Anthologie des matinées poétiques/Pierre de Ronsard
RONSARD
« Enfin Malherbe vint ! » s’écrie Boileau, mais Ronsard était venu d’abord. Il fallait donner son libre essor à la Muse avant de la ramener aux règles du devoir. Fougueux, ardent, riche de sève, Ronsard incarne la poésie en sa jeunesse, comme Malherbe l’incarne en sa maturité. Quand il parut, notre poésie s’étiolait. D’ingénieux rimeurs qui cultivaient les petits genres ne voyaient plus en elle qu’un délassement ; Rabelais avait raillé la poésie chevaleresque. Avec Ronsard, ce Victor Hugo du seizième siècle, ce fut vraiment la Renaissance. Vivifiant la poésie en puisant aux sources de l’antique, il fit des odes comme Pindare et des élégies comme Anacréon, et, parmi tous nos poètes de culture latine, lui qui s’enfermait pour lire Vlliade, il fut Grec d’inspiration. Né au temps heureux où l’on pouvait encore chanter les roses, temps que regrettait Sully Prudhomme, il sut, avec des mots tout neufs, célébrer les choses dans leur fraîcheur première comme s’il les voyait pour la première fois. La poésie jaillissait de son cœur comme eau de la fontaine de Bellerie. Et, poète des forêts et des sources, poète de Gassandre, de Marie et d’Hélène, il aima d’un tel amour son clair Vendômois et ses douces maîtresses que le spectacle de la beauté qui dépérit ou se fane lui inspira ses vers les plus émouvants.