Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 05/Philosophie mathématique, article 3

PHILOSOPHIE MATHÉMATIQUE.

Réflexions sur la nouvelle théorie des imaginaires
suivies d’une application à la démonstration d’un
théorème d’analise ;
Par M. Argand.
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La nouvelle théorie des imaginaires, dont il a déjà été plusieurs fois question dans ce recueil[1], a deux objets distincts et indépendans. Elle tend premièrement à donner une signification intelligible à des expressions qu’on était forcé d’admettre dans l’analise, mais qu’on n’avait pas cru jusqu’ici pouvoir rapporter à aucune quantité connue et évaluable. Elle offre, en second lieu, une méthode de calcul, ou, si l’on veut, une notation d’un genre particulier, qui emploie des signes géométriques, concuremment avec les signes algébriques ordinaires. Sous ces deux points de vue, elle donne lieu aux deux questions suivantes : Est-il rigoureusement démontré, dans la nouvelle théorie, que exprime une ligne perpendiculaire aux lignes prises pour et La notation des lignes dirigées peut-elle, dans quelque cas, fournir des démonstrations et solutions préférables, sous le rapport de la simplicité, de la brièveté, etc., à celles qu’elles paraissent destinées à remplacer ?

Quant au premier point, il est et sera peut-être toujours sujet à discussion, tant qu’on cherchera à établir la signification de par des conséquences d’analogie avec les notions reçues sur les quantités positives et négatives, et sur leur proportion entre elles. On a discuté et on discute encore sur les quantités négatives ; à plus forte raison pourra-t-on élever des objections contre les nouvelles notions des imaginaires.

Mais, il n’y aura plus de difficulté si, comme l’a fait M. Français (Annales, tom. IV, pag. 62), on établit, comme définition, ce qu’on entend par le rapport de grandeur et de position entre deux lignes. En effet, la relation entre deux lignes données de grandeur et de direction se conçoit avec toute la précision géométrique nécessaire. Qu’on nomme cette relation rapport, ou qu’on lui donne tel nom qu’on voudra, on pourra toujours en faire l’objet de raisonnemens rigoureux, et en tirer les conséquences de géométrie et d’analise dont nous avons, M. Français et moi, donné quelques exemples. La seule question qui reste est donc de savoir s’il est bien permis de désigner cette relation par les mots rapport ou proportion, qui ont déjà, dans l’analise, une acception déterminée et immuable. Or, cela est effectivement permis, puisque, dans la nouvelle acception, on ne fait qu’ajouter à l’ancienne, sans d’ailleurs y rien changer. On généralise celle-ci de manière que l’acception commune est, pour ainsi dire, un cas particulier de la nouvelle. Il ne s’agit donc pas de chercher ici une démonstration.

C’est ainsi, par exemple, que le premier analiste qui a dit que a dû donner cette équation, non comme un théorème démontré ou à démontrer, mais comme une définition des puissances à exposans négatifs. La seule chose qu’il eut à faire voir était qu’en adoptant cette définition, on ne faisait que généraliser la définition des puissances à exposans positifs, les seules connues jusque-là. Il en est de même des puissances à exposans fractionnaires, irrationnels ou imaginaires. On a dit (Annales, tom. IV, pag. 231) que Euler avait démontré que Le mot démontrer peut être exact, en tant qu’on regarde cette équation comme tirée de l’équation d’où elle dérive facilement ; mais il ne le serait pas relativement à cette dernière ; car, pour démontrer qu’une certaine expression a telle valeur, il faut premièrement avoir défini cette expression ; or, existe-t-il des puissances à exposans imaginaires une définition antérieure à ce qu’on appelle la démonstration d’Euler ? c’est ce qui ne paraît pas. Lorsque Euler a cherché à ramener l’expression à des quantités évaluables, il a dû naturellement considérer le théorème antérieurement prouvé, pour toutes les valeurs réelles de En faisant il a trouvé d’où il a dû conclure, non que mais que, si l’on définissait l’expression en disant qu’elle représente une quantité égale à les puissances à exposans réels et les puissances à exposans imaginaires se trouveraient liées par une loi commune. Ce n’est donc là encore qu’une extension de principes et non la démonstration d’un théorème.

C’est aussi par une extension des principes que j’ai été conduit à regarder comme exprimant la perpendiculaire sur le plan Les deux résultats se contredisent, et assurément je n’ai garde de prétendre faire prévaloir le mien ; j’ai voulu seulement faire observer que MM. Servois et Français l’ont attaqué par des considérations qui, au fond, sont de la même nature que celles sur lesquelles je m’étais appuyé pour l’établir.

Mais, si la perpendiculaire dont il s’agit ne peut pas être exprimée par quelle sera donc son expression ? ou, pour mieux dire, peut-on trouver une expression telle que, si on l’adopte pour représenter cette perpendiculaire, toutes les lignes tirées dans une direction quelconque (lesquelles auraient alors leur expression) soient liées par une loi commune, comme cela a déjà lieu relativement à toute ligne tirée dans les plans C’est là une question qui semble devoir exciter la curiosité des géomètres, du moins de ceux d’entre eux qui admettent la nouvelle théorie.

Je reviens au premier point de discussion, et j’observe que la question, si exprime ou non une perpendiculaire sur porte uniquement sur la signification du mot rapport ; cor, tout le monde est d’accord d’entendre par cette expression une quantité telle que ou que les rapports soient égaux. Ainsi l’objection qu’a faite M. Servois (Annales ; tom. IV, pag. 228), contre la démonstration du premier théorème de M. Français, en disant « qu’il n’est pas prouvé que soit moyen de position entre et  », revient à dire que le sens du mot rapport ne renferme rien de relatif à la position. Cela est vrai, dans l’acception commune ; et encore pourrait-on dire que, dans l’idée du rapport de deux quantités de signes différens, il faut bien faire entrer celle de ces signes. Dans la nouvelle acception, la direction concourt avec la grandeur pour former le rapport. C’est donc ; comme l’on voit, une simple question de mots, qui se décide par la définition précise qu’a donnée M. Français, et qui n’est d’ailleurs qu’une extension de la définition ordinaire.

Le second point de discussion est plus important. Sans doute il n’est aucune vérité accessible par l’emploi de la notation des lignes dirigées, à laquelle on ne puisse aussi parvenir par la marche ordinaire ; mais y parviendra-t-on plus ou moins facilement par une méthode que par l’autre ? la question mérite, ce me semble, d’être examinée. C’est à l’influence des méthodes et des notations sur la marche progressive de la science que les modernes doivent leur grande supériorité sur les anciens, en fait de connaissances mathématiques ; ainsi, quand il se présente une idée nouvelle en ce genre, on peut du moins examiner s’il n’y a point de parti à en tirer. M. Servois est le seul qui, depuis la publication de la nouvelle théorie, ait manifesté son opinion à ce sujet, et cette opinion n’est pas en faveur de l’emploi des lignes dirigées comme notation. L’usage des formule, analitiques lui semble plus et plus expéditif {Annales, tom. IV, pag. 230). Je réclamerai, à l’égard de ma méthode, un examen plus particulier. J’observe qu’elle est nouvelle, et que les opérations mentales qu’elle exige, quoique fort simples, peuvent bien demander quelque habitude, pour être exécutées avec la célérité que donne la pratique dans les opérations ordinaires de l’algèbre. Quelques-uns des théorèmes que j’ai démontrés me semblent l’être plus facilement que par la marche purement analitique. C’est peut-être une illusion d’auteur, et je n’insisterai pas là-dessus ; mais je solliciterai, avec plus, de confiance, la préférence, en faveur des lignes dirigées, pour la démonstration du théorème d’algèbre. « Tout polynôme est décomposable en facteurs du premier ou du second degré ». Je crois devoir revenir sur cette démonstration, tant pour résoudre l’objection qu’y a faite M. Servois (Annales, tom. IV, pag. 231) que pour montrer, avec plus de détail, comment elle découle facilement des nouveaux principes. L’importance et la difficulté de ce théorème qui a exercé la sagacité des géomètres du premier ordre, excuseront, je le présume, aux yeux des lecteurs, quelques répétitions de ce qui a été dit sur ce même sujet.

Les démonstrations qu’on a données de ce théorème semblent pouvoir être rangées sous deux classes.

Les unes se fondent sur certains principes métaphysiques relatifs aux fonctions et aux renversemens d’équations : principes sans doute vrais en eux-mêmes, mais qui ne sont point susceptibles d’une démonstration rigoureusement dite. Ce sont des espèces d’axiomes, dont la vérité ne peut être bien sentie qu’autant qu’on possède déjà l’esprit du calcul algébrique ; tandis que, pour reconnaître la vérité d’un théorème, il suffit de posséder les principes de ce calcul ; c’est-à-dire, d’en connaître les définitions et notations. De là vient que les démonstrations de ce genre ont été fréquemment attaquées. Le recueil auquel je confie ces réflexions en offre, en particulier, plusieurs exemples ; et les discussions qui ont eu lieu à ce sujet sont un indice que les raisonnemens qu’elles ont pour objet ne sont pas tout à fait sans reproches.

Dans d’autres démonstrations, on attaque de front la proposition à établir, en faisant voir qu’il existe toujours au moins une quantité, de la forme qui, prise pour rend nul le polynôme proposé, ou bien qu’on peut résoudre ce polynôme en facteurs-réels du premier ou du second degré. C’est la marche qu’a suivi Lagrange. Ce grand géomètre a montré que les raisonnemens faits avant lui, sur ce même sujet, par d’Alembert, Euler, Foncenex, etc., étaient incomplets (Résolut. des équat. numériq. notes IX et X). Les uns employaient des développemens en séries, es autres des équations subsidiaires ; mais ils n’avaient pas prouvé, ce qui était pourtant nécessaire, que les coefficiens de ces équations et de ces séries étaient toujours réels. Ces géomètres admettent implicitement le principe « que, si une question dans laquelle il s’agit de déterminer une inconnue peut être résolue de manières, elle doit conduire à une équation du degré  » Lagrange lui-même le regarde comme légitime, quoiqu’il n’en fasse pas usage dans les démonstrations citées. Or, ne pourrait-on pas dire encore que ce principe, extrêmement probable sans doute, n’est pas démontré, et rentre dans la classe de ces sortes d’axiomes dont il était question tout à l’heure. Il semble sur-tout que, comme on ne peut en acquérir la persuasion que par une pratique assez longue dans la science, ce n’est pas le lieu de l’employer, quand il s’agit d’une proposition qui, dans l’ordre théorique, est une des premières qui se présentent à démontrer dans l’analise. Cette observation, au reste, n’a nullement pour objet d’élever une chicane, qui serait aussi déplacée qu’inutile, sur des conceptions auxquelles tous les géomètres doivent le tribut de leur estime. Elle tend seulement à faire sentir la difficulté de traiter ce sujet d’une manière satisfaisante.

D’après ces considérations, il paraît qu’une démonstration à la fois directe, simple et rigoureuse peut encore mériter d’être offerte aux géomètres. Je vais donc reprendre ici celle de la page 142 du IV.e volume des Annales ; mais, pour en écarter toute espèce de nuage, je l’affranchirai de la considération des quantités évanouissantes.

Il convient de rappeler, en peu de mots, les premiers principes de la théorie des lignes dirigées.

Ayant pris une direction pour celle des quantités positives, la direction opposée sera, comme à l’ordinaire, celle des quantités négatives. Tirant par la perpendiculaire une des directions la première par exemple, appartiendra aux imaginaires la seconde aux imaginaires . Le trait au-dessus des lettres indique que la ligne désignée est considérée comme tirée dans sa direction. On supprime ce trait, quand on ne considère dans la ligne que sa grandeur absolue.

Prenant, à volonté, des points on a

C’est la règle d’addition.

Si l’on a, entre quatre lignes, l’équation

et que, de plus, l’angle entre soit-égal à l’angle ces lignes sont dites en proportion. De là se tire la règle de multiplication ; car un produit n’est autre chose qu’un quatrième terme de proportion dont le premier est l’unité.

Il faut bien observer que ces deux règles sont indépendantes de l’opinion qu’on peut avoir sur la nouvelle théorie. Si l’on veut que symbole que l’algèbre s’obstine à nous montrer partout, et qui, appelé quelquefois absurde, n’a jamais donné néanmoins des résultats qui soient tels ; si l’on veut, dis-je, que ce symbole ne soit rien du tout, sans pouvoir être pourtant égalé à zéro, cela ne fera pas de difficulté. Les lignes dirigées seront les signes seulement des nombres de la forme Les règles ci-dessus n’en seront pas moins légitimes ; mais, au lieu de les déduire, a priori, de considérations en partie métaphysiques, on tirera la première d’une simple construction. La seconde sera une conséquence immédiate des formules etc. ; moyennant quoi l’emploi de ces règles pourra donner des démonstrations entièrement rigoureuses.

Les lignes dirigées seront donc les symboles des nombres Comme ces nombres, elles seront susceptibles d’augmentation, diminution, multiplication, division, etc. ; elles les suivront, pour ainsi dire, dans toutes leurs fonctions ; en un mot, elles les représenteront complètement. Ainsi, dans cette manière de voir, des quantités concrètes représenteront des nombres abstraits ; mais les nombres abstraits ne pourront réciproquement représenter les quantités concrètes ….

Dans ce qui suit, les accens, indifféremment placés, seront employés pour indiquer la grandeur absolue des quantités qu’ils affectent ; ainsi, si et étant réels, on devra, entendre que ou

Soit donc le polynôme proposé

est un nombre entier ; peuvent être de la forme Il s’agit de prouver qu’on peut toujours trouver une quantité de cette même forme qui, prise pour rende

Pour une valeur quelconque de le polynôme peut être construit, par les règles précédentes. En prenant pour point initiai et nommant le point final, ce polynôme sera exprimé par et il faut montrer qu’on peut déterniner de manière que le point coïncide avec

Or si, dans l’infinité de valeurs dont est susceptible, il n’y en avait aucune qui donnât lieu à cette coïncidence, la ligne ne pourrait jamais devenir nulle ; et, de toutes les valeurs de il y en aurait nécessairement une qui serait plus petite que toutes les autres. Nommons donc la valeur de qui donnerait ce minimum ; on ne pourrait pas avoir

quelle que fût la quantité

Or, par le développement, on a

(A)

Comme les coefficiens des différentes puissances de peuvent être nuls, et que ce cas demanderait des considérations particulières, il conviendra de traiter la question d’une manière générale, en représentant l’équation précédente par

(B)

de manière qu’aucun des coefficiens ne soit nul, et que les exposans aillent en augmentant. Il faut remarquer que, si tous les coefficiens de (A) étaient nuls, l’équation (B) se réduirait à Faisant donc on aurait et le théorème serait démontré pour ce cas dont on peut, par conséquent, faire abstraction dans ce qui va suivre. Ainsi nous supposerons que le second membre de l’équation (B) a au moins trois termes.

Cela posé, que l’on construise en prenant

on aura

car il est visible qu’en général

sera représenté par la ligne brisée ou droite ou par et il faut prouver qu’on peut avoir

Or, la quantité peut varier de deux manières ;

1.o En direction ; et il est évident que, si elle varie d’un angle sa puissance variera d’un angle Soit donc l’angle dont surpasse Si on fait varier de l’angle variera de l’angle c’est-à-dire, que la direction de deviendra opposée à celle de en sorte que le point se trouvera sur la ligne prolongée, s’il le faut, par son extrémité

La direction de étant supposée ainsi fixée, on peut, en second lieu, la faire varier de grandeur ; et d’abord, si on pourra dftnkiuer jusqu’à ce que de manière que le point tombe entre et

Ensuite, si la grandeur de ainsi réduite, n’est pas telle que l’on ait

on peut, en la diminuant encore, obtenir que cette inégalité ait lieu ; car les exposans sont tous plus grands que

Or, cette inégalité revient à

la distance sera donc plus petite que par conséquent, si l’on trace un cercle du centre et du rayon le point sera au dedans de ce cercle, et il suit des premiers élémens de géométrie que, étant sur le prolongement du rayon du côté du centre on a

J’inviterai le lecteur à tracer une figure, pour suivre cette démonstration. En y appliquant les principes fondamentaux très-simples, rappelés ci-dessus, on verra qu’à l’exception du développement (A), qui suppose un calcul algébrique, tous les autres raisonnemens se font, pour ainsi dire, à vue, sans avoir besoin d’aucun effort d’attention.

Il est presque supperflu de s’arrêter à une objection qu’on pourrait faire à ce qui précède, en disant que, si l’on entreprenait de déterminer la valeur de en suivant la marche qui est prescrite pour diminuer progressivement il serait possible qu’on n’y parvînt jamais, parce que la valeur de pourrait, dans les substitutions successives, ne diminuer que par des degrés de plus en plus petits. Le contraire ne se trouve point prouvé en effet ; mais il n’en résulte autre chose sinon que les considérations qui précèdent ne sauraient fournir, du moins sans de nouveaux développemens, une méthode d’approximation ; et cela n’infirme aucunement la démonstration du théorème.

L’objection de M. Servois se résout facilement. « Ce n’est point assez, ce me semble, dit ce Géomètre, de trouver des valeurs de qui donnent au polynôme des valeurs sans cesse décroissantes, il faut de plus que la loi du décroissement amène nécessairement le polynôme à zéro ; ou qu’elle soit telle que zéro ne soit pas, si l’on peut s’exprimer ainsi, l’asymptote du polynôme. » Il a été démontré qu’on pouvait trouver pour non seulement des valeurs sans cesse décroissantes, mais encore une valeur moindre que celle qu’on prétendrait être la plus petite de toutes. Si le polynôme ne peut être amené à zéro, sa plus petite valeur sera donc autre que zéro, et, dans cette supposition la démonstration conserve toute sa force. La dernière phrase de M. Servois semblerait indiquer qu’il fait une distinction entre une limite infiniment petite et une limite absolument nulle ; si telle était son idée, on pourrait y opposer des considérations tout à fait semblables à celles que M. Gergonne a fait valoir dans une occasion assez analogue à celle-ci ; cette réponse s’appliquant, presque mot à mot, au cas présent, mutatis mutadis, il suffit d’y renvoyer le lecteur (Annales, tom. III, pag, 355). le scrupule de M. Servois tire sans doute sa source de la considération de l’équation à l’hyperbole Il est certain en effet que, bien qu’on puisse, dans cette équation, trouver pour une valeur inférieure à toute limite donnée, ne peut néanmoins devenir zéro, qu’autant qu’on supposera infini. Mais cette circonstance n’a point lieu dans notre démonstration ; car, ce n’est certainement pas par une valeur infinie de qu’on rendra nul le polynôme

Revenons au sujet qui a donné lieu aux développemens ci-dessus ; on pourra demander s’il serait possible de les traduire dans le langage ordinaire de l’analise, Cela me parait très-probable ; mais peut-être serait-il difficile d’obtenir, par cette voie, un résultat aussi simple. Il semble que, pour y parvenir, il faudrait rapprocher l’expression des imaginaires de la notation des lignes dirigées, en écrivant, par exemple

pour

pourrait être appelé le module de et représenterait la grandeur absolue de la ligne tandis que l’autre facteur, dont le module est l’unité, en représenterait la direction. On prouverait seulement 1.o que le module de la somme de plusieurs quantités n’est pas plus grand que la somme des modules de ces quantités ; ce qui revient à dire que la ligne n’est pas plus grande que la somme des lignes 2.o que le module du produit de plusieurs quantités est égal au produit des modules de ces quantités. Je dois laisser le soin de suivre ce rapprochement à des calculateurs plus habiles. Si l’on y réussît de manière à obtenir une démonstration purement analitique, aussi simple que celle qui découle des nouveaux principes, on aura gagné quelque chose dans l’analise, en parvenant ainsi, par une route facile, à un résultat dont les difficultés n’ont pas été au-dessous des forces de Lagrange lui-même. Si, au contraire, l’on n’y réussit pas, la notation des lignes dirigées conservera, dans ce cas-ci, un avantage évident sur la méthode ordinaire ; et, de toutes manières, la nouvelle théorie aura rendu un petit service à la science. Qu’il me soit permis, en terminant ces réflexions, de placer ici une remarque au sujet de la note de M. Lacroix, Insérée aux Annales (tom. IV, pag. 367). Ce savant professeur dit que les Transactions philosophiques de 1806, contiennent un mémoire de M. Buée dont le sujet est le même que celui sur lequel M. Français et moi avons écrit. Or, c’est dans cette même année 1806 que j’ai fait paraître l’Essai sur une manière de représenter les quantités imaginaires dans les constructions géométriques : opuscule où j’ai exposé les principes de la nouvelle théorie, et dont le mémoire inséré dans le 4.me volume des Annales (pag. 133) n’est qu’un extrait ; et l’on sait, d’autre part, que les volumes des collections académiques ne peuvent paraître que postérieurement à l’année dont ils portent la date. En voilà donc assez pour établir que, si, comme cela est fort possible, M. Buée n’a dû qu’à ses propres méditations les idées qu’il a développées dans son mémoire, il demeure toujours certain que je n’avais pu avoir connaissance de ce mémoire lorsque mon opuscule a paru.


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  1. Voyez les pages 61, 133, 222 et 364 du 4.me volume.
    J. D. G.