Anthologie des poètes français contemporains/Larmandie (Léonce de)

Anthologie des poètes français contemporainsCh. Delagrave, éditeur ; A.-W. Sijthoff, éditeurTome deuxième (p. 38-41).
LEONCE DE LARMANDIE




Bibliographie. — Neiges d’antan (1877) ; — Les Épaves (1878) ; — La Traînée de sang (1880) ; — Les Phares (1882), — Le Carcan (1882) ; — Le Sang de l’âme (1885) ; — Errant (1887) ; — Les Holocaustes (1890) ; — La Chevauchée de la Chimère : — Mes yeux d’enfant (1889) ; — L’Age du fer (1891) ; L’Age du feu (1893) ; — La Montée au ciel : 1er degré. Le Sentier des Larmes (1895) ; 2 » edegré, Le Chemin de la Croix (1896) ; 3edegré, Au delà (1896) ; — Mort d’Athalie (1901), et de nombreux volumes en prose.

M. Léonce de Larmandie a collaboré à de nombreux quotidiens et périodiques.

« M. le comte Léonce de Larmandie, délégué général du Comité de là Société des Gens de lettres, est né à Ginevra, près Villamblard, en Dordogne. Dès le collège, il écrit, il songe à se faire romancier… Il fut cependant d’abord professeur, et pendant huit années conduisit au baccalauréat et aux grandes écoles les héritiers des anciennes maisons méridionales. Ensuite, il se consacra définitivement à la littérature, si bien qu’à ce jour il a publié une cinquantaine de volumes, romans, poésies et sagaces études de psychologie contemporaine ou de philosophie ésotérique, dont le Sàr Pèladan disait : « Voilà nos Evangiles. » Pendant dix années, le Sàr eut en lui son fidèle apôtre, le disciple très cher gardien des secrètes pensées. Il défaillit cependant, lorsque sa sincérité s’effaroucha du « puffisme » ambiant, mais après avoir consacré sa conscience artistique et un zèle rare à l’organisation de ces Salons de la Rose + Croix, où de si belles œuvres figurèrent parmi les divinités sanguinolentes et les batailles rubescentes. Il murmure aujourd’hui, à ce souvenir : « Ah ! jeunesse ! » et s’absout. » (Gil Blas, Médaillon.)

Bien qu’il ait une dizaine d’années de moins que les principaux Parnassiens, M. de Larmandie appartient à l’école romantique proprement dite, « Il est avant tout un tempérament. Il y a, dans ses poèmes, de la couleur ardente, de la lave qui coule toute brûlante. » (E. Ledrain.)



LE TORSE


Brutalement tordu, raccourci, démembré,
Ce tronc prodigieux d’un corps démesuré
Semble un chêne massif et noueux dont le faîte
Et la base ont été broyés par la tempête.
Une vigueur profonde aux fauves âpretés
Creuse la chair puissante en sillons tourmentés.
Sa poitrine gonflée en des soupirs énormes
Arrondit le contour palpitant de ses formes.
Tandis qu’un soubresaut des muscles violents
Débauche la ceinture et convulsé les flancs.
Ce colossal débris, ce moignon de statue,
Qui frissonnant toujours s’efforce et s’évertue,
Fait rêver au géant du vieux siècle de fer
Ayant un jour étreint corps à corps Jupiter :
Les éclats répétés de la foudre inquiète
Rompirent ses genoux, arrachèrent sa tête
Et jetèrent à bas ses restes fracassés ;
Mais contre le Titan ce n’était point assez,
Son buste hume encor par toutes ses entailles
La rumeur des assauts et le vent des batailles,
Rome, avril 1885.


(Errant.)


APOLLON


Son épaule et ses flancs, ses bras et ses genoux,
Aux nobles flexions, aux vigueurs éternelles,
Sont à la fois si fiers, si puissants et si doux
Qu’on croirait dans l’azur voir onduler des ailes.

La main nerveuse et fine au mouvement distrait,
Main de jeune héros et main de charmeresse,
Est la fontaine vive où la force apparaît
Et d’où s’échappe à flots la rêveuse caresse.

Sur la bouche que ferme un dédain glorieux
Familier de l’azur, dominateur du monde,

Rayonne opulemment la volupté des dieux,
Victorieuse et calme, immuable et profonde.

Parmi l’envolement du front surnaturel
Le triomphant éclat des larges yeux s’arbore,
Ainsi qu’à l’horizon magnifique du ciel
L’épanouissement enchanté de l’aurore.

Cette blancheur tranquille exhale tant d’attrait,
L’impeccable beauté, de lumière insondée,
Que la forme s’en va, que le corps disparaît
Et qu’on embrasse à nu la splendeur de l’idée.
Rome, avril 1885.


(Errant.)