Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 15/Analise transcendante, article 8

ANALISE TRANSCENDANTE.

Recherche sur la sommation des termes de la série
de Taylor et sur les intégrales définies ;

M. Hippolyte Vernier, docteur ès sciences,
professeur de mathématiques au collége royal de Caen.
≈≈≈≈≈≈≈≈≈

1. Toutes les fois que la série de Taylor n’est pas en défaut, en arrêtant son développement à un quelconque de ses termes, on peut assigner les limites de l’erreur que l’on commet en négligeant ceux qui le suivent. L’objet principal que nous nous proposons dans cet essai est de donner, sous forme d’intégrale définie, la somme exacte d’un nombre quelconque de termes de cette série. Cette somme résulte de l’addition de deux intégrales définies, dont l’une représente la somme des termes de rang pair de la série, et l’autre la somme des termes de rang impair, prolongées toutes deux jusqu’au terme de la série complète où l’un veut s’arrêter. Deux autres formules, que l’on peut considérer comme le complément des deux premières, donnent aussi, l’une la somme des termes de rang pair et l’autre la somme des termes de rang impair, prolongées toutes deux à l’infini, à partir d’un terme de rang quelconque.

Considérées sous un autre point de vue, ces formules donnent la valeur d’un grand nombre d’intégrales définies. M. Poisson, dans son quatrième mémoire sur ce sujet[1] ; a déjà donné des formules générales d’intégration, pour les limites et Ces formules renferment une fonction arbitraire, assujettie à quelques restrictions ; et, suivant les différentes formes que l’on donne à cette fonction, on obtient les valeurs d’autant d’intégrales définies. Ces formules donnent ainsi, à une branche d’analise qui, malgré son importance, n’avait guère offert jusqu’ici que des résultats épars, la plus grande généralité dont elle paraisse susceptible, dans l’état actuel de la science. Nous avons placé plusieurs formules du même genre à la suite de celles qui sont relatives à la sommation des termes de la série de Taylor. Indépendamment de leur fécondité, la manière dont elles s’obtiennent donne naissance à des développemens que nous croyons nouveaux, et qui ne paraîtront peut-être pas indignes de l’attention des géomètres.

2. Pour éviter au lecteur la peine de consulter d’autres ouvrages, nous allons d’abord nous occuper de la recherche de quelques résultats analitiques sur lesquels nous aurons à nous appuyer pour parvenir à notre but.

En représentant par un nombre entier positif quelconque, on a, comme l’on sait,

d’où, en posant

puis, en divisant la première formule par la seconde,

Mais on sait que

ou encore

Si est nombre pair, ce développement, mis sous cette dernière forme ; se terminera par le terme

tandis que si est impair ce dernier terme sera simplement

Or, si l’on fait

on aura

et en général

on aura de plus

;

substituant donc, et renversant le second membre, on trouvera

Pour pair,
Pour impair,

Si présentement on multiplie l’une et l’autre de ces deux équations par et qu’indiquant ensuite l’intégration de leurs premiers membres, on exécute celles des seconds, on trouvera

Pour pair,
Pour impair,

En prenant ces intégrales depuis jusqu’à on aura évidemment

Pour pair,

Pour impair,

Changeons tour-à-tour en et et étant tous deux des nombres entiers positifs, et n’étant pas moindre que Si et sont tous deux pairs ou tous deux impairs, et seront deux nombres positifs pairs, et ce sera la première des deux formules qu’il faudra employer. On aura donc

(1)

Si, au contraire, des deux nombres et l’un est pair et l’autre impair ; et étant alors deux nombres impairs, ce sera alors à la seconde formule qu’il faudra recourir, et l’on aura

(2)

Si l’on prend tour-à-tour la différence des équations (1) et celle des équations (2), on trouvera également, en divisant par deux,

ou (3)

formule qui a lieu conséquemment de quelque nature que soient les nombres entiers positifs et pourvu qu’on n’ait pas

Mais, si l’on avait deviendrait négatif, ce qui ne changerait rien aux formules (1), de sorte que, pourvu que et fussent tous deux pairs ou tous deux impairs, la formule (3) aurait encore lieu.

Mais s’ils étaient l’un pair et l’autre impair, c’est-à-dire, si était un nombre négatif impair, on aurait

d’où, en prenant la demi-différence,

ou (4)

De là on peut conclure, en particulier, 1.o que, quel que soit le nombre entier positif les intégrales, en nombre infini

ainsi que les intégrales, en nombre infini,

prises entre les limites et seront nulles ; et qu’il en sera encore de même des intégrales

tandis que les intégrales, en nombre infini,

prises entre les mêmes limites, seront toutes égales à

2.o Que, si le nombre entier positif est pair, les intégrales

prises toujours entre les limites et seront nulles, tandis que les autres intégrales

prises entre les mêmes limites, seront toutes égales à

3.o Enfin, qu’il en ira à l’inverse, si le nombre entier positif est impair ; c’est-à-dire qu’alors ce seront les intégrales de la dernière ligne qui seront nulles, tandis que celles de l’avant-dernière seront toutes égales à

Toutes ces remarques vont, dans un instant, recevoir leur application.

3. Soient présentement et deux constantes indéterminées, et soit la caractéristique d’une fonction quelconque ; le théorème de Taylor donnera

puis, en changeant le signe de

Prenant d’abord la demi-somme de ces équations, puis leur demi-différence divisée par en se rappelant qu’en général

on aura ces deux nouvelles équations



multipliant les deux membres de la première et ceux de la seconde respectivement par

et indiquant les intégrations, il viendra




Si présentement on prend les intégrales entre les limites et en ayant égard à ce qui a été dit ci-dessus, et en renversant le second membre de la première équation ; on trouvera, quel que soit d’ailleurs le nombre entier positif en divisant par

(A)


(B)

Si donc est un nombre pair, la formule (A) donnera la somme des termes de degrés impairs de la série de Taylor, depuis le terme affecté de jusqu’au terme affecté de et la formule (B) donnera la somme de tous les autres termes de degrés impairs, à l’infini.

Si, au contraire, est un nombre impair, la formule (A) donnera la somme des termes de degrés pairs de la série de Taylor, depuis le terme jusqu’au terme affecté de et la formule (B) donnera la somme de tous les autres termes de degrés pairs, à l’infini.

4. Cette même série de Taylor donne

puis, en changeant le signe de

prenant tour-à-tour la demi-somme et la demi-différence de ces deux équations, il viendra

(C)

(D)

équations dont les seconds membres sont respectivement, comme l’on voit, les sommes de termes de degrés pairs et de degrés impairs de la série de Taylor.

En multipliant et divisant en même temps le premier membre de l’équation (A) par elle prend cette forme


Si l’on ajoute cette équation à l’équation (B) le second membre de leur somme sera, suivant que sera pair ou impair, la somme de tous les termes de degré impair ou la somme de tous les termes de degré pair de la série de Taylor, c’est-à-dire que cette somme sera égale au second membre de l’équation (D) ou au second membre de l’équation (C).

Quant à la somme des premiers membres, elle sera

ou, en développant,

ou encore

de sorte qu’on pourra écrire, si est un nombre pair,

(E)

et, si est un nombre impair,

(F)

On remarquera que les seconds membres de ces équations sont indépendans de

Si dans la formule (B), on fait tour-à-tour et elle donnera

(G)

(H)

mais on ne pourrait obtenir des résultats analogues de la formule (A) qu’en y supposant infini.

5. Les formules (A) et (B) servent à connaître les valeurs d’un grand nombre d’intégrales définies, par celles de la série finie qui en forme le second membre. La seule condition à laquelle doive être assujettie la fonction arbitraire qui entre dans ces formules et les deux constantes et c’est que la série de Taylor soit applicable et que les développemens

soient convergens.

Ainsi, par exemple, on pourra supposer,

les constantes étant quelconques. Mais si l’on fait

en supposant ensuite il faudra que l’exposant soit un nombre entier positif, autrement les termes de la série de Taylor deviendraient infinis. Si, au contraire, on suppose le nombre pourra recevoir toutes les valeurs positives possibles. On poura faire aussi

et étant des nombres entiers positifs, et un nombre moindre que l’unité, pourvu que l’on fasse ensuite

Soit, par exemple, , et qu’on doive ensuite poser ce qui exigera que le nombre soit entier ; posons de plus le premier membre de l’équation (A) deviendra

ou bien

ou encore

ou enfin

On aura, en outre, en faisant toujours après la différentiation,

en conséquence l’équation (A) deviendra

c’est-à-dire, si est un nombre pair,

et si est un nombre impair,

6. Les formules (A) et (B) ont été construites pour les limites d’intégration et mais la considération de la série de Taylor en fournit encore deux autres, qui ont lieu entre les limites et et qui donnent, sous forme finie, un nombre illimité d’intégrales.

Pour les obtenir, rappelons d’abord ces deux formules connues

[2]

Remarquons en outre que, par la série de Taylor, on a

en multipliant les deux membres de l’une et de l’autre équations par intégrant entre et et ayant égard aux deux formules ci-dessus, il viendra



ou encore

(M)

(N)

On peut faire, dans les formules (M) et (N), les mêmes suppositions que dans les formules (A) et (B), puisque, dans ces quatre formules, la fonction est assujettie aux mêmes restrictions.

Soient, par exemple, Le premier membre de l’équation (M) deviendra

En faisant disparaître les imaginaires et formant le second membre, on trouvera finalement

Il est inutile de multiplier les exemples pour faire comprendre que les formules (M) et (IN) peuvent donner une infinité d’intégrales différentes.

7. Un moyen fréquemment employé dans les intégrations consiste à substituer à la variable une nouvelle variable, dont les limites sont alors les valeurs correspondantes aux valeurs limites de la première variable. Cette transformation ne change rien à la valeur de l’intégrale définie, somme des élémens différentiels. Mais, si l’on vient à remplacer une variable, réelle dans toute l’étendue de l’intégration, par une fonction variable, composée d’une partie réelle et d’une partie imaginaire, il semble que la valeur de l’intégrale définie peut en être altérée, bien que la nouvelle fonction substituée varie dans les mêmes limites que la variable primitive, puisqu’on a remplacé une somme d’élémens réels par une somme d’élémens imaginaires.

Nous nous proposons ici de faire voir que néanmoins une substitution de ce genre, appliquée à une fonction réelle et finie, dans toute l’étendue de l’intégration, loin de conduire à des résultats absurdes, peut servir, au contraire, dans un grand nombre de cas, à découvrir de nouvelles formules générales d’intégration.

Soit un différentielle que l’on doit intégrer depuis jusqu’à et qui demeure constamment réelle entre ces limites. Soit fait les limites correspondantes de seront respectivement et à cause de On tire de cette relation ce qui donne

(P)

équation qui ne sera vraie qu’autant qu’après avoir séparé dans le second membre la partie réelle de la partie imaginaire, l’intégrale de la partie imaginaire sera nulle, et celle de la partie réelle égale au premier membre.

Mais l’équation (P), obtenue en faisant passer la variable toujours réelle, par une série de valeurs imaginaires, ne serait pas suffisamment établie, s’il n’y avait, pour y parvenir, une marche où les imaginaires ne se montrassent qu’en apparence, et qui fît voir en outre à quelle restriction la fonction doit être assujettie.

Supposons développable suivant les puissances entières de on aura, par la série de Taylor que nous supposons convergente,


observant qu’en général, lorsque est entier,

multipliant par et intégrant depuis jusqu’à il viendra

(1)

Cela posé, on a aussi


observant que, lorsque est entier, suivant que ce nombre est pair ou impair, on a

multipliant par et intégrant depuis jusqu’à on aura


mais, on a aussi

d’où

donc

(2)

or, en ajoutant membre à membre les équations (1) et (2), on tombe précisément sur l’équation (P) qui se trouve ainsi complètement justifiée.

8. Pour déduire de cette équation la valeur d’un grand nombre d’intégrales définies, il reste à donner à la fonction différentes formes. La seconde manière dont on est parvenu à l’équation (P) fait voir d’ailleurs que cette fonction n’est pas entièrement arbitraire, et qu’elle doit être développable en série convergente, procédant suivant les puissances entières de

Soit, pour en donner un exemple, on aura

et, en séparant la partie imaginaire de la partie réelle,

de sorte qu’on aura, par l’équation (P),

L’intégration par partie donne

on a donc


En faisant étant un nombre entier quelconque, on obtiendrait les valeurs des intégrales

dont la première sera toujours nulle. L’équation

se vérifie d’ailleurs immédiatement par les équations

données par M. Poisson dans son quatrième mémoire sur les intégrales définies[3].

9. Par une marche analogue à celle qui nous a conduit à l’équation (P), on peut obtenir une nouvelle formule, relative à des intégrales dont les limites sont et

Soit une différentielle qui doive être intégrée depuis jusqu’à Posons

Pour que varie toujours depuis jusqu’à il faudra que varie, depuis jusqu’à On tire de là

et par conséquent

ou bien

(Q)

et l’équation (Q) fournira, comme l’équation (P), les valeurs d’une infinité d’intégrales définies, en égalant respectivement, dans les deux membres, les parties réelles et les parties imaginaires. Mais l’équation (Q) a besoin, comme l’équation (P), d’être établie d’une manière plus rigoureuse.

Soit une fonction développable en série convergente, procédant suivant les puissances entières de et qui soit nulle en même temps que on aura


En observant que, par une formule connue

multipliant par et intégrant depuis jusqu’à on aura


Mais on a aussi

observant qu’en général

multipliant par et intégrant depuis jusqu’à on aura aussi

de sorte que

Cela posé, soit il suffira que ne soit pas infinie pour et soit développable suivant les puissances entières de L’équation précédente deviendra

Faisant ensuite

d’où

on aura

(1)

Par une marche semblable, et en observant que

on trouvera

(2)

En ajoutant membre à membre les équations (1) et (2), on retombe sur l’équation (Q), qui se trouve ainsi rigoureusement justifiée.

10. Pour donner une application de cette dernière équation, soit

fonction qui satisfait aux restrictions qui limitent la forme de la fonction L’équation (1) devient

ou

or, on trouve

[4] ;

donc


Séparateur

  1. Journal de l’école polytechnique, XIX.e cahier, pag. 481 et suiv.
  2. Voyez un mémoire de M. Laplace, dans le volume des Mémoires de l’académie royale des sciences de Paris, pour 1782, ou la Théorie analitique des probabilités du même géomètre, chap. III, n.o 33, ou encore le Nouveau bulletin des sciences, n.o 43, avril 1811, ou enfin le Traité des différences et des séries de M. Lacroix, 2e édition, page 492, n.o 1211. Consultez aussi un beau mémoire de M. Bidone, dans les Mémoires de l’académie royale des sciences de Turin, pour 1812.
  3. Journal de l’école polytechnique, XIX.e cahier, p. 439.
  4. Voyez le troisième mémoire de M. Poisson, dans le Journal de l’école polytechnique, XVIII.e cahier, pag. 341.