Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 04/Astronomie pratique, article 1

ASTRONOMIE PRATIQUE.

Mémoire sur l’usage du réticule rhombe, pour les
observations des taches du soleil et de la lune ;
Par M. H. Flaugergues, astronome, correspondant de la
première classe de l’institut.
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Il ne paraît pas que les astronomes aient, jusqu’à présent, employé le Réticule rhombe[1] pour observer les taches du soleil[2] et de la lune. Toutes les observations de ce genre qui me sont connues, et pour lesquelles on s’est servi de réticules, ont été faites au moyen des passages des taches et des bords du soleil et de la lune, ou des cornes de ce dernier astre, lorsqu’il était en croissant, aux fils horisontal et vertical de la lunette d’un quart de cercle, ou par le fil horaire et les obliques d’en réticule de 45°. Un célèbre astronome[3] pensait même que le réticule rhombe ne pouvait servir pour l’observation des astres qui ont un diamètre considérable, comme le soleil et la lune ; et, pour le rendre propre à cet usage, il avait fait appliquer au réticule de sa lunette parallactique deux fils parallèles à la grande diagonale et passant par le sommet de chaque angle obtus ; mais cette addition, qui complique l’observation, est fort inutile, et l’on peut très-facilement et très-exactement déterminer la position d’une tache à l’égard du centre du soleil ou de la lune avec le réticule rhombe, tel qu’il est décrit dans l’astronomie de M. de Lalande[4] en s’y prenant de la manière suivante.

Soit (fig. 1) un réticule rhombe, dont la petite diagonale est parallèle à l’équateur. Représentons par le cercle l’image du soleil, qui est supposée se mouvoir en rasant par son bord le fil parallèle passant sur la diagonale et dont le centre décrit par conséquent la ligne parallèle à cette même diagonale et à l’équateur. Supposons que, ce centre étant en le bord précédent de l’image du soleil touche en le côté du réticule ; cette image continuant d’avancer, et son centre étant parvenu au point le même bord touchera le côté du réticule au point Ce centre parvenu au point le bord suivant touchera le côté du réticule au point  ; et enfin, le centre de l’image du soleil parvenu au point , le même bord touchera le côté du réticule au point . Je nomme contacts extérieurs les contacts qui ont lieu aux points et , et contacts intérieurs ceux qui ont lieu aux points et . Puisque la ligne est la ligne décrite par le centre de l’image du soleil, dans son trajet par le réticule, la ligne sera la corde décrite par ce centre, en dedans du réticule. Si on tire la diagonale , cette ligne sera perpendiculaire à qu’elle divisera en deux parties égales au point . Cette diagonale divisera pareillement l’angle du réticule en deux angles égaux . Nommons un de ces angles et menons enfin du centre de l’image du soleil, dans ces quatre positions aux points de contact correspondans, les rayons , dont le second et le troisième se coupent en sur .

Cela posé, les triangles rectangles , ayant les angles en opposés au sommet, sont semblables ; et, par la même raison, les triangles rectangles et , qui ont les angles en opposés au sommet, sont aussi semblables.

Les triangles rectangles , qui ont les angles en opposés au sommet, sont semblables ; et pareillement les triangles rectangles , qui ont les angles opposés au sommet au même point , sont aussi semblables.

Par conséquent les angles sont égaux chacun à l’angle  ; et les angles sont égaux chacun à l’angle  ; c’est-à-dire, que les quatre angles sont égaux chacun à la moitié de l’angle du réticule ou à  ; et puisque les côtés sont égaux, les triangles

sont égaux en tout.

Il est évident qu’au moment du premier contact extérieur, le centre de l’image du soleil étant au point , sa distance au milieu de la corde est , et qu’au moment du premier contact intérieur, le centre de l’image du soleil étant parvenu au point , sa distance au même point est . Si on retranche cette dernière équation de la première (en faisant attention que ), on aura . On prouvera tout de même (puisque ), que , d’où l’on tire ce théorème général : La ligne parcourue par le centre de l’image du soleil, dans l’intervalle de temps entre le premier contact extérieur et le premier contact intérieur, est égale à la ligne que parcourt le même centre dans l’intervalle entre le second contact intérieur et le second contact extérieur ; et ces deux lignes sont chacune égale à la ligne que décrit le centre de l’image du soleil en dedans du réticule.

D’après ce théorème, qui a lieu dans toute espèce de réticule rhombe, on peut, avec la plus grande facilité, trouver la valeur de la corde que décrit le centre de l’image solaire en dedans du réticule, puisqu’il ne faut pour cela que réduire en degrés l’intervalle de temps entre le premier contact extérieur et le premier contact intérieur, ou l’intervalle de temps entre le second contact intérieur et le second contact extérieur. On comparera ensuite, suivant la méthode qu’exige la nature du rhombe formé par les côtés de ce réticule, cette valeur avec la valeur de la corde décrite par la tache en dedans du réticule, déterminée au moyen du temps que cette tache a employé à le traverser réduit en degrés, et l’on aura la différence de déclinaison entre la tache et le centre du soleil.

Par exemple, dans le réticule de Bradley, où la moitié de la grande diagonale est égale à la petite diagonale, si l’on nomme le temps écoulé entre les deux premiers et les deux seconds contacts, le temps que la tache a employé pour traverser le réticule, et la différence de déclinaison ; on aura

(en supposant que la pendule est réglée sur le moyen mouvement). Le signe en indique que l’on doit retrancher de ou de suivant que La tache sera au nord du centre du soleil si, la déclinaison du soleil étant boréale, cet astre a passé dans la partie supérieure du réticule, et que le temps que cette tache a employé pour traverser ce réticule soit plus long que le temps que le centre du soleil a employé à le traverser. Si une de ces conditions vient à changer, ou toutes les trois ensemble, la tache sera au sud du centre du soleil.

On doit observer les quatre contacts autant qu’il est possible, parce que l’observation des deux derniers sert à vérifier celle des deux premiers. Cependant, si le champ de la moitié du réticule n’était pas assez grand pour qu’on pût y observer les contacts intérieurs, ce qui arrive lorsque le diamètre de l’image solaire est à la moitié de la grande diagonale du réticule dans un rapport plus grand que celui du rayon à la moitié de la somme du rayon et du sinus de la moitié de l’angle aigu du réticule, on déterminera la corde décrite par le centre du soleil, en dedans du réticule, au moyen seulement des deux contacts extérieurs ; car, dans le triangle rectangle on a (en supposant le rayon des tables =1)  ; donc par la même raison et, puisque on a

c’est-à-dire, que la corde décrite par le centre du soleil en dedans du réticule est égale à la ligne décrite par ce centre dans l’intervalle de temps écoulé entre les deux contacts extérieurs, diminuée du quotient de la division du diamètre du soleil par le cosinus de la moitié de l’angle aigu du réticule.

Si, à raison de l’interposition des nuages, ou par quelque autre accident, on ne pouvait observer que les deux contacts intérieurs, on déterminerait de même la valeur de la corde décrite par le centre du soleil, en dedans du réticule ; car il est évident que, lors du premier contact intérieur, la distance du centre du soleil au milieu de la corde est et qu’à l’instant du second contact intérieur cette distance est  ; ajoutant ces deux équations, en faisant attention que on aura

d’où l’on tire

 ;

c’est-à-dire, que la corde décrite par le centre du soleil en dedans du réticule est égale au quotient de la division du diamètre du soleil par le cosinus de la moitié de l’angle aigu du réticule, moins la ligne décrite par le centre du soleil dans l’intervalle de temps écoulé entre les deux contacts intérieurs.

Lorsque le réticule est si petit ou l’amplification de la lunette si grande que le rapport du demi-diamètre de l’image du soleil à la moitié de la grande diagonale du réticule est plus grand que celui du rayon au cosinus-verse de la moitié de l’angle aigu du réticule, les contacts de l’image solaire ne peuvent plus avoir lieu, ni en dedans ni en dehors du réticule, et cet instrument devient alors inutile pour l’usage que nous proposons ici.

Ainsi, par exemple, dans le réticule de Bradley, où la moitié de l’un des angles aigus est de , si le rapport du demi-diamètre de l’image solaire a la moitié de la grande diagonale du réticule est plus grand que celui de à ou que cette demi-diagonale sous-tende dans le ciel un angle plus petit que (le diamètre du soleil apogée étant de ), on ne pourra observer, dans ce réticule, les contacts intérieurs ; et si ce rapport est plus grand que celui de 1 à 0,5528, ou que cette moitié de la grande diagonale sous-tende dans le ciel un angle moindre , ce réticule ne pourra être d’aucun usage pour l’observation des taches du soleil. Hors ce dernier cas, si on a observé seulement les deux contacts extérieurs, et qu’on réduise en degrés le temps écoulé entre ces deux contacts, c’est-à-dire, entre le commencement de rentrée et la sortie totale du soleil hors du réticule ; on retranchera de cet arc le diamètre du soleil divisé par le cosinus de , ou, ce qui revient au même, multiplié par la sécante de cet arc, qui est égale à 1,11803 ; le reste sera l’arc que l’on peut prendre pour une ligne droite décrite par le centre du soleil en dedans du réticule. On retranchera, au contraire, du diamètre du soleil multiplié par 1,11803, le temps écoulé entre les deux contacts intérieurs réduits en degrés, si on n’a observé que les deux contacts intérieurs, et on aura également la corde décrite par le centre du soleil en dedans du réticule, dans ce dernier cas.

Pour déterminer la différence d’ascensions droites on additionnera les temps des deux contacts extérieurs ou les temps des deux contacts intérieurs, et l’on prendra la moitié de la somme, ce qui donnera le temps du passage du centre du soleil par la diagonale ou par le cercle horaire qui passe par le milieu du réticule. On additionnera de même les temps de l’entrée et de la sortie de la tache du réticule, et la moitié de la somme donnera le temps du passage de la tache au même cercle horaire. La différence des temps de ces deux passages sera la différence en ascension droite dont la tache sera plus avancée que le centre du soleil, si le passage de ce centre au cercle horaire a précédé le passage de la tache, et au contraire moins avancée, si le passage de cette tache a suivi le passage du centre du soleil.

Si on observe le premier contact extérieur et le premier contact intérieur ou bien le second contact intérieur et le second contact extérieur, on pourra également déterminer le temps du passage du centre du soleil par le cercle horaire qui passe par le milieu du réticule. Pour cela, on remarquera que la distance du centre de l’image solaire à la grande diagonale du réticule à l’instant du premier contact extérieur est égale à et que cette distancer à l’instant du premier contact intérieur, est égale à donc, au milieu du temps écoulé entre le premier contact extérieur et le premier contact intérieur, la distance de l’image solaire à cette diagonale, à droite est égale par la même raison, le centre de l’image solaire, au milieu du temps écoulé entre le second contact intérieur et le second contact extérieur est éloigné de la même diagonale à gauche de la même quantité par conséquent, pour avoir le temps du passage du centre du soleil an cercle horaire qui passe par le milieu du réticule, on additionnera le temps du premier contact extérieur avec le temps du premier contact intérieur, on prendra la moitié de la somme à laquelle on ajoutera la quantité réduite en temps, c’est-à-dire, le demi-diamètre du soleil divisé par on retranchera au contraire cette même quantité de la moitié de la somme des temps du second contact intérieur et du second contact extérieur ; et, dans les deux cas, on aura le temps du passage du centre du soleil au cercle horaire qui passe par le milieu du réticule ; et, en comparant ces temps avec le temps du passage de la tache par le même cercle, on aura la différence d’ascension droite de cette tache avec le centre du soleil.

Le réticule rhombe peut, comme on voit, servir pour déterminer la position des taches d’un astre dont on ne peut voir qu’un seul bord : comme cela a lieu pour la lune (le jour de l’opposition excepté) ; puisqu’il suffit, pour avoir la corde décrite par le centre de la lune, d’observer le premier contact extérieur et le premier contact intérieur du bord précèdent, lorsque la lune est en croissant, ou le second contact intérieur et le second contact extérieur, lorsque la lune est en décours. On prendra la différence entre le temps écoulé entre ces deux contacts, respectivement dans chaque cas, et le temps que la tache a mis pour traverser le réticule, en retranchant le plus petit du plus grand ; et on multipliera cette différence de temps, pour la réduire en arc (si le réticule employé est celui de Bradley) par

( étant le temps écoulé entre le passage de la lune au méridien qui a précédé et celui qui a suivi l’observation) le produit sera la différence de déclinaison entre la tache et le centre de la lune. La tache sera au nord du centre de la lune si, la lune étant au nord de l’équateur et passant par la partie supérieure du réticule, le temps employé par la tache pour traverser ce réticule est plus long que le temps écoulé entre les deux contacts. La tache sera, au contraire, au sud du centre de la lune, si une de ces conditions vient à changer, ou toutes les trois ensemble.

Pour déterminer le passage du centre de la lune par le cercle horaire qui passe par le milieu du réticule, on remarquera, comme nous l’avons déjà fait, que la distance de ce centre à ce cercle horaire, à l’instant du premier contact extérieur est égale à et que cette distance, à l’instant du premier contact intérieur est égale donc, au milieu du temps écoulé entre le premier contact extérieur et le premier contact intérieur, la distance du centre de la lune au cercle horaire est égale à par conséquent, pour avoir le passage de ce centre à ce cercle, on additionnera le temps du premier contact extérieur avec le temps du premier contact intérieur ; et on prendra la moitié de la somme à laquelle on ajoutera la quantité réduite en temps, c’est-à-dire, le demi-diamètre horisontal de la lune multiplié par

on retranchera au contraire cette même quantité de la moitié de la somme des temps du second contact intérieur et du second contact extérieur, et on aura, dans les deux cas, le passage du centre de la lune par le cercle horaire qui passe par le milieu du réticule ; et, en comparant ce temps avec le temps du passage de la tache par le même cercle, on conclura la différence d’ascension droite entre la tache et le centre de la lune.

On corrigera ensuite les différences d’ascension droite et de déclinaison trouvées par les méthodes précédentes des effets du changement de la réfraction et de la parallaxe en déclinaison pendant le temps du passage par le réticule, suivant les formes connues[5].

Le calcul de la différence des déclinaisons est un peu plus simple, en se servant du réticule de Bradley ; mais ce petit avantage ne compense pas la difficulté qu’il y a de construire exactement ce réticule. Je propose aux astronomes de substituer au rhombe choisi par Bradley un rhombe composé de deux triangles équilatéraux opposés, et décrits sur une même ligne servant de base qui devient la petite diagonale de ce rhombe représenté dans la figure. La description du triangle équilatéral qui fait le sujet de la première proposition des élémens d’Euclide, est la plus simple et la plus facile de toutes les opérations géométriques. On pourra donc construire, avec la plus grande exactitude, le réticule que je propose, et, pour réduire les observations que l’on fera avec ce nouvel instrument, il suffit de remarquer que la moitié de la grande diagonale est à la petite diagonale (égale au côté du rhombe) comme est à Il faut donc multiplier par la différence des cordes décrites dans ce réticule par les astres que l’on compare ; c’est-à-dire (en conservant les dénominations précédentes), qu’on a, pour les observations faites à ce réticule,

On pourrait même, sans craindre d’erreur sensible, multiplier simplement la différence des temps des passages par 13 fois le cosinus de la déclinaison du soleil ; et le calcul des observations, faites au nouveau réticule sera aussi simple que celui des observations faites au réticule de Bradley.

À l’égard des formules que nous avons données pour les observations des taches de la lune, on les réduira à ce nouveau réticule, en les multipliant par ou par 0,866 ; et comme, dans ce nouveau réticule, l’angle est de il faudra diviser le diamètre du soleil par le cosinus de ou, ce qui revient au même, le multiplier par la sécante qui est égale à 1,1547, dans toutes les formules où entre l’expression du diamètre du soleil, divisé par le cosinus de la moitié de l’angle aigu du réticule. Dans ce réticule la moitié de la grande diagonale doit sous-tendre dans le ciel un angle de plus de pour que les contacts intérieurs puissent avoir lieu, et de plus de pour les contacts extérieurs.


Séparateur

  1. C’est ainsi qu’on doit nommer le réticule dont Bradley passe pour être l’inventeur, et non pas Réticule rhomboïde, puisque le parallélogramme formé par les côtés de ce réticule est équilatéral, ce qui caractérise le rhombe et le différencie du rhomboïde, suivant la définition d’Euclide Ρὃμϐος, ὃ ίσὀϖλευρον… Ρ’ομβοειδὲς, δὲ, ὅ ὅ ίσὀϖλευρον. (Euclidis, Elem. lib. I, définit. 32 et 33.) Il est inconcevable que, depuis plus de soixante ans, les astronomes se soient tous accordés à se servir d’une expression aussi impropre.
  2. L’observation assidue des taches du soleil, outre son utilité générale pour déterminer les élémens de la rotation de cet astre, et pour décider la question fameuse si ses taches appartiennent aux mêmes points physiques du globe du soleil, ou si elles naissent spontanément dans la zone qui leur est affectée, peut encore conduire à la découverte des petites planètes qui peuvent exister dans l’espace, entre Mercure et le soleil, ainsi qu’à celle des comètes dont le périhélie étant très-près de cet astre passent par ce point de leur orbite aux environs de leur conjonction inférieure, avec peu de latitude, et ne peuvent ainsi être aperçues que dans leur passage sur le disque du soleil. C’est sans doute un phénomène de ce genre que vit M. Dangos, le 18 janvier 1798, et qu’il avait déjà aperçu en 1784 (Clef des cabinets des Souverains, n.o 386, du 21 pluviôse an 6, pag. 3485). J’espère que la méthode facile de déterminer la position de ces taches que l’on trouvera dans ce mémoire ramènera l’attention des astronomes sur ce sujet important. Au reste, il est possible que cette méthode ait été déjà trouvée par des astronomes dont les écrits ne me sont pas connus. Il serait à propos de consulter là-dessus le tome 4.e des Œuvres du P. Boscovich, où il est beaucoup parlé du réticule de Bradley ; je n’ai pu me procurer cet ouvrage.
  3. M. Darquier, Lettres sur l’astronomie pratique ; Paris 1786, page 57.
  4. Astronomie de M. de Lalande, 3.e édit., tom. 2, pag. 569 et suiv.
  5. Voyez l’Astronomie de M. de Lalande, 3.e édit., tom. 2, pag. 679 et suiv., ou le Traité de trigonométrie rectiligne et sphérique par M. Cagnoli, 2.e édit., pag. 476 et suiv.