Anthélia Mélincourt/La Maison de l’hypocondre

Traduction par Mlle Al. de L**, traducteur des Frères hongrois.
Béchet (1p. 29-35).


LA MAISON DE L’HYPOCONDRE.


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Anthélia avait reçu diverses propositions de mariage, de la part de quelques individus aussi utiles dans l’ordre social, que sir Télégraph-Paxaret. Quoiqu’elle n’éprouvât aucun intérêt pour ces prétendans, elle sentit qu’il serait inconvenant pour une jeune personne de son sexe, enthousiaste des mœurs du vieux temps ; et trop inhospitalier pour la maîtresse d’un château anglois, de leur fermer sa porte.

Elle s’aperçut en même-temps du besoin qu’elle avait, d’avoir un lord Sénéchal, pour recevoir ses visites et faire les honneurs du château à des étrangers si peu de son goût : elle en vint à penser que nul ne remplirait mieux cet emploi, si elle pouvait le décider à l’accepter, qu’un de ses vieux parens, qui venait autrefois passer un mois ou une semaine à Mélincourt. Son nom était Hippy, ou pour mieux dire, Humphrey-Hippy, il était écuyer et célibataire ; d’un caractère très-singulier, qui se composait de bonté, d’emportement et de mélancolie. Ces mouvemens se manifestaient tour à tour et toujours avec une telle rapidité, qu’il semblait qu’il y avait plusieurs individus dans le même homme.

Anthélia lui envoya un exprès porteur d’une lettre dans laquelle, elle le priait de prendre sur lui, pour un temps très-court, le gouvernement du château de Mélincourt. Elle lui rendait compte, aussi brièvement que possible, des motifs de sa demande. Le vieux Pierre Gray, domestique favori de son père, fut chargé de ce message et se rendit le lendemain matin, chez sir Hippy. La porte lui fut ouverte par sa vieille connaissance, Harry-Fell. Harry était devenu, par une longue habitude, une espèce de miroir animal ; il réfléchissait tous les caprices de son maître, avec la plus merveilleuse exactitude. Quand l’écuyer était furieux, Harry avait le regard farouche ; sir Hippy était-il de bonne humeur, son serviteur était le tableau de la satisfaction humaine ; si le maître était vaporeux, le valet devenait mélancolique, c’était dans cette dernière disposition d’esprit, qu’ils se trouvaient quand Pierre frappa à la porte qu’Harry lui ouvrit avec la figure la plus allongée. Pierre Gray se préparait avec le plus grand plaisir à renouveller connaissance avec son vieil ami ; mais il fut glacé par cette figure lamentable ; il se contenta de demander, en hésitant, si M. Hippy était chez lui.

— Il y est, articula lentement et bas, son domestique.

— J’ai une lettre pour lui. Pierre la présenta.

Harry prit la lettre avec un profond soupir et s’éloigna avec autant de solennité que s’il eût suivi des funérailles.

— Plaisante réception, dit Pierre ; sans le vent et le froid, je croirais rêver.

Harry frappa trois coups à la porte de la chambre à coucher de son maître, observant le même intervalle entr’eux, que celui que l’on met en frappant sur un tambour drapé. Après avoir fait une pause, il entra dans l’appartement : sir Hippy était en robe de chambre et en pantoufles ; il avait la jambe étendue sur un coussin et souffrait, en imagination, d’une attaque de goutte. Harry s’avança d’un pas solennel jusqu’à une distance convenable du fauteuil de son maître ; alors il étendit, en silence, la main et présenta la dépêche. L’écuyer l’a prit également en silence, il se retourna dans son fauteuil comme s’il était fatigué de cet effort, il regarda négligemment l’adresse ; mais à l’aspect de l’écriture ses yeux s’animèrent ; il rompit précipitamment le cachet, lut rapidement, et faisant voler en l’air son bonnet de nuit, sa robe de chambre, son coussin et ses pantoufles, il s’élança de son fauteuil en demandant, à grands cris, des bottes, un habit, des chevaux de poste ; Harry prépara ce que son maître demandait ; il était également devenu un tout autre homme. Pierre fut installé à l’office, devant un pâté d’oie, un large flacon de bière fut placé à côté de lui. Harry se hâta de monter à son maître une volaille froide et une bouteille de Madère ; car sir Hippy s’était cru trop sérieusement indisposé dans la matinée, pour déjeûner. Après avoir servi sir Hippy, son valet descendit à l’office, où il aida de son mieux, le nouvel arrivé, à démolir le pâté ; son appétit du matin, ayant sympathisé avec celui de sir Hippy était alors également revenu.

Une voiture fut amenée devant la porte, par quatre chevaux de poste, l’écuyer s’élança dedans ; Harry se plaça sur le derrière ; les postillons firent claquer leurs fouets, et les chevaux partirent au galop.

On avait laissé Pierre tout étonné de la métamorphose soudaine du maître et du valet ; il se désespérait de ne pouvoir annoncer leur arrivée au château de Mélincourt ; force lui fut cependant, de remonter sur le cheval qui l’avait amené ; au lieu de le suivre au galop ou de voyager en poste avec l’écuyer, nous monterons dans l’élégant barouche de sir Télégraph, et nous prendrons avec lui la route du château de Mélincourt, où il allait rejoindre sa tante et chercher à plaire à Anthélia.