1894) ; Paternité (1895) ; — Rose-Lise (1894) ; — Contes tendres (1895) ; Flavie (1895) ; — Madame Véronique (1895) ; Contes de la Primevere (1895) ; — Années de printemps (1896) ; Cœurs meurtris (1896) ; — — Fleurs de Nice (1896) ; — Josette (1896) ; — Poésies (1896) ; — Boisfleury (1897) ; — Deuil de veuve (1897) ; — Lilia (1897) ; — Philomène (1897) ; — Dans les roses (1898) ; Lis sauvages (1898) ; — Le Refuge (1898) ; — Le Secret de Gertrude (1898) ; — La Vie rustique (1898) ; — Dorine (1899) ; — Fleurs de cyclamens (1899) ; — La Vie rustique, nouvelle édition (1899) ; — Nos Oiseaux, nouvelle édition (1899) ; — Villa Frangeville (1899). Les œuvres de M. André Theuriet ont été éditées par Alphonse Lemerre, Charpentier-Fasquelle, etc.

M. André Theuriet a collaboré au Parnasse Contemporain, à la Bévue de Paris, à la Revue des Deux-Mondes, etc.

M. André Theuriet (Claude-Adhémar-André) est né à Marlyle-Roy (Seine-et-Oise) le 8 octobre 1833, d’une famille lorraine. Il fit ses études à Bar-Ie-Duc, où son père occupait l’emploi de receveur de l’enregistrement, et entra en 1853 comme surnuméraire dans le même service, dont il a successivement franchi les divers échelons avant de prendre sa retraite, en 1886, avec le grade de chef de bureau.

Il publia ses premiers vers dans la Revue de Paris. Collaborateur de la Revue des Deux-Mondes à partir de 1857, il a donné à ce recueil quelques poèmes intitulés In Memoriam, et la plupart des poésies qui, réunies plus tard sous le titre Le Chemin des bois, furent couronnées en 1868 par l’Académie française. II y lit paraître depuis plusieurs romans et nouvelles.

Dans ce premier recueil de vers, Le Chemin des bois, M. André Theuriet nous apparaît comme un poète essentiellement forestier. « Son Chemin des bois, dit Théophile Gautier dans son étude sur Les Progrès de la poésie française depuis 1830, nous ramène à la campagne, et l’on fait bien de suivre Theuriet sous les verts ombrages où il se promène comme Jacques le mélancolique dans la forêt de Comme il vous plaira, faisant des réflexions sur les astres, les fleurs, les herbes, les oiseaux, les daims qui passent, et le charbonnier assis sous la hutte en branchages. C’est un talent fin et discret que celui de Theuriet : il a la fraîcheur, l’ombre et le silence des bois, et les figures qui animent ses paysages glissent sans faire de bruit comme sur des tapis de mousse, mais elles vous laissent leur souvenir, et elles vous apparaissent sur un fond de verdure, dorées par un oblique rayon de soleil. »

« Si dans Le Chemin des bois, M. André Theuriet se montre exclusivement paysagiste, son second recueil : Le Bleu et le Noir, nous le fait voir sous des aspects plus divers. Tout en gardant sa note de sincérité attendrie, il a acquis une facture plus savante, et sa manière s’est élargie. Sa forme est devenue plus précise, son inspiration plus variée. Dans l’intervalle, la guerre de 1870 a éclaté ; le poète, sac au dos et le fusil sur l’épaule, est allé faire le coup de feu à Buzenval, et, pendant ces jours d’épreuve, il a ressenti de patriotiques émotions, dont on perçoit l’écho dans Les Paysans de l’Argonne, La Veillée de Noël, et surtout Priere dans les bois. En même temps, il chante l’amour d’une voix discrète et profonde, comme un libre oiseau de la forêt qu’on entend sans le voir…

« En octobre 1871, M. Theuriet fait représentera l’Odéon un acte en vers, Jean-Marie, qui est resté au répertoire, et en 1874 il publie Le Bleu et le Noir, son second recueil de vers.

« A partir de cette époque, le poète se double d’un romancier. M. Theuriet nous peint, dans une prose à la fois sobre et colorée, les intimes bonheurs, les ridicules et aussi la poésie de la vie provinciale. Le Lorrain s’est imprégné de mélancolie en traversant les grandes forêts mystérieuses de l’Argonne, mais il a gardé un fonds de sensualisme et d’observation à la fois attendrie et moqueuse, qui caractérisent sa troisième manière… Dans les vers comme dans les romans de M. Theuriet, on sent une franche et saine saveur du terroir qui constitue l’originalité du poète. » (André Lemoyne.)

M. André Theuriet est chevalier de la Légion d’honneur et membre de l’Académie française.
LA CHANSON DU VANNIER


Brins d’osier, brins d’osier,
Courbez-vous, assouplis sous les doigts du vannier.

Brins d’osier, vous serez le lit frêle où la mère
Berce un petit enfant aux sons d’un vieux couplet :
L’enfant, la lèvre encor toute blanche de lait,
S’endort en souriant dans sa couche légère.

Brins d’osier, brins d’osier,
Courbez-vous, assouplis sous les doigts du vannier.

Vous serez le panier plein de fraises vermeilles
Que les filles s’en vont cueillir dans les taillis.
Elles rentrent le soir, rieuses, au logis,
Et l’odeur des fruits mûrs s’exhale des corbeilles.

Brins d’osier, brins d’osier,
Courbez-vous, assouplis sous les doigts du vannier.

Vous serez le grand van où la fermière alerte
Fait bondir le froment qu’ont battu les fléaux,
Tandis qu’à ses côtés des bandes de moineaux
Se disputent les grains dont la terre est couverte.

Brins d’osier, brins d’osier,
Courbez-vous, assouplis sous les doigts du vannier.

Lorsque s’empourpreront les vignes à l’automne,
Lorsque les vendangeurs descendront des coteaux,
Brins d’osier, vous lierez les cercles des tonneaux
Où le vin doux rougit les douves et bouillonne.

Brins d’osier, brins d’osier,
Courbez-vous, assouplis sous les doigts du vannier.

Brins d’osier, vous serez la cage où l’oiseau chante,
Et la nasse perfide au milieu des roseaux,
Où la truite, qui monte et file entre deux eaux,
S’enfonce et, tout à coup, se débat frémissante.

Brins d’osier, brins d’osier,
Courbez-vous, assouplis sous les doigts du vannier.

Et vous serez aussi, brins d’osier, l’humble claie
Où, quand le vieux vannier tombe et meurt, on l’étend,
Tout prêt pour le cercueil. — Son convoi se répand,
Le soir, dans les sentiers où verdit l’oseraie.

Brins d’osier, brins d’osier,
Courbez-vous, assouplis sous les doigts du vannier.


(Le Chemin des bois.)


LA VIGNE EN FLEUR


La fleur des vignes pousse,
Et j’ai vingt ans ce soir…
Oh ! que la vie est douce !
C’est comme un vin qui mousse
En sortant du pressoir.

Je sens ma tête prise
D’ivresse et de langueur.
Je cours, je bois la brise…
Est-ce l’air qui me grise,
Ou bien la vigne en fleur ?

Ah ! cette odeur éclose
Dans les vignes, là-bas…
Je voudrais, et je n’ose,
Etreindre quelque chose
Ou quelqu’un dans mes bras !

Comme un chevreuil farouche
Je fuis sous les halliers ;
Dans l’herbe où je me couche
J’écrase sur ma bouche
Les fruits des framboisiers

Et ma lèvre charmée
Croit sentir un baiser,
Qu’à travers la vannée,
Une bouche embaumée
Vient tendrement poser…

O désir, ô mystère !
O vignes d’alentour,

Fleurs du val solitaire,
Est-ce là sur la terre
Ce qu’on nomme l’amour ?


(Le Bleu et le Noir.)


LES FOINS


Au clair appel du coq chantant sur son perchoir,
Les faucheurs se sont mis à l’œuvre, et la prairie
Dans la blanche rosée a déjà laissé choir,
Derrière eux, un long pan de sa robe fleurie.

Les bruissantes faux vibrant à l’unisson
Ouvrent dans l’herbe mûre une large tranchée ;
Deux robustes faneurs, là-bas, fille et garçon,
Retournent au soleil l’odorante jonchée.

Leurs yeux brillent, l’amour sur le même écheveau
A mêlé les fils d’or de leur double jeunesse,
Et le voluptueux parfum du foin nouveau
A leur naissant désir ajoute son ivresse…

Comme eux, j’éprouve aussi ton mol enivrement,
Fenaison !… Je revois la saison bienheureuse
Où j’allais par les prés, cherchant naïvement
La fleur qui donne au foin son haleine amoureuse,

Et les herbes tombant au rythme sourd des faux
M’apportent le parfum des lointaines années
Dont le Temps, ce faucheur marchant à pas égaux,
Eparpille après lui les floraisons fanées.

La vie est ainsi faite. Elle ondule à nos yeux
Comme une plantureuse et profonde prairie,
Dont un magicien tendre et mystérieux
Varie à tout moment l’éclatante féerie.

Nous y courons ravis, cueillant tout sans choisir,
Fauchant jusqu’aux boutons qui s’entr’ouvrent à peine ;
Mais l’éblouissement nous ôte le loisir
De savourer les fleurs dont notre main est pleine.

Nos merveilleux bouquets doivent comme le foin
Se faner pour avoir leur plus suave arome ;

C’est quand l’enchantement d’avril est déjà loin
Que son ressouvenir nous suit et nous embaume.

Le présent est pour nous un jardin défendu,
Et nous n’entrons jamais dans la terre promise ;
Mais l’éternel regret de ce bonheur perdu
Donne à nos souvenirs une senteur exquise…

Peut-être est-ce un regret de leur brève splendeur
Qui donne aux foins coupés ces subtiles haleines ?…
Toutes les fleurs des prés s’y mêlent comme un chœur ;
Sauges et mélilots, flouves et marjolaines.

Leur musique voilée a des philtres pour tous.
Elle fait soupirer les pensives aïeules
Assises sous l’auvent le front dans les genoux,
Et les bruns amoureux couchés au pied des meules.

La nuit, avec le chant des sources dans les bois,
Quand ce concert d’odeurs monte au ciel pacifique,
Vers le bleu paradis des saisons d’autrefois
Le cœur charmé fait un retour mélancolique.

Dans ce passé limpide il croit se rajeunir ;
Il y plonge, il y goûte une paix endormante,
Mollement enfoncé dans le doux souvenir
Comme en un tas de foin vert et sentant la menthe.

Puissé-je pour mourir avoir un lit pareil,
Et que ce soit au temps des fenaisons joyeuses,
Quand les grands chars pleins d’herbe, au coucher du soleil,
Ramèneront des prés la troupe des faneuses !

Au soir tombant, leurs voix fraîches éveilleront
L’écho des jours lointains dormant dans ma mémoire ;
Je verrai s’allumer les astres sur mon front
Comme des lampes d’or au fond d’un oratoire ;

Et lorsque peu à peu les funèbres pavots
Sur mes yeux lourds seront tombés comme des voiles,
Mon dernier souffle, avec l’odeur des foins nouveaux,
S’en ira lentement vers le ciel plein d’étoiles.


(Le Livre de la payse.)
LES PAYSANS


Le village s’éveille à la corne du pâtre,
Les bêtes et les gens sortent de leur logis ;
On les voit cheminer sous le brouillard bleuâtre,
Dans le frisson mouillé des alisiers rougis.

Par les sentiers pierreux et les branches froissées,
Coupeurs de bois, faucheurs de foin, semeurs de blé,
Ruminant lourdement de confuses pensées,
Marchent, le front courbé sur leur poitrail hâlé.

La besogne des champs est rude et solitaire.
De la blancheur de l’aube à l’obscure lueur
Du soir tombant, il faut se battre avec la terre
Et laisser sur chaque herbe un peu de sa sueur.

Paysans, race antique à la glèbe asservie, i
Le soleil cuit vos reins, le froid tord vos genoux ;
Pourtant si l’on pouvait recommencer sa vie,
Frères, je voudrais naître et grandir parmi vous !

Pétri de votre sang, nourri dans un village,
Respirant des odeurs d’étable et.de fenil,
Et courant en plein air comme un poulain sauvage
Qui se vautre et bondit dans les pousses d’avril,

J’aurais en moi peut-être alors assez de sève,
Assez de flamme au cœur et d’énergie au corps,
Pour chanter dignement le monde qui s’élève
Et dont vous serez, vous, les maîtres durs et forts.

Car votre règne arrive, ô paysans de France ;
Le penseur voit monter vos flots lointains encor,
Comme on voit s’éveiller dans une plaine immense
L’ondulation calme et lente des blés d’or.

L’avenir est à vous, car vous vivez sans cesse
Accouplés à la terre, et sur son large sein
Vous buvez à longs traits la force et la jeunesse
Dans un embrassement laborieux et sain.

Le vieux monde se meurt. Dans les plus nobles veines
Le sang bleu des aïeux, appauvri, s’est figé,

Et le prestige ancien des races souveraines
Comme un soleil mourant dans l’ombre s’est plongé ;

Mais vous croissez… L’effroi des nombreuses lignées
N’arrête point l’essor de vos mâles amours ;
Pour de nouveaux enfants vos femmes résignées
Voient s’arrondir sans peur leurs robustes contours.

L’avenir est à vous !… Nos écoles sont pleines
De fils de vignerons et de fils de fermiers ;
Trempés dans l’air des bois et les eaux des fontaines,
Ils sont partout en nombre et partout les premiers.

Salut ! Vous arrivez, nous partons. Vos fenêtres
S’ouvrent sur le plein jour, les nôtres sur la nuit…
Ne nous imitez pas ; quand vous serez nos maîtres,
Demeurez dans vos champs où le grand soleil luit…

Ne reniez jamais vos humbles origines,
Soyez comme le chêne au tronc noueux et dur :
Dans la terre enfoncez vaillamment vos racines,
Tandis que vos rameaux verdissent dans l’azur.

Car la terre qui fait mûrir les moissons blondes
Et dans les pampres verts monter l’âme du vin,
La terre est la nourrice aux mamelles fécondes ;
Celui-là seul est fort qui boit son lait divin.

Pour avoir dédaigné ses rudes embrassades,
Nous n’avons plus aux mains qu’un lambeau de pouvoir,
Et, pareils désormais à des enfants malades,
Ayant peur d’obéir et n’osant plus vouloir,

Nous attendons, tremblants et la mine effarée,
L’heure où vous tous, bouviers, laboureurs, vignerons,
Vous épandrez partout comme un ras de marée
Vos flots victorieux où nous disparaîtrons.


(Le Livre de la payse.)


PROMENADE SUR L’EAU


Les saules frissonnent. La lune
Argente la rivière brune
Du reflet de ses bleus regards ;


La barque sous les hautes branches
Glisse à travers les roses blanches
Des nénuphars.

Parmi les feuillages dissoute,
La fraîcheur du soir, goutte à goutte.
Répand des pleurs mystérieux,
Et leur chute dans l’eau qui tremble
Nous berce avec un chant qui semble
Tomber des cieux…

O mes amis, la nuit sereine !
Riez, mais qu’on entende à peine
Vos rires… Ne réveillez pas
La réalité douloureuse
Qui dans une ombre vaporeuse
S’endort là-bas !…

Chantez !… Sous la voûte qui pleure,
Les yeux mi-clos, oubliant l’heure,
Je vais rêver au fil de l’eau,
Comme un entant que sa nourrice
Câline, afin qu’il s’assoupisse
Dans son berceau…


(Jardin d’automne.)


CARILLONS DE NOËL


Le vieux sonneur monte au clocher,
Jusqu’aux meurtrières béantes
Où les corneilles vont nicher,
Et, chétif, il vient se percher
Au milieu des poutres géantes.

Dans les ténèbres où ne luit
Qu’un falot pendant aux solives,
Il s’agite et mène grand bruit
Pour mettre en danse cette nuit
Les battants des cloches massives.

Joyeuses, avec un son clair,
Les voix des cloches, par le faite
Des lucarnes, s’en vont dans l’air

Sur les ailes du vent d’hiver,
Comme des messagers de fête.

Noël ! Noël !… Sur les hameaux
Où les gens rentrent à la brune ;
Sur les bois noirs et sur les eaux
Où tout un peuple de roseaux
Frissonne au lever de la lune ;

Noël !… Sur la ferme là-bas,
Dont la vitre rouge étincelle,
Sur la grand’route où, seul et las,
Le voyageur double le pas,
Partout court la bonne nouvelle…

Oh ! ces carillons argentins
Dans les campagnes assombries,
Quels souvenirs doux et lointains,
Quels beaux soirs et quels doux matins
Ressuscitent leurs sonneries l

Jadis ils me versaient au cœur
Une allégresse chaude et tendre ;
J’ai beau vieillir et passer fleur,
Je retrouve joie et vigueur,
Aujourd’hui, rien qu’à les entendre…

Et cette musique de l’air,
Cette gaîté sonore et pleine,
Ce chœur mélodieux et clair
Qui s’en va dans la nuit d’hiver
Ensoleiller toute la plaine,

C’est l’œuvre de ce vieux sonneur
Qui, dans son clocher solitaire,
Fait tomber, ainsi qu’un vanneur,
Cette semence de bonheur
Sur tous les enfants de la terre.


(Jardin d’automne.)