Anthologie des poètes français contemporains/Schuré (Édouard)

Anthologie des poètes français contemporainsCh. Delagrave, éditeur ; A.-W. Sijthoff, éditeurTome deuxième (p. 72-74).
EDOUARD SCHURÉ




Bibliographie. — Histoire du Lied en Allemagne (1868) ; — L Alsace (1871) ; — Le Drame musical (1875) ; — Les Chants de la montagne (1877) ; — Mélidona (1879) ; — La Légende de d’Alsace, vers (1884) ; — Vercingetorix, 5 actes, en vers (1887) ; — Les Grands Initiés (1889) ; — L’Ame de la Patrie (1892) ; — La Vie mystique, vers (1894) ; — L’Ange et la Sphynge (1896) ; — Sanctuaires d’Orient (1898) ; — Le Théâtre de l’Ame ; — Le Double, roman (1899).

M. Edouard Schuré a collaboré à de nombreux quotidiens et périodiques.

M. Edouard Schuré, né à Strasbourg le 21 janvier 1841, fit ses études de droit, mais il se contenta de son titre d’avocat et, abandonnant la jurisprudence, consacra sa vie à la critique et à l’histoire musicale. Il fut en France l’apôtre « le plus convaincu et le plus convaincant » du wagnérisme.

M. Edouard Schuré, qui compte parmi les meilleurs poètes de l’heure présente, est philosophe autant que poète. Ce pur artiste, dont l’inspiration semble toujours sincère, atteint aisément la grandeur. Son vers est ample et harmonieux. Au fond de sa poésie — bien que l’inquiétant problème de notre éphémère et fragile existence paraisse l’obséder — il y a un profond respect de l’humanité, de ses souffrances, de ses pures joies, de ses enthousiasmes.




EN FORET


Ils règnent fiers et grands dans la montagne austère,
Les vieux sapins géants qui croissent en forêt ;
Marche et pénètre au cœur de leur noir sanctuaire.
Et l’arbre sombre et fort te dira son secret.

Là, sous le dais d’un ciel splendide et pacifique,
Se prolongent sans fin leurs verts arceaux ombreux,

Le soleil joue en paix dans leur couronne antique
Et frappe en flèches d’or leurs fûts blancs vigoureux.

Salut, rois invaincus des hauteurs virginales !
Oui, la jeunesse en vous circule par torrents,
Vous aimez vous sentir frissonner aux grands hâles
Quand sous vos rameaux verts fermente le printemps.

Non, vous ne croissez pas dans les ravins vulgaires,
Dans les riches vallons, sur les gazons soyeux ;
Dans le désert sauvage, où pleurent les bruyères,
Vos faîtes vont humer l’azur foncé des cieux.

Vous couronnez ces monts de votre mâle souche,
Et point de pics si hauts, de rocs assez ingrats,
Où debout sur l’abîme et sous un ciel farouche
A tous les quatre vents vous n’ouvriez vos bras.

Et lorsque l’un de vous, seul, roidi sur sa roche,
Tombe aux coups de l’orage, il tombe le front haut,
Il tombe comme un preux sans peur et sans reproche,
Et des gerbes de fleurs lui font un gai tombeau.

Comme un roi dans sa pourpre il dort couché dans l’herbe,.
Il dort calme et puissant de son dernier sommeil ;
Il a dans sa forêt poussé libre et superbe,
11 a vécu cent ans d’air vierge et de soleil.


L’AUBÉPINE ET L’ÉTOILE

L’aubépine dit à l’étoile :
« Bel astre d’or du sombre azur,
Qui me regardes de la toile
Du firmament tranquille et pur,

« Dis, me vois-tu ? Je viens d’éclore
Au bord du verdoyant talus ;
Je suis blanche étoile à l’aurore,
Et demain je ne serai plus.

« Tu reluis, reine, en ton cortège ;
Nul n’a jamais compté tes jours ;
Je viens et passe comme neige,
Mais toi, tu brilleras toujours.

« Que ne suis-je la belle étoile,
La flamme fière au firmament !
Que ne puis-je, ardente et sans voile,
Resplendir éternellement ! »

L’étoile dit à l’aubépine :
« Ma pauvre fleur, console-toi ;
Fleuris en paix sur ta colline,
Car le bonheur n’est pas en moi.

« Vois, je me consume en silence,
Superbe et triste en ma beauté ;
Je cherche d’un regard intense
Ma sœur depuis l’éternité.

« Mais toi, tu n’es pas solitaire
Sur ta verte colline en fleur,
Et tu prodigues à la terre
Le parfum qui sort de ton cœur.

« Ah ! que ne suis-je l’églantine
Qui n’a qu’un printemps pour fleurir,
Ou que ne suis-je l’aubépine
Pour pouvoir aimer et mourir ! »