ANALISE TRANSCENDANTE.
Essai sur le développement des fonctions en séries.
Par
M. Frédéric Sarrus, docteur ès sciences, professeur
de mathématiques au collége de Pézenas.
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L’essai que l’on va lire a pour but la recherche d’un procédé simple, direct, uniforme et à l’abri de toute objection, pour parvenir aux diverses formules de développement que l’on a obtenues jusqu’ici, soit par la méthode de la séparation des échelles, soit par la théorie des fonctions génératrices, ainsi qu’à une infinité d’autres formules, auxquelles l’application de l’un ou de l’autre procédé ne saurait conduire. Pour atteindre ce but, je partirai des principes développés dans un mémoire sur le même sujet présenté, il y a quelques années, par M. Servois, à la classe des sciences physiques et mathématiques de l’institut, dont il obtint l’approbation, et qui a paru postérieurement dans le V.e volume du présent recueil. Je rappellerai d’abord brièvement ceux des principes consignés dans ce mémoire qui peuvent être nécessaires pour l’intelligence de mes recherches, en empruntant, le plus souvent, les expressions même de l’auteur. D’autres fois, au contraire, je me permettrai de signaler, sans détour, les distractions, en petit nombre d’ailleurs, qui me paraîtront avoir échappé à cet estimable géomètre. Je procéderai ensuite à la recherche de ma formule fondamentale, dont je ferai deux applications seulement, en me bornant, pour abréger, à en indiquer plusieurs autres.
En désignant par
une fonction déterminée quelconque d’une ou de plusieurs variables indépendantes, convenons d’exprimer une dérivée déterminée de cette fonction, en écrivant, avant la lettre qui la représente, une caractéristique destinée à rappeler la liaison qui existe entre cette dérivée et la fonction primitive
Ainsi,
étant une pareille caractéristique,
représentera une dérivée de
qui sera entièrement connue, lorsqu’on aura déterminé quelle est la liaison que la caractéristique
indique devoir exister entre la dérivée
et sa primitive
Nous dirons alors que
est le sujet de ce mode de dérivation, et que
en est le résultat.
Que, par exemple, on ait
étant une variable indépendante ; et que le mode de dérivation désigné par
consiste à changer
en
on aura alors
Lorsque le sujet sera une fonction déterminée ou indéterminée de plusieurs autres fonctions, nous renfermerons ce sujet entre deux parenthèses, afin d’avertir que la caractéristique
porte sur sa totalité. Ainsi,
exprimera la dérivée
de la somme des deux fonctions
de même
exprimera la dérivée
du produit des deux fonctions
en général
exprimera la dérivée
de la fonction
des fonctions
Qu’on ait, par exemple,
et que le mode de dérivation désigné par
consiste à changer
en
on aura dans ce cas
quoique résultat d’une dérivation, peut, à son tour, devenir le sujet d’une dérivation nouvelle. Soit
la caractéristique de cette seconde dérivation, nous représenterons son résultat par
Cette dernière dérivée peut pareillement devenir le sujet d’une troisième dérivation ; et si
en est la caractéristique, le symbole de son résultat sera
et ainsi de suite, quel que soit le nombre des dérivations successives, semblables ou dissemblables, que l’on se propose d’effectuer sur la fonction
Que, par exemple, pour nous borner au cas le plus simple, on ait
que le mode de dérivation désigné par
consiste à changer
en
et que le mode de dérivation désigné par
consiste à changer x en
nous aurons d’abord
et ensuite
Dans la même hypothèse, on trouverait
On voit, d’après cela, qu’on peut souvent être conduit à des expressions de la forme

et alors nous convenons, pour abréger, de considérer comme leur étant équivalentes les expressions

De même, si nous rencontrons des expressions de cette forme

nous les remplacerons par

nous remplacerions de même les expressions

par

et ainsi de suite, quel que pût être d’ailleurs le nombre des caractéristiques périodiquement entremêlées.
Nous admettrons encore des symboles de dérivées de la forme

dont la définition générale est donnée par l’équation

Ce sont des dérivées inverses ou d’ordre négatif.
Si, par exemple, le mode de dérivation désigné par la caractéristique
consiste à changer
en
le mode de dérivation désigné par la caractéristique
devra consister à changer
en
car on a
Pareillement, si le mode de dérivation désigné par la caractéristique
consiste à changer
en
le mode de dérivation désigné par la caractéristique
devra consister à changer
en
puisque
et ainsi de suite.
Si le mode de dérivation, désigné par la caractéristique
est tel qu’un même résultat
ne puisse être dérivé que d’une seule fonction primitive
on devra alors avoir évidemment

mais il n’en serait plus de même si plusieurs sujets différens pouvaient conduire à un seul et même résultat. Dans ce cas,
serait bien une valeur particulière de la fonction
mais elle n’en serait qu’une valeur particulière.
Que, par exemple, le mode de dérivation, désigné par la caractéristique
consiste à changer d’abord
en
et à diviser ensuite le résultat par la fonction primitive, si l’on a
on aura
Or, comme, par l’effet de ce mode de dérivation, le coefficient
disparaît, il s’ensuit que
demeurerait toujours le même quand bien même
deviendrait
lors donc qu’on demandera
on pourra dire indifféremment que c’est
[1].
De même encore, si le mode de dérivation désigné par la caractéristique
consiste à prendre le cosinus de la fonction
et qu’on ait
on aura
résultat dans lequel la constante
ne paraît plus ; de sorte que
peut être indistinctement égal à 
pourvu toutefois que
soient des nombres entiers.
Lorsque deux caractéristiques de dérivation
seront telles que l’on aura identiquement

quelle que soit d’ailleurs la fonction
nous dirons que ces caractéristiques sont commutatives entre elles. C’est, par exemple, ce qui arriverait si le mode de dérivation désigné par
consistait à changer
en
et que le mode de dérivation désigné par
consistât à changer
en
puisque 
Mais il n’en serait plus de même si, par exemple, le premier mode de dérivation, consistant toujours à changer
en
le second consistait à changer
en
puisque
et
sont deux quantités généralement inégales.
De même si,
étant un facteur constant, on avait

nous dirions que la caractéristique
est commutative avec ce facteur. C’est, par exemple, ce qui arrivera, si le mode de dérivation désigné par
consiste à substituer pour
dans
une fonction quelconque de 
Mais si, au contraire, le mode de dérivation consistait, par exemple, à prendre le logarithme, le facteur et la caractéristique cesseraient dès-lors d’être commutatifs entre eux, puisque
et
ne sont point la même chose.
Si trois caractéristiques
sont commutatives deux à deux, c’est-à-dire, si l’on a

ces trois caractéristiques seront aussi commutatives entre elles ; c’est-à-dire qu’on aura

Cela se prouve en changeant
en
dans la première des trois équations de départ, en
dans la seconde, en
dans la troisième ; puis en prenant les dérivées
respectivement, des deux membres des trois mêmes équations, et comparant ensuite les résultats. On a, pour la première transformation,

et par la seconde

ce qui établit complètement la proposition annoncée.
Si l’on avait un plus grand nombre de caractéristiques qui fussent pareillement commutatives deux à deux, on arriverait à leur égard, par des moyens analogues, à une conclusion semblable. Il en serait encore de même pour ces caractéristiques combinées avec un ou plusieurs facteurs constans, si ces caractéristiques étaient commutatives deux à deux, non seulement entre elles, mais encore avec chacun des facteurs constans.
Quelles que soient les caractéristiques
l’on a identiquement

si donc ces caractéristiques sont commutatives entre elles, on aura

d’où l’on conclura

d’où l’on voit, en se rappelant ce qui a été observé ci-dessus, que ce n’est qu’avec des restrictions qu’on peut admettre l’équation
[2]
Les mêmes considérations conduisent aussi à n’admettre qu’avec des restrictions l’équation

lorsque les caractéristiques,
sont commutatives entre elles.
Lorsque la caractéristique de dérivation
sera de telle nature qu’on aura identiquement

nous dirons que cette caractéristique est de nature distributive. C’est, par exemple, ce qui arrivera si le mode de dérivation, désigné par
consistait à multiplier la fonction par un multiplicateur constant, puisqu’on a
Mais il n’en serait plus de même si ce mode de dérivation consistait à élever la fonction à une puissance, puisque
n’est pas la même chose que
Nous ne considérerons désormais que des fonctions de nature distributive.
D’après, cette définition, on aura

et, en général,

quels que soient le nombre et les signes des fonctions 
Nous disons, quels que soient les signes de ces fonctions ; car, soit
en posant
d’où
nous aurons
d’où
ce qui donne
et par conséquent
Si, dans cette équation, on suppose
il viendra
d’où l’on voit que le coefficient
est commutatif avec toute caractéristique de nature distributive.
Dans la même hypothèse, on aura

d’où on conclura que la caractéristique
étant de nature distributive, la caractéristique
où l’on suppose
un nombre entier positif, jouit de la même propriété ; mais en serait-il de même de la caractéristique
et, dans le cas où ce ne pourrait être qu’avec des restrictions, en quoi ces restrictions pourraient elles consister ?
Avant de répondre à cette question, nous devons d’abord résoudre celle-ci : quelles sont les diverses valeurs de la dérivée d’ordre négatif
Soit
une valeur particulière de cette dérivée et soit
une autre valeur quelconque de la même dérivée, on aura, d’après l’énoncé du problème,

mais, en vertu de la nature distributive de la caractéristique
on a

d’où l’on voit qu’il faut, de toute nécessité, que l’on ait

de sorte que tout se réduit à trouver les diverses valeurs de
qui satisfont à cette condition ; après quoi on aura

Nous appellerons fonctions complémentaires celles qui, comme
devront être ajoutées à une valeur particulière d’une dérivée d’ordre négatif, pour en déduire les autres valeurs de la même dérivée.
Soit maintenant

prenant la dérivée
des deux membres, on aura

d’où l’on tirera

étant une fonction complémentaire qu’il faudra déterminer de manière que cette équation ait lieu. Au reste, quelque dérivée particulière que l’on veuille choisir pour
et pour l’une des dérivées
il sera toujours possible de prendre celle de l’autre, de telle sorte qu’il faille poser
et que par conséquent on ait

de sorte qu’au moyen de cette restriction on pourra regarder les caractéristiques
comme étant de nature distributive ; du moins si, comme nous le supposons ici, la caractéristique
l’est elle même ; ce qui résout la question que nous nous étions proposée.
Dans tout ce qui va suivre, nous supposerons constamment que les fonctions complémentaires sont prises de manière que les caractéristiques de dérivation inverse soient distributives.
Nous remarquerons enfin sur ce sujet que si
sont des caractéristiques de nature distributive, on aura



et ainsi de suite, quels que soient d’ailleurs la nature des fonctions
et le nombre des caractéristiques 
Ces notions préliminaires ainsi posées, soient, 

des caractéristiques quelconques de nature diatributive, et 
des fonctions d’une ou de plusieurs variables indépendantes, liées entre elles par les équations

et, en général,

on en conclura

(1)
pourvu que l’on prenne d’une manière convenable les dérivées négatives de leurs seconds membres.
Si l’on substitue dans la première de ces équations pour
sa valeur donnée par la seconde, on aura

Mettant de même dans celle-ci pour
sa valeur donnée par la troisième ; il viendra


En poursuivant de la même manière ; on arrivera finalement à l’équation

(2)
laquelle aura lieu quel que soit le nombre entier
Telle est notre formule fondamentale qui, comme on le voit, est de la plus grande généralité.
Si on la suppose prolongée à l’infini, elle donnera
par une série qui ne dépendra plus que des fonctions
Il est de plus évident qu’en choisissant ces fonctions, ainsi que les caractéristiques 
d’une manière convenable, cette série pourra toujours être rendue aussi convergente qu’on voudra. On voit enfin que cette série peut être arrêtée à volonté ; ce qui serait d’un avantage inappréciable si, dans tous les cas, il était possible d’assigner des limites aussi rapprochées qu’on le désirerait, entre lesquelles tombât la valeur de

Malheureusement la détermination de ces limites paraît offrir d’assez grandes difficultés, et ne se montre d’un abord facile que dans un nombre de cas très-limités, parmi lesquels on doit comprendre celui de la série de Taylor. Mais comme la solution du problème relative à cette série est déjà connue, nous ne nous y arrêterons pas. Nous donnerons seulement une expression assez simple de cette fonction pour la formule ordinaire d’interpolation, par les différences finies ; c’est tout ce qu’il nous est possible de faire pour le présent.
Si, dans la formule (2), on suppose que les caractéristiques
sont identiquement les mêmes, que l’on fasse la même supposition pour les caractéristiques
et qu’on suppose en outre que les fonctions
sont égales, et qu’il en est de même des fonctions
il viendra, suivant les notations que nous avons adoptées,

(3)
formule qui, bien que moins générale que la précédente, l’est pourtant encore beaucoup, puisque la forme de la fonction
et la nature des caractéristiques
demeurent tout-à-fait indéterminées.
Pour indiquer une application très-intéressante de la précédente, soit

une équation du premier degré aux différences ou aux différentielles totales ou partielles, ou même aux différences mêlées, de laquelle il soit question de tirer la valeur de
en supposant d’ailleurs que
soit une caractéristique de fonction de nature distributive. Soit
une autre caractéristique de même genre, on aura l’identité

donc, en posant

on aura

où
sera aussi une caractéristique de fonction distributive. On pourra donc obtenir
par la formule (3).
Comme la caractéristique
est entièrement arbitraire, il faudra la choisir de telle sorte que non seulement on sache trouver la dérivée inverse
quelle que soit la composition de
en variables indépendantes, mais en outre de manière que la série (3) soit convergente.
Dans tout ce qui précède, nous avons tacitement supposé que, dans les fonctions affectées des diverses caractéristiques, toutes les variables étaient considérées comme telles ; mais on conçoit que l’on peut fort bien ne faire porter la dérivation que sur une ou plusieurs d’entre elles, en considérant les autres comme constantes. Pour indiquer cette circonstance, nous écrirons, à l’exemple de M. Servois, la variable que nous considérons seule comme telle au-dessous de la caractéristique de dérivation ; de sorte que, par exemple, si
est fonction des variables indépendantes
nous indiquerons ses dérivées partielles relatives à
et
par les symboles
Cela posé, proposons-nous de déterminer la nature des caractéristiques,
définies par les équations suivantes

dans lesquelles nous supposons 
Il est d’abord aisé de voir qu’elles sont toutes commutatives, tant entre elles qu’avec le facteur constant ; et il n’est pas plus difficile d’apercevoir que
sont commutatives avec toute fonction de
sans
tandis que
le sont avec toute fonction de
sans
enfin, il n’est pas moins évident qu’elles sont toutes distributives.
En représentant donc par
une fonction quelconque de
et de constantes, nous aurons

Si, au contraire,
était supposé fonction de
et de constantes, nous aurions

On voit, d’après cela, qu’il est toujours possible de prendre les dérivées
de manière qu’elles s’évanouissent, la première en même temps que
et la seconde en même temps que
et c’est ce que nous supposerons désormais.
Dans ce cas,
est commutative avec
et avec toute fonction qui ne renferme pas
de même
est commutative avec
et avec toute fonction qui ne renferme pas
mais on ne saurait avoir, en général,

car, supposons
nous aurons
et par conséquent
tandis que l’on a
et conséquemment
Il en serait de même pour 
Enfin, nous trouverons que
sont de nature distributive, tout aussi bien que
Supposant maintenant que
est une fonction
on aura

d’où on conclura, en représentant par
ce que devient
lorsqu’on y fait 

et par suite, en observant la même marche qui nous a conduit à l’équation (3),


ou encore, en effectuant les opérations qui ne sont qu’indiquées


dont le dernier terme
pourrait se mettre sous une forme plus traitable au moyen de l’intégration par parties ; mais voici, pour le même objet, une méthode moins laborieuse.
Soit

(g)
et soit
ce qui devient
lorsqu’on y fait
on aura, par les méthodes connues,

ou encore

(h)
pourvu qu’après l’intégration on fasse 
D’un autre côté, notre formule (3), appliquée à l’intégration de l’équation (g), donne, en posant


d’où, en comparant avec le développement de l’équation (h), ordonné suivant les puissances de
on conclura


d’où, enfin,



ce qui achève de compléter l’analogie qu’on avait déjà remarquée entre la formule ordinaire d’interpolation et le théorème de Taylor.
Reprenons l’équation

l’on en déduira

ou encore, en observant que, dans le cas actuel, on a
et

On trouverait absolument de la même manière


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
En suivant donc la marche qui, des équations (1), nous a déjà conduit à la formule (2), nous déduirons de celles-ci


en ayant du moins égard aux propriétés commutatives des caractéristiques qu’elles renferment.
En donnant à
des valeurs particulières, on parviendrait à une infinité de formules différentes qui, combinées entre elles, conduiraient à une infinité d’autres, dont quelques-unes se trouvent déjà dans les divers traités de calcul aux différences finies.
En général,
étant toujours une fonction de
si l’on fait


on aura

et, comme les caractéristiques
sont alors de nature distributive, l’on en déduirait un développement de 
L’on aurait encore

et l’on arriverait à un autre développement de la même fonction, en posant


L’on parviendrait encore à un nouveau développement, en posant


Il est d’ailleurs évident que, dans ces diverses formules, il sera permis de prendre pour
des fonctions quelconques de 
On sent que nous n’en finirions jamais, si nous voulions indiquer toutes les applications que l’on peut faire de la théorie que nous avons exposée dans le présent mémoire ; et c’est ce qui nous détermine à terminer ici.