Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 12/Géométrie élémentaire, article 4

GÉOMÉTRIE ÉLÉMENTAIRE.

Sur l’équivalence des tétraèdres de même base
et de même hauteur ;

Par M. Gergonne.
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Il n’est pas étonnant que, lorsqu’on rencontre en géométrie des incommensurables et des lignes et surfaces courbes dont nous n’avons proprement qu’une idée négative, on soit contraint, pour en démontrer les propriétés, de recourir à la réduction à l’absurde ; mais celui qui étudie la géométrie en philosophe a lieu d’être assez surpris qu’on n’ait d’autre ressource que cette forme de raisonnement, soit pour démontrer l’équivalence des tétraèdres de même base et de même hauteur, soit pour obtenir directement l’expression du volume d’un tétraèdre, sur-tout lorsqu’il voit avec quelle facilité on démontre, dans la géométrie plane, la propriété analogue pour le triangle.

M. Legendre, en suivant le mode de décomposition indiqué par Euclide, est parvenu directement, d’une manière fort élégante, à l’expression du volume du tétraèdre, de laquelle il a pu conclure ensuite que les tétraèdres de même base ou seulement de bases équivalentes et de même hauteur sont équivalens ; mais comme, dans la géométrie plane, on s’occupe de la comparaison des surfaces avant de chercher à en déterminer l’étendue ; il m’a semblé un peu plus méthodique de suivre une marche analogue dans la géométrie des corps. Voici, en conséquence, de quelle manière je démontre depuis longtemps, dans mes cours, que deux tétraèdres de bases équivalentes et de même hauteur sont équivalens.

Soient les deux tétraèdres dont il s’agit. Si l’on nie qu’ils soient équivalens, il faudra nécessairement admettre qu’il y en a un qui est plus grand que l’autre ; supposons donc qu’on admette que ce soit de telle sorte qu’on ait

(1)

on pourra toujours admettre que, parmi tous les tétraèdres semblables à et plus grands que lui, il y en a un équivalent à soit ce tétraèdre, de manière qu’on ait

(2)

et seront donc deux tétraèdres semblables, que l’on pourra faire coïncider par le sommet et les trois arêtes de l’un de angles trièdres de leurs bases, auquel cas, leurs faces opposées à ces angles se trouveront parallèles.

Soit divisée la hauteur de en un assez grand nombre de parties égales pour qu’en menant, par les points de division, des plans parallèles à la base et construisant, sur les sections résultantes comme bases, une suite de prismes triangulaires circonscrits, à la manière de M. Lacroix, ces prismes soient tous renfermés dans ce qui est toujours possible ; et soit la somme de ces prismes ; nous aurons donc,

(3)

Soient circonscrits à un pareil nombre de prismes triangulaires de même hauteur ; il est aisé de voir que chaque prisme circonscrit à sera équivalent au prisme de même rang circonscrit à d’où il suit que la somme des prismes circonscrits à sera équivalente à la somme des prismes circonscrits à et pourra comme elle être représentée par

Mais, parce qu’ils sont circonscrits à on devrait avoir

(4)

qui, combinée avec (3), donnerait, à plus forte raison,

(5)

ce qui contredit l’hypothèse (2) ; cette hypothèse est donc absurde ; deux tétraèdres de bases équivalentes et de même hauteur sont donc équivalens.

Je n’aurais point parlé de cette démonstration, à laquelle je n’ai jamais songé à attacher aucune sorte d’importance, si je n’avais eu à mentionner une autre démonstration de la même proposition qui m’a été récemment adressée par M. Querret, chef d’institution à Saint-Malo. Voici comment procède M. Querret :

Soit toujours supposé, comme ci-dessus,

(1)

leur différence, si petite qu’on la suppose, pourra toujours être considérée comme équivalente à un certain prisme triangulaire ayant même base que et une hauteur convenable.

Soit divisée la hauteur commune des deux tétraèdres en parties égales plus petites que la hauteur de ce prisme triangulaire ; soient conduits, par les points de division, des plans parallèles aux bases et soient construits entre ces plans des prismes triangulaires circonscrits à dont nous désignerons la somme par et des prismes inscrits à dont nous désignerons la somme par nous aurons conséquemment

(2)(3)

d’où

(4)

or, il est connu que est équivalent au premier des prismes circonscrits à lequel a été pris plus petit que de sorte qu’on devrait avoir, d’un autre côté,

(5)

ce qui contredit l’inégalité (4), et prouve ainsi que l’inégalité (1) ne saurait être admise.