Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 04/Géométrie analytique, article 3

Texte établi par Joseph Diez Gergonne (4p. 349-359).

GÉOMÉTRIE.

Recherche du cercle qui en touche trois autres sur
une sphère ;
Par M. Gergonne.
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Dans un mémoire adressé il y a quelques temps à l’académie de Turin, j’ai déduit d’une analise très-courte et très-simple les deux propositions suivantes :

1.o Trois cercles étant donnés d’une manière quelconque sur un même plan, soient menées les tangentes extérieures communes à et à et ces tangentes détermineront sur deux cordes de contact, se coupant en quelque point elles détermineront aussi sur les cercles et deux autres cordes de contact lesquelles, prolongées s’il est nécessaire, se couperont en un autre point or, si l’on joint ces points et par une droite, les intersections de cette droite avec seront les points où ce cercle sera touché par deux cercles touchant à la fois les trois cercles et les touchant tous trois de la même manière ; c’est-à-dire, les enveloppant tous trois, ou les touchant tous trois extérieurement.

2.o Quatre sphères étant données d’une manière quelconque dans l’espace, soient circonscrits extérieurement des cônes aux sphères et et et ces cônes détermineront sur la sphère trois lignes de contact dont les plans se couperont on un certain point ces mêmes cônes détermineront aussi sur trois autres lignes de contact dont les plans, prolongés s’il est nécessaire, se couperont en un autre point or, si l’on joint ces points et par une droite, les intersections de cette droite avec la sphère seront les points où cette sphère sera touchée par deux sphères touchant à la fois les quatre sphères et les touchant toutes quatre de la même manière ; c’est-à-dire, les enveloppant toutes quatre ou les touchant toutes quatre extérieurement.

Il est clair que ces propositions donnent la solution directe des problèmes où il s’agit de décrire un cercle qui touche trois cercles donnés, ou de décrire une sphère qui touche quatre sphères données, du moins lorsqu’on exige que les trois cercles ou les quatre sphères donnés soient touchés de la même manière par le cercle ou par la sphère cherchés ; mais j’ai fait voir, dans le mémoire côté, qu’en faisant une combinaison convenable des angles et cônes, circonscrits intérieurement avec les angles et cônes circonscrits extérieurement, on pouvait obtenir, par un semblable procédé, les huit cercles qui peuvent toucher à la fois trois cercles donnés et les seize sphères qui peuvent toucher à la fois quatre sphères données. J’ai cherché en outre ce que devenaient les cordes de contact et les plans de lignes de contact, lorsque les rayons de quelques-uns des cercles ou de quelques-unes des sphères donnés devenaient nuls ou infinis, et j’ai ainsi établi le moyen de ramener à des procédés uniformes, et faciles à retenir, tous les problèmes de Viète sur le contact des cercles, et ceux de Fermat sur le contact des sphères.

L’élégante simplicité de ces solutions, indiquées tout naturellement par l’analise, m’avait fait désirer que celles qui sont relatives à trois cercles donnés sur un plan s’appliquassent également à trois cercles donnés sur une sphère[1] ; l’analogie m’avait même fait soupçonner fortement qu’il devait en être ainsi. Le calcul m’a montré que j’étais dans l’erreur à cet égard ; mais en revanche, il m’a fourni, pour trois cercles donnés sur une sphère, des constructions qui peuvent facilement être transportées à trois cercles donnés sur un plan, et même à quatre sphères données dans l’espace, et qui ne sont pas plus compliquées que celles que je viens d’indiquer sommairement ; de manière que j’ai enfin obtenu pour les problèmes de l’une et de l’autre sorte cette parfaite uniformité à laquelle j’avais principalement aspiré.

Avant d’entrer dans le détail des modifications que j’ai fait subir à mes premières constructions, pour les rendre applicables à trois cercles donnés sur une sphère, je dois présenter d’abord quelques remarques propres à en faciliter l’intelligence.

On sait que rien n’est plus facile que d’obtenir l’équation de la corde commune à deux cercles dont les équations sont données : cette équation étant rationnelle, il s’ensuit que la droite à laquelle elle appartient est réelle, lors même que les deux points qui doivent en déterminer la situation sont imaginaires ; c’est-à-dire, que deux cercles tracés sur un même plan ont encore une corde commune, lors même qu’ils ne se coupent pas ; c’est cette corde que M. Gaultier de Tours a dénommée l’Axe radical des deux cercles[2].

On démontre aussi bien facilement, par l’analyse, et presque sans calcul, que, trois cercles étant tracés sur un même plan, soit qu’ils se coupent ou qu’ils ne se coupent pas, leurs axes radicaux ou cordes communes deux à deux concourent en un même point que M. Gaultier a nommé leur Centre radical.[3]

Rien n’est plus aisé, comme on le voit, que de déterminer l’axe radical ou corde commune de deux cercles qui se coupent. Lorsqu’au contraire les deux cercles ne se coupent pas, la chose n’est guère plus difficile. Si en effet on décrit arbitrairement un troisième cercle qui coupe à la fois ces deux-là, il aura avec eux deux cordes communes, et il résulte de ce que nous venons de dire sur le centre radical, que le point de concours de ces deux cordes est un point de l’axe radical des deux cercles donnés ; et, comme on sait d’ailleurs que cet axe doit être perpendiculaire à la droite qui joint les centres, il se trouvera entièrement déterminé. Au surplus, on trouvera peut-être plus commode, dans la pratique, de chercher un second point de cet axe, par un procédé pareil à celui qui aura fait trouver le premier.

Sachant ainsi trouver l’axe radical de deux cercles, lors même qu’ils ne se coupent pas, la recherche du centre radical de trois cercles, dans le cas même où ils ne se couperont pas, ne présentera plus aucune difficulté.

Tout ceci peut facilement être étendu à des sphères dans l’espace. Ainsi le plan du cercle commun à deux sphères, lequel plan existe encore lorsque ces sphères ne se coupent pas, est leur Plan radical.

On détermine une droite appartenant à ce plan, en construisant une sphère qui coupe à la fois les deux sphères données et prolongeant les plans des intersections jusqu’à ce qu’ils se coupent. Pour déterminer entièrement ce plan, on peut indifféremment, ou déterminer une nouvelle droite qui y soit située, ou conduire par l’un quelconque des points de la première un plan perpendiculaire à la droite qui joint les centres.

Si trois sphères coexistent dans l’espace, elles donneront, en les considérant deux, à deux, trois plans radicaux lesquels se couperont suivant une même droite qu’on appellera leur Axe radical, et dont la construction n’offrira point de difficulté ; d’après ce qui vient d’être dit.

Si, enfin, quatre sphères coexistent dans l’espace, elles donneront, étant prises trois à trois, quatre axes radicaux, lesquels concourront en un même point qui sera le Centre radical de ces quatre sphères. Ce centre pourra donc être déterminé par ce qui précède.

Cela posé, soient 1.o  trois cercles donnés sur un plan ; et soit leur centre radical. Soient menées à ces cercles, pris deux à deux, des tangentes communes extérieures ; ces tangentes détermineront sur chaque cercle deux cordes de contact se coupant en un point ; soient, pour les trois cercles respectivement, ces points d’intersection. Si alors on mène les droites elles détermineront sur respectivement les points où ils devront être touchés par deux cercles les touchant tous trois et les touchant tous de la même manière.

2.o Soient quatre sphères données dans l’espace ; et soit leur centre radical. Soient menés à ces sphères, prises deux à deux, des cônes circonscrits extérieurs ; ces cônes détermineront sur chaque sphère trois lignes de contact dont les plans se couperont en un point ; soient, pour les quatre sphères respectivement ces points d’intersection. Si alors on mène les droites elles détermineront sur respectivement les points où elles devront être touchées par deux sphères qui les toucheront toutes quatre, et les toucheront toutes de la même manière.

En faisant encore ici une convenable combinaison des angles et cônes circonscrits intérieurement avec les angles et cônes circonscrits extérieurement, on déduit de ces constructions, comme de celles qui ont été précédemment indiquées, la détermination des huit cercles qui peuvent toucher à la fois trois cercles donnés et celle des seize sphères qui peuvent toucher à la fois quatre sphères données. De plus, en faisant à ces constructions les modifications qui conviennent an cas où les rayons de quelques-uns des cercles ou de quelques-unes des sphères donnés deviennent nuls ou infinis, on ramène encore, comme dans le premier cas, à des procédés uniformes la solution de tous les problèmes de Viète sur le contact des cercles et de ceux de Fermat sur le contact des sphères.

Je ne prétends pas décider si ces procédés ont en eux-mêmes quelque avantage sur les premiers que j’inclinerais même à regarder comme plus simples ; mais c’est sous cette forme seulement que la construction qui fait trouver les cercles qui touchent à la fois trois cercles donnés sur un plan, donne aussi, sans aucune modification, les cercles qui touchent à la fois trois cercles donnés sur une sphère.

C’est à prouver cette assertion que je consacre principalement cet article. Le problème revient évidemment à celui-ci : Trois cônes de même sommet étant donnés ; construire un quatrième cône, de même sommet qu’eux, qui les touche tous trois ? et c’est sous ce point de vue que je vais l’envisager.

Soient trois cônes donnés, de même sommet, dont les angles générateurs soient respectivement Soit pris leur sommet commun pour origine des coordonnées que nous supposons rectangulaires ; et supposons que l’axe du dernier soit l’axe des Représentons en outre par respectivement les cosinus des angles que forment les axes du premier et du second avec les axes des coordonnées ; ce qui, comme l’on sait, donnera lieu aux relations,

(1)
(2)

Désignons ensuite par les cosinus des angles que forme l’axe du cône cherché avec les axes des coordonnées, ce qui donnera pareillement

(3)

et soit son angle générateur. Si l’on veut que ce cône touche extérieurement les trois cônes donnés, il faudra que l’angle que fera son axe avec l’axe de chacun d’eux soit égal à la somme de leurs angles générateurs ; ce qui donnera

Telles sont les équations qu’il faudrait combiner avec l’équation (3), pour obtenir l’angle générateur du cône cherché, et les cosinus des angles que forme son axe avec les axes des coordonnées ; et l’on voit évidemment que le problème aurait deux solutions.

Il y a donc deux cônes cherchés dont chacun a une ligne de contact avec l’un quelconque des cônes donnés, avec par exemple ; et il est clair, d’après cela, que la recherche du plan qui contient ces deux droites doit être un problème du premier degré seulement.

Soient donc les coordonnées de la ligne de contact de avec le cône cherché ; nous connaissons déjà un lieu de cette ligne, et c’est le cône lui-même, dont l’équation est

(7)

il n’est donc plus question que d’en chercher un second.

Or, cette ligne devant être dans un même plan avec les axes des deux cônes, il s’ensuit qu’on doit avoir

(8)

et conséquemment, en éliminant entre les cinq équations (3), (4), (5), (6), (8), l’équation résultante, en sera celle du second lieu demandé.

Mais on sait qu’une ligne donnée par l’intersection de deux surfaces est aussi sur toute surface dont l’équation serait une combinaison des équations de ces deux-là ; d’où il suit que, dans l’élimination, nous pouvons nous aider de l’équation (7) pour simplifier nos résultats. Nous ne ferons ainsi que substituer au lieu cherché quelque autre lieu plus simple, coupant le cône ensuivant la même droite.

À l’aide de cette attention, l’élimination devient très-facile. On tire des équations (3), (6), (8), en ayant égard à l’équation (7),

ces valeurs étant substituées dans les équations (4) et (5), elles deviendront

Mais on peut remarquer que

on aura donc, en substituant et divisant par

d’où l’on conclura, par l’élimination de

(9)

équation d’un plan dont l’intersection avec doit déterminer sur ce cône la droite suivant laquelle il doit être touché par le cône cherché. Cette équation restant la même lorsqu’on y change simultanément les signes de il s’ensuit que, pour les huit combinaisons dont les signes de ces angles sont susceptibles, c’est-à-dire, pour les huit solutions du problème, cette équation ne prend que quatre formes distinctes, à chacune desquelles répondent conséquemment deux de ces solutions.

Pour construire le plan exprimé par l’équation (9), il est nécessaire et il suffit de connaître deux droites qui y soient contenues ; c’est-à-dire, de trouver deux systèmes de deux équations en qui jouissent de la propriété de rendre l’équation (9) identique. Et réciproquement deux manières distinctes quelconques de rendre l’équation (9) identique, sans établir entre des relations qui excèdent le premier degré, conduiront à la connaissance de deux droites qui détermineront le plan cherché.

Entre les diverses manières de rendre cette équation identique, lesquelles sont en nombre infini, nous choisirons les deux suivantes ; 1.o nous poserons séparément les deux membres de l’équation (9) égaux à 2.o nous poserons les mêmes membres égaux à Cela donnera, toutes réductions faites, les deux systèmes d’équations


Ainsi, en construisant la droite exprimée par les équations (10), puis la droite exprimée par les équations (11), le plan conduit par ces deux droites sera celui qu’exprime l’équation (9).

Ce qu’il y a de mieux à faire, pour construire les droites (10) et (11), c’est de construire les plans dont ces droites sont les intersections. Or, avec un peu d’attention, on reconnaît les plans (10) pour ceux des lignes de contact du cône avec les plans tangens communs extérieurs tant à ce cône et au cône qu’au même cône et au cône et on reconnaît les plans (11) pour ceux suivant lesquels les cônes coupent respectivement le cône ou, en d’autres termes, pour les plans radicaux tant à et qu’à et [4] ; ce qui indique pour le cône cherché une construction qui, appliquée ensuite à la recherche du cercle qui en touche trois autres sur une sphère, revient a celle qui a été enseignée plus haut.

Celle-ci se trouve mêrne établie par ce qui précède, puisqu’un plan n’est autre chose qu’une sphère dont le rayon est infini.

  1. M. Carnot, à la page 415 de sa Géométrie de position, a donné l’ébauche d’une solution analitique de ce problème. On peut aussi consulter la Correspondance sur l’école polytechnique, tome iii.e, no. 1, janvier 1814, pag. 10.
  2. Voyez le xvi.e cahier du Journal de l’école polytechnique.
  3. Même ouvrage.
  4. Supposons, en effet, que l’équation du plan tangent commun aux cônes et soit
    (12)

    avec la condition

    (13)

    si l’on veut que ce plan tangent soit extérieur, c’est-à-dire, si l’on veut que ce plan laisse les deux cônes d’un même côté, seront déterminés par l’équation (13) jointe aux équations

    et l’on voit que le problème est du second degré, de manière qu’il y a deux plans tangens.

    Or, si l’on suppose que désignent les coordonnées de l’une ou de l’autre ligne de contact avec les équations (12), (13), (14), (15) devant avoir lieu en même temps pour ces droites, le résultat de l’élimination de entre elles sera l’équation d’une surface contenant ces mêmes droites.

    Ce résultat est facile à obtenir. On tire des équations (12), (14), (15)

    valeurs qui substituées dans l’équation (13) donnent

    telle est donc l’équation d’une surface dont les intersections avec le cône détermineront ses lignes de contact avec les deux plans qui touchent à la fois extérieurement les cônes et

    Or en développant celle équation, la multipliant par et ayant égard à la relation (1), elle peut être mise sous cette forme

    or en la combinant avec celle de qui est

    elle se réduit simplement à

    qui n’est, en effet, autre chose que la première des équations (10).

    En second lieu, les équations des deux cônes étant respectivement

    en les multipliant en croix et extrayant la racine quarrée de l’équation-produit, l’équation résultante du premier degré, ayant lieu en même temps que ces deux-là, sera celle d’un plan contenant les droites suivant lesquelles ces deux cônes se coupent ; or cette équation est

    c’est-à-dire la première des équations (11).