Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 04/Arithmétique, article 3

ARITHMÉTIQUE.

Essai sur la transformation des fractions ;
Par M. Penjon, professeur de mathématiques au lycée
d’Angers.
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Il est connu, depuis long-temps, que, par un procédé analogue à celui qu’on emploie pour le développement d’une fraction en parties décimales, toute fraction peut être développée en une suite, finie ou infinie, d’autres fractions dont les dénominateurs sont les puissances successives d’un même nombre donné quelconque[1]. Je vais essayer de compléter ici la théorie de ces sortes de développemens.

1. Soit une fraction proprement dite que nous supposerons essentiellement réduite à ses moindres termes ; et soit un nombre entier quelconque. Soient, de plus, les quotiens et les restes que l’on obtient successivement, en divisant par on aura

Dans ces équations, les restes étant tous nécessairement moindres que  ; et ne pouvant être conséquemment que quelques-uns des nombres  ; il s’ensuit qu’à moins que quelqu’un des premiers ne soit nul, auquel cas tous les suivans le seraient aussi ; après un nombre de divisions tout au plus égal à on devra retomber sur quelqu’un des restes déjà obtenus. Or, l’inspection des équations suffit pour faire voir que le procédé par lequel on déduit chacun des restes ainsi que chacun des quotiens de celui qui le précède immédiatement est uniforme ; d’où il suit que si, par exemple, le reste est égal au reste les reste et quotient et seront respectivement égaux aux reste et quotient et  ; qu’il en sera de même des reste et quotient et comparés aux reste et quotient et , et ainsi de suite ; c’est-à-dire, que, si les deux suites ne se terminent pas d’elles-mêmes, elles seront nécessairement périodiques, soit immédiatement, soit à partir d’un terme dont le rang ne surpassera pas  ; de manière que, dans tous les cas, le nombre des termes qui précéderont les périodes augmentées du nombre de ceux de l’une des périodes, sera toujours moindre que On peut même observer que le cas où les deux suites se termineraient d’elles-mêmes ne fait point exception à la règle, attendu que la suite est elle-même périodique.

2. Si, après avoir mis les équations sous cette forme

on prend successivement la première, puis la somme des deux premières, puis la somme des trois premières, et ainsi de suite, en supprimant les termes communs aux deux membres des équations résultantes ; il viendra

En observant que les derniers termes

de ces suites sont continuellement décroissans, on en conclura qu’on peut écrire, par approximation,

développement qui donnera une valeur d’autant plus approchée de la fraction qu’on en prendra un plus grand nombre de termes, et qu’en même temps sera plus grand. À l’avenir nous appellerons ce nombre arbitraire la base du développement de

3. Il s’agit présentement, 1o. d’assigner les caractères auxquels on pourra reconnaître à l’avance si le développement se terminera ou si, au contraire, il se prolongera indéfiniment ; 2o. de reconnaître quand ce développement devra être immédiatement périodique ou avoir ses périodes précédées de termes n’en faisant pas partie ; 3o. enfin de déterminer généralement tant le nombre des termes des périodes que celui des termes de la partie non périodique dont elles se trouvent précédées.

4. Pour y parvenir, soient désignés généralement par le nombre des termes qui précèdent la première période, et par le nombre des tenues dont chaque période est composée ; auquel cas on devra avoir  ; il est ciair qu’alors on pourra écrire

ou encore

posant donc, pour abréger

il viendra enfin

c’est-à-dire,

5. Cela posé, soit mise l’équation sous cette forme

Il faut que le premier membre de cette équation soit un nombre entier ; et, comme et sont supposés premiers entre eux, il s’ensuit que doit être divisible par Soit donc fait étant le produit des facteurs premiers de qui se trouvent dans et le produit de ceux qui ne s’y trouvent pas. Attendu que et sont nécessairement premiers entre eux, il faudra que

et

soient séparément des nombres entiers. Ainsi, 1o. le dénominateur de la fraction génératrice ne saurait renfermer aucun des facteurs premiers de la base de son développement à une puissance supérieure à celle dont l’exposant est le nombre de fois que ce facteur premier se trouve dans la base, multiplié par le nombre des termes qui précèdent la première période ; 2o. le produit des facteurs premiers du dénominateur de la fraction génératrice qui sont étrangers à la base de son développement, est toujours diviseur d’un nombre moindre d’une unité que la puissance de cette base dont le degré est marqué par le nombre des termes des périodes.

6. Dans le cas où le développement se termine, et où conséquemment on a simplement

d’où l’on voit qu’alors doit être exactement divisible par  ; et dans le cas où ce développement est immédiatement périodique, et où conséquemment on a simplement

d’où l’on voit qu’alors doit être exactement divisible par Ainsi, 1olorsque le développement de la fraction génératrice se termine, son dénominateur est diviseur exact de quelque puissance de la base de ce développement, c’est-à-dire, qu’il ne contient aucun facteur premier étranger à cette base ; 2olorsque ce développement est immédiatement périodique, le dénominateur de la fraction génératrice, premier à la base, est nécessairement diviseur exact de quelque nombre moindre d’une unité qu’une puissance de cette base.[2]

7. Soit toujours et étant les mêmes que ci-dessus (5). Soit la moindre des puissances qui soit divisible par C et soit la moindre des puissances de ce même nombre qui, diminuée d’une unité, devienne divisible par  ; il suit de ce qui a été dit ci-dessus, que le développement de suivant la base ne pourra avoir moins de termes avant la première période, ni moins de termes à chaque période. Nous allons prouver de plus que ce développement aura précisément termes avant sa première période, et que ses périodes seront précisément de termes ; et nous donnerons en même temps un procédé différent du premier pour exécuter ce même développement.

8. Soient faits

d’où

on aura alors

Soit divisé par et soient le quotient et le reste de cette division ; nous aurons alors

ou encore

Soit divisé fois consécutivement par le quotient par le nouveau quotient par et ainsi de suite, en ne prenant que les quotiens entiers ; soient les restes de ces divisions et leurs quotiens, nous aurons

en prenant la somme des produits respectifs de ces équations par et réduisant, il viendra

En opérant de la même manière sur faisant divisions seulement, désignant par les restes successifs et par le dernier quotient, on aura pareillement

Substituant enfin ces valeurs de et dans l’équation elle prendra d’abord la forme et ensuite la forme  ; c’est-à-dire, que le développement de la fraction suivant la base se trouvera être exactement conditionné comme nous l’avons annoncé.

9. Il convient au surplus d’observer que la recherche des nombres n’exige nullement la décomposition de en facteurs premiers. En cherchant successivement le plus grand commun diviseur entre et jusqu’à ce qu’on rencontre deux puissances consécutives pour lesquelles ce diviseur soit le même ; l’exposant de la moins élevée sera et le diviseur sera En divisant par le quotient sera  ; enfin, en divisant successivement par les binômes , jusqu’à ce qu’on en rencontre un pour lequel la division réussisse, l’exposant de dans ce binôme sera la valeur de

10. Pour donner un exemple de ce procédé, proposons-nous de développer la fraction suivant la base 3. Nous aurons ici d’où donc et partant

11. L’application de tout ce qui précède au développement des fractions en parties décimales est trop facile pour que nous croyons nécessaire de nous y arrêter.

  1. Voyez, entre autres, le Complément d’algèbre de M. Lacroix. Tom. IV, n.o IX, 1.er mars 1814
  2. De là résulte ce théorème : et étant deux nombres entiers premiers entre eux, l’équation

    est toujours résoluble en nombres entiers.