Anthologie des poètes français contemporains/Chantavoine (Henri)

Anthologie des poètes français contemporainsCh. Delagrave, éditeur ; A.-W. Sijthoff, éditeurTome deuxième (p. 33-37).
HENRI CHANTAVOINE




Bibliographie. — Poèmes sincères (Foyer, Patrie, Évangile) (Calmann-Lévy, Paris, 1877) ; — Satires contemporaines (Calmann-Lévy, Paris, 1880) ; — Ad memoriam (Calmaan-Lévy, Paris, 1884) ; — Discours sur les Etudes classiques et la démocratie (1887) ; — Au fil des jours (A. Lemerre, Paris, 1889).

M. Henri Chantavoine a collaboré à l’Histoire de la langue et de la littérature française, publiée sous la direction de L. Pelit de Julleville, au Journal des Débats, à la Nouvelle Revue, etc.

« M. Henri Chantavoine, fils d’un officier supérieur, est né à Montpellier (Hérault), le 6 août 1850. Après de solides études commencées au lycée de Troyes et achevées à Paris au Lycée Henri IV, lauréat plusieurs fois couronné au Concours général, il entra en 1869 à l’Ecole normale, et il en sortit, en 1873, premier agrégé des classes supérieures. Professeur en province pendant trois ans, M. Chantavoine est aujourd’hui professeur de rhétorique à son ancien Lycée Henri IV, maître de conférences de littérature Irauçaise à l’Ecole normale de Sèvres et rédacteur au Journal des Débats.

« En 1877, l’Académie lui décerna une mention honorable pour un éloge d’André Chénier (Concours de poésie) » [1]

Outre de nombreux articles de critique littéraire au Journal des Débats et à la Nouvelle Revue qui n’ont point été réunis jusqu’à ce jour, on cite de M. Chantavoine quatre volumes de vers : Poèmes sincères (1877), Satires contemporaines (1880), Ad memoriam, œuvre de poésie intime et douloureuse, dédiée à une chère mémoire (1884), Au fil des jours (1889), un discours sur les Études classiques et la Démocratie, prononcé à la distribution des prix du Concours général de 1887 et qui fut très remarqué, et une fort belle étude sur les Poètes dans l’Histoire de la langue et de la littérature française des origines à 1900, publiée sous la direction de Petit de Julleville. Ayant appris, dès le collège, à admirer les chefs-d’œuvre classiques, M. Chantavoine, comme il le dit lui-même dans la préface des Poèmes sincères, s’en est toujours tenu à ces premières admirations. Shakespeare, Gœthe, les grands poètes du XIX » siècle, Victor Hugo, Lamartioe, Alfred de Musset, lui ont fait connaître d’autres jouissances, mais sans le rendre indifférent ou infidèle aux maîtres qu’il avait tout d’abord connus et aimés. « Tous ceux qui aiment les solides vertus classiques, l’émotion sans fracas, l’élévation sans raideur, la correction sans effort, goûtent vivement sa poésie délicate et sincère, où la noblesse du sentiment est heureusement soutenue par l’harmonie du rythme et une rare pureté de la forme ». (Petit de JULLEVILLE.)




BERCEUSE


La paupière demi-close,
À l’ombre du blanc rideau.
Comme un oiseau qui se pose.
L’enfant dort dans son berceau.

Le bon ange qui le veille
Le berce pour l’apaiser,
Et tout bas, à son oreille,
Lui chante dans un baiser :
Do, do, l’enfant do.
L’enfant dormira bientôt.

Au travers de la fenêtre,
Avec un bonheur joyeux.
Le soleil entre et pénètre.
Comme un voisin curieux.

On abrège sa visite
A grand renfort de volets.
Et la lumière éconduite
Eteint ses derniers reflets.
Do, do, l’enfant do,
L’enfant dormira bientôt.

Afin que l’horloge meure,
On retient le balancier ;
Le lutin bruyant de l’heure
Suspend son marteau d’acier ;

On n’entend que le silence,
Et sur le doux oreiller,
Dans la paix et l’innocence
On voit l’enfant sommeiller.
Do, do, l’enfant do,
L’enfant dormira bientôt.

Et ses deux lèvres vermeilles
Ont un miel mystérieux
Que d’invisibles abeilles
Cueillent aux jardins des cieux.

Son haleine fraîche et pure,
Avec un rythme charmant,
Semble le premier murmure
De son premier mot : « Maman ! »
Do, do, l’enfant do,
L’enfant dormira bientôt.


(Poèmes sincères.)


ADIEU


A MA. SŒUR HÉLÈNE


Il n’est point ici-bas d’heure si fortunée
Qui ne doive finir et n’ait son lendemain ;
C’est la loi de ce monde, et notre destinée
Ne veut rien d’éternel dans le bonheur humain ;

Notre plus longue joie est vite terminée ;
Ce n’est qu’un chant d’oiseau dans l’arbre du chemin ;
L’adieu, le triste adieu vient clore la journée,
Sans qu’on ait eu le temps de se prendre la main.

Mais l’absence n’est rien quand l’amitié demeure,
Et sur les murs détruits de la frêle demeure
Où nous avons rêvé notre songe d’un jour,

La fleur du souvenir s’entr’ouvre épanouie,
Et son parfum divin embaume notre vie
De l’instant du départ à celui du retour.


(Poèmes sincères.)
JEAN HIROUX


Le front bas, l’œil éteint et le geste hideux,
Cicérone interlope à la porte des gares,
Ramasseur breveté de vieux bouts de cigares,
Il fait tous les métiers louches et hasardeux.

Aigri par la misère et rongé par la haine,
Il va, rôdeur sinistre et ténébreux, glissant
Aujourd’hui dans la boue et demain dans le sang.
Épouvante et rebut de la famille humaine.

Refusant du travail et demandant du pain.
Comme un loup en maraude il poursuit son chemin,
Prêt à mordre et montrant ses mâchoires hardies ;

Et quand l’émeute gronde au sein des carrefours,
On entend sa voix rauque, et l’on revoit toujours
Son œil rouge, embrasé de lueurs d’incendies.


{Satires Contemporaines.)



  1. Anthologie des poètes français du dix-neuvième siècle.