Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 15/Analise transcendante, article 4

ANALISE TRANSCENDANTE.

Remarques diverses sur le mémoire de M. Vincent,
inséré au commencement du présent volume,
et éclaircissemens sur l’article de la page
 105 ;

Par M. Stein, professeur de mathématiques au gymnase
de Trèves, ancien élève de l’école polytechnique.
≈≈≈≈≈≈≈≈≈
Au Rédacteur des Annales ;
Monsieur,

Les considérations très-intéressantes que M. Vincent vient d’exposer, au commencement du XV.e volume des Annales, le conduisent à des conséquences très-différentes de plusieurs résultats admis jusqu’ici comme exacts. Le hazard ayant fait que, sans connaître le travail de M. Vincent, je me suis aussi occupé d’un sujet analogue, je vais ajouter ici quelques observations à celles que j’ai eu l’honneur de vous communiquer dans ma dernière lettre, en tâchant par là d’éclaircir le point principal du mémoire de M. Vincent sur les courbes transcendantes.

§. I. Sur les exposans fractionnaires.

Les deux fractions et sont essentiellement les mêmes, et donnent cependant des résultats différens lorsqu’on les emploie comme exposans d’une seule et même quantité. En effet, n’a que valeurs différentes, tandis que en a Dans ces valeurs sont comprises les valeurs de de sorte que l’expression est plus générale que l’expression [1].

D’après cela, la valeur d’une puissance fractionnaire dépend à la fois de la valeur absolue et de la forme de son exposant ; de sorte que, pour caractériser une puissance fractionnaire d’une quantité connue, il ne suffit pas d’indiquer la valeur de son exposant ; mais qu’il faut dire, en outre, quel est le dénominateur de cet exposant.

§. II. Sur la définition des logarithmes.

En admettant, pour définition des logarithmes, que le logarithme d’un nombre est l’exposant de la puissance à laquelle il faut élever un nombre constant pour obtenir celui-là, on doit reconnaître, d’après ce qui précède, que cette définition manque de précision. En effet, si on aura aussi ainsi ce n’est pas plutôt que qui est le logarithme de Cependant, les conséquences des deux hypothèses sont bien loin d’être les mêmes. Si, par exemple, est impair et pair, en posant on trouvera que na pas de logarithme réel, tandis qu’en prenant on aura

Il faudra donc, dans tous les cas, ajouter quelque chose à la définition des logarithmes généralement admise. Peut-être croirait-on atteindre le but en disant que l’exposant dont il est question dans la définition est supposé réduit à ses moindres termes ; mais ce serait rendre la définition des logarithmes moins générale ; et jamais on ne doit, sans une absolue nécessité, faire de telles restrictions en analise.

Il paraîtra peut-être plus conforme à la marche analitique de supposer, tout au contraire, que l’exposant a été amené à avoir un dénominateur infini ; ce qui rendra la puissance aussi générale qu’elle puisse l’être.

§. III. Sur la construction de la logarithmique.

Les restrictions de la signification des puissances fractionnaires qui naissent des diverses formes que peuvent prendre leurs exposans paraissent pouvoir être moins admises que dans aucun autre cas, lorsqu’il s’agit de constructions géométriques. En effet, les quantités et par exemple, n’ont et ne sauraient avoir aucune différence, lorsqu’on les considère comme des grandeurs géométriques ; de sorte que l’abscisse se confond absolument avec l’abscisse

On ne saurait donc être d’accord avec M. Vincent, lorsqu’il réduit à l’abscisse et qu’il en conclut qu’à cette abscisse il ne correspond point d’ordonnée négative, puisque, comme nous venons de le dire, les abscisses et ont la même extrémité ; de manière que l’ordonnée négative qui correspond à la dernière correspond aussi à la première.

Les conclusions de M. Vincent, relatives aux branches pointillées et ponctuées, ne sont dues qu’à une restriction arbitraire de la définition des logarithmes ; et on pourrait, par d’autres restrictions, parvenir à des résultats tout différens. Si, par exemple, au lieu du dénominateur on choisissait on trouverait, pour la courbe en suivant mot à mot le raisonnement de M. Vincent, une branche continue du côté des positives, et une branche composée de parties continues séparées par des points, du côté des négatives. Si l’on avait pris pour dénominateur on n’aurait eu qu’une seule branche, du côté des positives.

Si donc on voulait restreindre arbitrairement la signification de l’équation elle ne présenterait plus aucun sens déterminé. Il faudra donc, pour la construire complètement, donner à un dénominateur infini, et ne le réduire en aucune manière.

§. IV. Autre manière de parvenir aux mêmes conclusions.

On arriverait aux mêmes conclusions en partant des principes généraux relatifs à la construction d’une courbe représentée par une équation. En effet, pour construire une telle courbe, il ne suffit point de donner à l’abscisse des valeurs indéfiniment peu différentes ; il faut lui donner des valeurs infiniment peu différentes ; c’est-à-dire qu’il faut faire croître d’une manière continue. Il ne faudra donc pas partager l’unité linéaire en un nombre fini mais en un nombre infini de parties ; c’est-à-dire qu’il faudra donner aux des dénominateurs infinis ; et ce que nous avons dit plus haut montre qu’il n’est pas permis de réduire les valeurs fractionnaires de à leur plus simple expression.

§. V. Réponse aux objections.

On pourrait peut-être nous objecter ici qu’en supposant le dénominateur de infini, il n’en reste pas moins une indétermination dans la définition des logarithmes ; puisque ce nombre infini peut être, à volonté, supposé pair ou impair. Mais cette objection est inadmissible. Dès l’instant que l’on suppose le dénominateur de infini, la puissance aura toutes les valeurs possibles, c’est-à-dire, toutes les valeurs dont elle est susceptible, en donnant à les diverses formes qu’il peut avoir, ainsi que je l’ai prouvé dans ma précédente lettre, indépendamment de toute supposition sur la nature de l’infini.

Je n’entrerai dans aucun développement sur ce que dit M. Vincent de la loi de continuité, et sur ce qu’il entend par des différences plus petites que toute quantité assignable. Je me bornerai uniquement à observer que la réponse aux difficultés qu’il élève à ce sujet semble pouvoir être renfermée dans ce peu de mots : Lorsqu’on fait croître une variable d’une manière discontinue, on ne saurait obtenir des valeurs continues d’aucune fonction de cette variable.

Veuillez bien, Monsieur, si vous le jugez convenable, faire insérer la présente note à la suite des observations consignées dans ma précédente lettre.

Agréez, etc.

Trèves, le 15 août 1824.

P. S. La date de la précédente lettre vous prouvera, Monsieur, que, lorsque je l’ai écrite, je ne pouvais prévoir l’objection que vous m’avez faite dans la note de la page 109. La vérité est que le passage auquel cette note est relative ne se trouve point dans la minute de l’article que j’ai gardée par devers moi ; de sorte que j’ai dû le faire entrer dans la copie par inadvertance. Il y était d’autant plus inutile qu’il n’ajoutait rien à ce qui avait été établi à la page 108. Ce n’est pas, en effet, parce que l’infini peut être indistinctement considéré comme pair ou comme impair qu’aux logarithmes de à dénominateurs infinis répondent également les nombres et mais la raison que j’en apporte est que, sans faire aucune hypothèse sur la nature de l’infini, on a quel que soit expression qui comprend les valeurs et

J’ose espérer, Monsieur, que vous ne refuserez pas de donner place à cet éclaircissement.

Trèves, le 10 novembre 1824.
  1. On serait tenté de croire, d’après cela ; qu’il n’est pas permis de multiplier par un même nombre les deux termes d’un exposant fractionnaire, ainsi qu’on le pratique dans la multiplication des radicaux ; mais on peut observer que, dans le produit les valeurs du premier facteur se combinant avee les valeurs du dernier, ce produit doit par-là même avoir valeurs. Lors donc que, suivant les procédés connus, on lui substitue on ne lui fait pas acquérir des valeurs plus nombreuses que celles qu’il avait avant cette transformation.
    J. D. G.