Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 16/Analise transcendante, article 2

ANALISE TRANSCENDANTE.

Mémoire sur les intégrales définies, où l’on donne
une formule générale de laquelle se déduisent
les valeurs de la plupart des intégrales définies déjà connues
et celles d’un grand nombre d’autres ;

Par M. Cauchy, de l’Académie royale des sciences, etc.
≈≈≈≈≈≈≈≈≈

J’ai montré, dans plusieurs mémoires, dont l’un a été présenté à l’institut le 7 novembre 1814, les avantages que pouvait offrir la considération des intégrales définies singulières, c’est-à-dire, prises entre des limites infiniment rapprochées de certaines valeurs attribuées aux variables qu’elles renferment. On peut consulter à ce sujet l’analise des travaux de l’institut, pendant l’année 1814, où se trouve imprimée une partie du rapport de M. Legendre, sur le mémoire que j’avais présenté dans la même année. On peut également consulter un article inséré dans le Bulletin de la société philomatique pour 1822, le résumé des leçons que j’ai données à l’école polytechnique, le XIX.e Cahier du journal de cette école, les notes ajoutées au mémoire sur la théorie des ondes, inséré dans le recueil des pièces couronnées par l’institut, enfin un nouveau mémoire sur les intégrales définies, prises entre des limites imaginaires, et un extrait de ce mémoire inséré dans le Bulletin des sciences, d’avril 1825.

Parmi les formules générales que j’ai données dans ces mémoires, l’une des plus remarquables est celle qui fournit la valeur de l’intégrale

lorsque la fonction s’évanouit 1.o pour quel que soit 2.o pour quel que soit et que d’ailleurs cette fonction conserve une valeur unique et déterminée, pour toutes les valeurs de et de renfermées entre les limites

Si, après avoir cherché les racines réelles ou imaginaires ds l’équation

(1)

on désigne par celles de ces racines dans lesquelles le coefficient des est positif, et par les valeurs que reçoivent les produits

lorsque se réduit à zéro ; alors en posant

(2)[1]

on trouvera

(3)[2]

C’est ce que l’on démontre sans peine, à l’aide de la méthode que j’ai employée dans la 34.me leçon du calcul infinitésimal.

Si l’équation (1) avait plusieurs racines égales à en désignant par le nombre de ces racines, et par un nombre infiniment petit, il faudrait supposer, dans la formule (2) non plus

mais

[3]

Enfin, si, dans la racine le coefficient de se réduisait à la limite des quantités positives décroissantes, c’est-à-dire, à zéro, ou, en d’autres termes, si la racine devenait réelle, le terme correspondant à cette racine, devrait être réduit à moitié. Dans la même hypothèse, l’équation (3) fournirait, non plus la valeur générale de l’intégrale

qui deviendrait indéterminée, mais sa valeur principale, c’est-à-dire, la limite vers laquelle convergerait la somme

tandis que s’approcherait indéfiniment de zéro. Des remarques doivent être faites à l’égard de toutes les racines de semblables doivent être faites l’équation (1).

Ajoutons que, dans le cas où l’équation (1) a des racines réelles, il est facile de transformer la valeur principale de l’intégrale

qui compose le premier membre de la formule (3), en une intégrale définie, dans laquelle la fonction sous le signe cesse de devenir infiniment grande, pour des valeurs réelles de la variable

Comme la formule (3) fournit les valeurs d’une multitude d’intégrales définies, il ne sera pas inutile d’en donner une démonstration directe. La démonstration dont il s’agit sera l’objet de la première partie de ce mémoire. Dans la seconde j’indiquerai les applications les plus remarquables de cette formule.

Première Partie.

La formule (3) se déduit très-facilement d’un théorème que nous allons établir en peu de mots.

THÉORÈME. Si l’on désigne par une fonction telle que l’expression s’évanouisse 1.o pour quel que soit 2.o pour quel que soit et demeure toujours finie et continue, entre les limites et si, de plus, on nomme la limite vers laquelle converge le produit tandis que la valeur numérique de devient infiniment grande ; on aura

(1)

Démonstration. Pour établir ce théorème, nous chercherons, d’abord la valeur de l’intégrale

(2)

Or, généralement,-

(3)

Si l’on intègre les deux membres de l’équation précédente, par rapport à et à entre les limites on en tirera

puis, en ayant égard à la condition

(4)

Si maintenant on attribue à la quantité une valeur très-grande, on aura sensiblement

et, par suite

d’où

(5)

Cette dernière équation deviendra rigoureuse, si l’on pose et se réduira dès lors à la formule (1).

Observons toutefois que, si l’intégrale définie

(6)

est du nombre de celles dont les valeurs générales sont indéterminées, la formule (1) fournira seulement une valeur particulière de l’intégrale (6) ; savoir, celle qui sert de limite à l’intégrale (2) et que nous avons nommée valeur principale.

Corollaire I. Lorsque la quantité désignée par s’évanouit, l’intégrale (6) n’admet qu’une seule valeur, qui se réduit à zéro, en sorte qu’on a

(7)

Ainsi, par exemple, si l’on prend

on trouvera

et, par suite

(8)

(9)[4]

Corollaire II. Si l’on désigne par et deux fonctions qui, considérées isolément, ne vérifient pas les conditions énoncées dans le théorème ; mais dont la différence

satisfasse aux conditions dont il s’agit ; alors en représentant par

et

les limites vers lesquelles convergent les produits

et

tandis que la valeur numérique de la variable croît de plus en plus ; on aura évidemment

et, par suite

(10)

Les intégrales comprises dans cette dernière formule doivent encore être réduites à leurs valeurs principales.

Si la quantité s’évanouit, on aura simplement

(11)

Corollaire III. Supposons que l’expression

s’évanouisse 1.o pour quel que soit 2.o pour quel que soit mais devienne infinie pour un ou plusieurs systèmes de valeurs positives ou négatives de et de valeurs nulles ou positives de Alors, pour déterminer l’intégrale

à l’aide de la formule (10) ou (11), il suffira de trouver une fonction rationnelle de telle que la différence

remplisse les conditions énoncées dans le théorème. En cherchant cette fonction rationnelle, et supposant de plus on se trouvera conduit à la formule (3). C’est ce que l’on reconnaît sans peine, en suivant la méthode que nous allons indiquer.

Considérons d’abord le cas où l’expression (10) devient infinie pour et représentant une quantité positive ou nulle. Faisons, pour abréger, et désignons par la limite vers laquelle converge le produit tandis que le facteur converge vers zéro la différence

obtiendra, en général, une valeur finie pour et si, entre les racines de l’équation

(12)

la racine est la seule dans laquelle le coefficient de soit positif, cette différence remplira les conditions énoncées dans le théorème. On pourra donc prendre

(13)

Cela posé, on trouve 1.o 

(14)

2.o si est nul

(15)

et, si est positif

(16)

Par suite, l’équation (10) donnera, si est nul,

(17)

et, si est positif

(18)

Si devenait négatif, on devrait prendre et l’on aurait, en conséquence,

Pour établir les formules (17) et (18), nous avons supposé que le produit

(20)

convergeait vers une limite finie tandis que le facteur s’approchait indéfiniment de zéro. Supposons maintenant que le produit (20) ait une limite infinie, et que, dans la suite

le terme

(21)

soit le premier qui ait une limite finie. Alors, si l’on pose

(22)

la fonction conservera, en général, une valeur finie pour et remplira la condition énoncée dans le théorème. Comme on aura d’ailleurs

il est clair qu’on pourra prendre

(23)

En adoptant cette valeur de on trouvera

et par conséquent l’équation (14) continuera de subsister, pourvu que l’on suppose

(24)

On trouvera encore, dans cette hypothèse, 1.o lorsque étant nul, les expressions

se réduiront toutes à zéro,

(25)

2.o lorsque, étant nul, quelques-unes des mêmes expressions obtiendront des valeurs différentes de zéro

(26)

3.o lorsque sera positif

Par suite, les formules (17) et (18) subsisteront encore, si la racine de l’équation (12) désignée par est une racine imaginaire, dans laquelle le coefficient de soit positif, ou une racine réelle pour laquelle les expressions

s’évanouissent.

Si, dans la racine le coefficient de était négatif, on retrouverait la formule (19).

Si l’équation (12) admettait plusieurs racines alors, pour obtenir une valeur de propre à remplir les conditions prescrites, il suffirait d’ajouter les valeurs de fournies par des équations semblables à la formule (13) ou (23), et correspondant aux diverses racines. En opérant ainsi, on se trouverait évidemment ramené à la formule (3).

Dans la seconde partie, je développerai les nombreuses conséquences qui peuvent être déduites de la formule (3).

  1. Résumé, pag. 135, formule (13).
  2. Résumé, pag. 136, formule (14).
  3. Mémoire sur les intégrales prises entre des limites imaginaires.
  4. La formule (8) a été donnée par M. Laplace. La formule (9) est évidente.