Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 04/Analyse élémentaire, article 6

ANALISE ÉLÉMENTAIRE.

Mémoire sur les principes fondamentaux de la théorie
générale des équations ;
Par M. D. Encontre, professeur doyen de la faculté des
sciences de l’académie de Montpellier.
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1. La théorie générale des équations repose, toute entière, sur deux théorèmes dont la démonstration me paraît n’avoir pas encore été donnée d’une manière qui puisse être mise à la portée des commençans. Le premier de ces théorèmes est que, dans une équation à une seule inconnue , si deux nombres successivement substitués à , donnent des résultats de signes contraires, il y a nécessairement une racine réelle, comprise entre et Le second est qu’une équation quelconque à une seule inconnue , étant ordonnée suivant les puissances de cette inconnue, qu’on suppose toujours entières et positives, son premier membre est nécessairement décomposable en facteurs simples de la forme réelle ou de la forme imaginaire

2. L’illustre Lagrange, dans son beau Traité de la résolution des équations numériques, démontre le premier de ces deux théorèmes en supposant le second.

« Soient, dit-il, les racines de l’équation ; elle se réduira, comme on sait, à cette forme Or, soient les nombres qui, substitués à , donnent des résultats de signes contraires, il faudra que ces deux quantités

soient de signes contraires ; par conséquent, il faudra qu’il y ait, au moins, deux facteurs correspondans, comme et qui soient de signes contraires ; donc il y aura, au moins, une des racines de l’équation, comme qui sera entre les deux nombres et c’est-à-dire, moindre que le plus grand de ces deux nombres, et plus grande que le plus petit ; donc cette racine sera nécessairement réelle. »

3. Lagrange convient lui-même, dans ses notes, que cette démonstration peut laisser du doute, relativement aux facteurs imaginaires, ce qui l’oblige à en donner une autre qui n’est pas sujette à la même difficulté.

« Représentons, dit-il, en général l’équation proposée par étant la somme de tous les termes qui ont le signe et la somme de tous les termes qui ont le signe Supposons que les deux nombres soient positifs, et que soit plus grand que en faisant on a et qu’en faisant on ait il est clair que, dans le premier cas, sera plus petit que et que, dans le second, sera plus grand que Or, par la forme des quantités et qui ne contiennent que des termes positifs, et des puissances entières et positives, il est évident que ces quantités augmentent à mesure que augmente, et qu’en faisant augmenter , par tous les degrés insensibles, depuis jusqu’à elles augmenteront aussi, par des degrés insensibles, mais de manière que augmentera plus que puisque de plus petite qu’elle était, elle devient la plus grande. Il y aura donc nécessairement un terme entre les deux valeurs égalera  : comme deux mobiles qu’on suppose parcourir une même ligne, dans le même sens, et qui, partant à la fois de deux points différens, arrivent en même temps à deux autres points, mais de manière que celui qui était d’abord en arrière se trouve ensuite plus avancé que l’autre, doivent nécessairement se rencontrer dans leur chemin. »

Lagrange étend ensuite le même raisonnement au cas où et seraient négatifs, et à celui où ils seraient de signes différens, ce qui est facile.

4. Cette démonstration me parait très-rigoureuse, et celle qu’on trouvera ci-après n’en est qu’une sorte de commentaire ; mais l’expérience m’a prouvé que les jeunes-gens ont beaucoup de peine à la saisir telle qu’elle vient d’être présentée ; qu’ils se font mille difficultés sur la comparaison de deux fonctions à deux mobiles[1], et qu’ils se plaignent sur-tout, avec quelque apparence de raison, de ce que la considération des quantités infiniment petites, qui leur est interdite, dans une partie des mathématiques, quoiqu’elle pût leur épargner bien des calculs, est permise et devient même, en quelque sorte, nécessaire dans celle-ci.

5. Le second théorème fondamental exige des connaissances plus profondes, ce qui oblige les analistes à ne le donner que vers la fin de la théorie des équations, tandis qu’il devrait être placé au commencement, puisqu’on en suppose la vérité dans toute cette même théorie. Je crois donc rendre un service de quelque importance aux élèves qui suivent les classes de mathématiques spéciales, en démontrant ici, d’une manière facile, les deux théorèmes dont il s’agit, sans rien supposer au-delà des connaissances qu’on a dû, ou du moins qu’on a pu acquérir avant de s’occuper de cette matière.

6. Hypothèses et définitions. Les équations que nous considérons ici sont de la forme

Les exposans sont supposés entiers et positifs. Les coefficiens au nombre desquels nous comprenons le terme connu sont réels, mais peuvent être indifféremment entiers ou fractionnaires, positifs, négatifs ou nuls.

Tout nombre qui, mis à la place de , satisfait à l’équation, est dit, racine de cette équation.

Les racines des équations peuvent être déterminées d’une manière exacte ou d’une manière approchée.

Une racine est déterminée d’une manière exacte, lorsqu’un nombre substitué à réduit absolument le premier membre à zéro. Une racine est déterminée d’une manière approchée, lorsqu’on a une suite de nombres qui, substitués successivement à , rendent le premier membre de plus en plus petit, et peuvent le rendre moindre que toute grandeur donnée, quelque petite qu’on la suppose.

7. THÉORÈME. Si un nombre mis à la place de dans une équation de la forme ci-dessus, satisfait à cette équation, ou, ce qui revient au même, en réduit le premier membre à zéro, ce premier membre est exactement divisible par

Démonstration. Soit exécutée, autant que possible, la division par  ; il suit des premiers principes de cette opération que le reste s’il y en a un, ne renfermera pas et que, le quotient partiel obtenu indépendamment du reste étant designé par P, le quotient total sera de manière qu’on aura

Ces quantités égales, multipliées l’une et l’autre par donneront des produits égaux ; donc

Or, par hypothèse, l’un et l’autre membres de cette équation doivent se réduire à zéro, lorsqu’on y met a pour , ce qui d’ailleurs n’apporte aucun changement à puisque ne renferme pas

Nous aurons donc

ou

c’est-à-dire, que le reste de la division est nul, ou que la division est nécessairement exacte. Cette démonstration est de d’Alembert.[2]

8. Remarque. En exécutant réellement la division par , on trouvera au quotient

quantité qu’on peut mettre sous la forme

9. PROBLÈME. Former une équation, de tel degré qu’on voudra, qui ait au moins une racine réelle ?

Solution. Prenez un polynôme quelconque de la forme

étant un nombre entier positif, moindre d’une unité que le nombre qui exprime le degré de l’équation demandée. Multipliez ce polynôme par moins ou plus une quantité réelle et connue  ; et égalez le produit à zéro. Le problème sera résolu ; car, en premier lieu, l’équation ainsi formée est nécessairement du degré qui, par hypothèse, est le degré prescrit ; et, en second lieu, l’une des deux quantités ou est évidemment racine de cette équation.

10. Corollaire. Il y a, dans tous les degrés, une infinité d’équations qui ont au moins une racine réelle.

11. THÉORÈME. Il est possible qu’une équation du degré ait racines réelles.

Démonstration. Soit une équation du degré laquelle ait une racine réelle, ce qui est possible (10). Le premier membre de cette équation, savoir : sera divisible par et le quotient sera de la forme ainsi l’équation primitive sera changée en celle-ci

On y pourra donc satisfaire de deux manières différentes ; premièrement en faisant secondement en faisant

Or si cette dernière équation a une racine réelle ce qui est possible, on pourra la mettre sous la forme

et l’équation primitive deviendra

S’il arrive encore, ce qui est toujours possible, que l’équation

ait une racine réelle l’équation primitive deviendra

Et, si l’on continue à supposer que, le dernier facteur étant égalé à zéro, il soit toujours possible de satisfaire à l’équation résultante, supposition qui, comme nous l’avons vu, n’a rien d’absurde ; il devient évident que le premier membre de l’équation primitive sera décomposable en autant de facteurs simples qu’il y a d’unités dans l’exposant Il devient donc aussi évident que cette équation aura racines réelles ; car elle sera nécessairement satisfaite, quel que soit celui de ces facteurs qu’on rend égal à zéro.

12. Corollaire. Nous sommes donc en droit de conclure, non que toute équation du degré ait racines réelles, et que son premier membre soit décomposable en facteurs simples ; mais qu’il existe une infinité d’équations du degré quelconque qui ont racines réelles, et dont le premier membre est décomposable en facteurs simples. Chacun peut même composer à volonté, autant qu’il lui plaira, de ces sortes d’équations.

13. LEMME. Le produit de deux ou de plusieurs facteurs simples, tels que ne peut être exactement divisé par un facteur simple, qu’autant que ce facteur est un de ceux qui ont concouru à former ce produit.

C’est ce qu’on démontre dans la théorie des nombres.[3]

14. Corollaire. Si le premier membre de l’équation est une fois décomposé en facteurs simples, on ne saurait le décomposer en d’autres facteurs simples différens des premiers. Il est donc possible qu’une équation du degré ait racines ; mais elle ne saurait en avoir un plus grand nombre.

15. Remarques. I. On démontre ordinairement cette vérité de la manière suivante :

Soit l’équation décomposée en facteurs simples, de manière qu’on ait

et soit un diviseur exact de lequel diviseur ne soit égal à aucun des diviseurs

Ce diviseur donnera un quotient de la forme et nous aurons, par conséquent,

Or, est un diviseur exact du premier membre de cette équation ; il doit donc être aussi un diviseur exact du second membre ; et, ne divisant pas le facteur il divise nécessairement l’autre facteur

Soit exécutée cette division ; il en résultera

Le même raisonnement fera trouver ensuite

et, en poursuivant toujours ainsi, on arrivera enfin à la conclusion  ; ce qui est contre l’hypothèse ; cette hypothèse ne peut donc subsister ; et il n’existe conséquemment d’autres diviseurs simples de que les diviseurs simples

II. Il est aisé de voir que ce raisonnement est inutile ou faux.

Il est inutile, si les facteurs sont considérés comme ils doivent l’être, c’est-à-dire, comme des facteurs premiers.

Il est faux, s’ils ne sont pas considérés comme tels ; car s’ils ne sont pas premiers, on n’est pas en droit de conclure, de ce que divise le produit et ne divise pas l’un de ces deux facteurs, savoir qu’il divise nécessairement l’autre facteur. Le nombre 10, par exemple, qui ne divise ni ni divise pourtant le produit de ces deux nombres. Pareillement la formule qui ne divise aucun des trinômes et divise pourtant leur produit [4]

16. PROBLÈME. On a un polynôme dont tous les termes sont positifs ; et l’on sait qu’un nombre substitué à , dans ce polynôme a donné un résultat On demande un nombre tel que, si l’on substitue pour , dans ce même polynôme, le nouveau résultat soit plus grand que et moindre que étant une quantité positive donnée, et qui peut être prise aussi petite qu’on voudra ?

Solution. Mettons, en effet, pour , ce qui nous donnera

Or nous avons, par hypothèse ;

en désignant donc respectivement par les coefficiens de , tout se réduira à prendre de manière que

soit moindre que

Soit le plus grand des coefficiens  ; il est clair que, si nous trouvons pour une valeur qui rende

moindre que h,

nous aurons, à plus forte raison,

moindre que h.

Mais

puis donc que cette quantité doit être moindre que nous n’avons qu’à faire  ; ce qui donne  ; et le problème est résolu.

Car 1.o  est évidemment moindre que l’unité ; d’où il suit que est une quantité positive, et qu’ainsi le résultat de la substitution de sera plus grand que

2.o Ce nouveau résultat est moindre que puisque et que ce qu’il faut retrancher de pour avoir l’excès du nouveau résultat sur le premier, ou plutôt une quantité plus grande que cet excès, est  ; quantité positive et moindre que

Exemple. Soit proposé le polynôme qui, lorsqu’on y fait donne le résultat Et soit demandée pour une autre valeur telle que le nouveau résultat soit plus grand que et moindre que

La substitution de à donne

Le plus grand des coefficiens des différentes puissances de est évidemment

Ce qui donne et

Le résultat de la substitution est

Résultat plus grand que et moindre que

17. Remarques. I. Si au lieu de prendre , on le prend encore plus petit, l’accroissement du polynôme sera moindre, mais demeurera positif.

II. désignant toujours le plus grand des coefficiens l’accroissement du polynôme sera moindre que

III. désignant, au contraire, le plus petit de ces mêmes coefficiens, l’accroissement du polynôme sera plus grand que

Cet accroissement sera donc compris entre les deux limites finies

et

18. PROBLÈME. Étant donnés deux polynômes

dont tous les termes sont positifs ; et étant donnés, de plus, deux nombres tels que le premier étant substitué à , dans l’un et dans l’autre polynômes, donne pour un résultat plus grand que pour et que le second étant substitué à , dans l’un et dans l’autre polynômes, donne pour un résultat plus grand que pour  ; trouver, entre et un nombre qui, mis à la place de , dans l’un et dans l’autre polynômes, donne, pour et pour deux résultats dont la différence soit moindre qu’une certaine quantité , quelque petite qu’on la puisse prendre ?

Solution. Substituons à  ; ordonnons par rapport à et soit le plus grand des coefficiens des différentes puissances de dans l’un et dans l’autre polynômes, considérés comme n’en formant qu’un seul ; puis prenons

En substituant au lieu de chacun des deux polynômes recevra une augmentation moindre que

Soit fait , et substituons à , dans et dans  ; nous trouverons pour une valeur telle que le nouvel accroissement, tant de que de sera encore moindre que

En continuant à opérer de la même manière, nous ferons croître et à chaque opération, d’une quantité moindre que h ; et ces accroissemens n’étant pas infiniment petits, puisqu’ils sont toujours compris (17) entre deux limites finies, il ne pourra y en avoir qu’un nombre fini entre et  ; un nombre fini d’opérations suffira donc pour donner deux résultats consécutifs tels que étant encore moindre que dans le premier, devienne plus grand que dans le second ; or, en passant du premier état au second, et recevront une augmentation moindre que  ; donc leur différence, tant dans le premier que dans le second état, sera moindre que  ; donc le problème sera résolu.

19. THÉORÈME. Si deux quantités positives successivement substituées à l’inconnue, dans une équation quelconque, donnent des résultats de signes contraires, cette équation a une racine positive, comprise entre et

Démonstration, Trouver une racine positive d’une équation ; c’est (6) trouver un nombre positif qui, mis à la place de l’inconnue, rende la somme des termes positifs égale à la somme des termes négatifs, ou rende la différence, entre ces deux sommes, moindre que toute quantité assignée quelconque.

Or, soient ces deux sommes ; puisque et donnent des résultats de signes contraires, il faut que rende plus grand que et que au contraire, rende plus grand que ou réciproquement. Mais nous venons de prouver que, dans cette hypothèse, on peut toujours trouver, entre et un nombre qui rende la différence, entre et moindre que toute quantité donnée ; on peut donc toujours trouver une racine réelle et positive de l’équation proposée, et cette racine est entre et

20. THÉORÈME. Si deux quantités négatives et successivement substituées à l’inconnue, dans une équation quelconque, donnent des résultats de signes contraires, cette équation a au moins une racine réelle négative, comprise entre et

Démonstration. Soit fait Nous aurons une équation en dont les racines positives seront égales aux racines négatives de l’équation en Les résultats seront d’ailleurs les mêmes, si l’on fait ou ou  ; puis donc que et substitués à , donnent des résultats de signes contraires, et substitués à donneront aussi des résultats de signes contraires. Donc l’équation en aura au moins une racine réelle et positive, entre et  ; donc l’équation en aura au moins une racine réelle et négative, entre et

21. Corollaire. On prouvera, avec la même facilité, que, si deux quantités de signes contraires, et donnent des résultats qui soient aussi de signes contraires, l’équation proposée aura nécessairement une racine réelle comprise entre entre et ou entre et et par conséquent entre et [5]

22. PROBLÈME. Étant proposé un polynôme de la forme trouver un nombre qui, substitué à , rende le premier terme plus grand que la somme de tous les autres ?

Solution. Soit le plus grand des coefficicns . Si nous parvenons à rendre plus grand que à plus forte raison aurons-nous rendu plus grand que

Or,

Il faut donc que soit plus grand que Pour cela, nous n’avons qu’à faire ou bien ce qui donne C’est-à-dire, que le nombre qui, mis à la place de rendra le premier terme plus grand que la somme de tous les autres est ou le plus grand des coefficiens du polynôme augmenté d’une unité.

23. THÉORÈME. Toute équation de degré impair a au moins une racine réelle de signe contraire à son dernier terme.

Démonstration. Soit ce dernier terme négatif, et soit mis zéro pour  ; le résultat sera négatif. Soit mis ensuite pour  ; le résultat sera positif. Donc l’équation aura au moins une racine réelle positive, comprise entre et

Soit, au contraire, ce dernier terme positif, et soit mis zéro pour  ; le résultat sera positif. Soit mis ensuite pour  ; le résultat sera négatif. Donc l’équation aura au moins une racine réelle négative, comprise entre et

24. THÉORÈME. Toute équation de degré pair, dont le dernier terme est négatif, a au moins deux racines réelles, l’une positive et l’autre négative.

Démonstration. Soient substitués successivement et à la place de l’inconnue ; les résultats seront de signes contraires : il y aura donc une racine réelle entre et

Soient ensuite substitués successivement et à la place de l’inconnue ; les résultats seront encore de signes contraires ; il y aura donc encore une racine réelle entre et

25. Corollaire. Toute équation qui n’a pas de racines réelles est de degré pair, et son dernier terme est positif.

Ceci ne veut pas dire que toute équation de degré pair, dont le dernier terme est positif, n’a pas de racines réelles,

26. LEMME. Toute fonction dans laquelle entrent les quantités imaginaires peut être ramenée à la forme

Démonstration.

L’on a d’où et , d’où  ; donc, en général, ou

Soit , on aura

Soit fait ensuite il viendra

De là on conclura aisément

[6]

27. LEMME. Dans toute équation

la valeur de l’inconnue est une fonction des coefficiens

Démonstration. Une quantité est dite fonction d’une ou de plusieurs autres, lorsque sa valeur dépend de celles qu’on attribue à ces autres quantités ; or, il est évident que la valeur de dépend, et dépend même uniquement, lorsque est donnée, de celles des coefficiens

28. Remarque. Quoiqu’on sache, d’une manière certaine, que est fonction de on ne connaît la forme de cette fonction que pour les quatre premiers degrés. Il est seulement démontré que la fonction qui donne la valeur de l’inconnue, par les coefficiens dans une équation du degré renferme toutes les fonctions qui donnent les valeurs de l’inconnue, dans les équations de tous les degrés inférieurs. Car étant une fonction de laquelle change de valeur, et non de forme, lorsqu’on y fait varier nous pouvons y supposer et, dans ce cas, les valeurs de seront, outre la valeur zéro, toutes les valeurs que peut donner l’équation du degré immédiatement inférieur. Ainsi, la fonction qui donne les valeurs de , dans l’équation générale du degré renferme la fonction qui donne les valeurs de dans l’équation du degré celle-ci renferme la fonction qui donne les valeurs de , dans l’équation de degré et ainsi de suite.

29. THÉORÈME. Toute équation qui n’a point de racines réelles, en a au moins deux imaginaires de la forme

Démonstration. Une équation qui n’a point de racines réelles est nécessairement (25) de la forme

Je désigne le dernier terme par pour mieux faire entendre qu’il est essentiellement positif.

Soit fait ou

Nous aurons en substituant,

ou bien

Soient faits

nous aurons

Or, il a été démontré ci-dessus (24) que, si étaient des quantités réelles, il existerait une fonction de laquelle donnerait au moins deux racines réelles pour n’étant pas réelles, les deux valeurs données par la fonction pourront n’être pas réelles ; mais, de quelque nature qu’elles soient, il suffira de les multiplier par et nous aurons pour deux valeurs correspondantes, compliquées, à la vérité, de différentes sortes d’imaginaires ; mais qu’on pourra toujours ramener (26) à la forme [7]

30. THÉORÈME. Si une équation, dont les coefficiens sont réels, a une racine égale à , elle en a nécessairement une autre égale à

Démonstration. Puisque est racine de l’équation proposée, le premier membre de cette équation doit être divisible par  ; et, en exécutant la division par ce diviseur, on obtiendra (26) un quotient de la forme

Or, le produit de par est

quantité qui, par hypothèse, doit être nulle. Égalant donc séparément à zéro la partie réelle et la partie imaginaire, nous aurons les deux équations

entre lesquelles éliminant il viendra

donc et

Donc, si la proposée a une racine , elle en a nécessairement une autre [8]

31. THÉORÈME. Toute équation qui n’a pas de racines réelles a autant de racines imaginaires de la forme qu’il y a d’unités dans le plus haut exposant de l’inconnue.

Démonstration. 1.o Toute équation qui n’a pas de racines réelles est de degré pair (25).

2.o Toute équation qui n’a pas de racines réelles en a au moins deux imaginaires, telles que, l’une d’elles étant représentée par l’autre peut être représentée par (30).

3.o Le premier membre de l’équation proposée étant divisible par et par est nécessairement divisible par le produit de ces deux diviseurs, c’est-à-dire, par or, ce produit, étant réel, donnera un quotient réel de la forme .

4.o Ce quotient peut être égalé à zéro, ce qui donne une nouvelle équation, laquelle étant exactement dans le cas de la précédente a comme elle, deux racines imaginaires et a conséquemment son premier membre exactement divisible par Le quotient sera de la forme et, ce quotient étant encore égalé à zéro, la nouvelle équation qui en résultera sera encore dans le cas des deux précédentes.

5.o En continuant à raisonner de la même manière, il devient évident que, lorsque l’exposant sera épuisé, on aura obtenu couples de facteurs imaginaires, et que, par conséquent, le nombre de ces facteurs sera c’est-à-dire, qu’il y en aura autant qu’il y a d’unités dans le nombre qui indique le degré de l’équation.

32. Corollaire. Le premier membre de toute équation est décomposable en autant de facteurs simples, de l’une des formes qu’il y a d’unités dans l’exposant du degré de cette même équation.

  1. Si l’on voulait faire servir la géométrie à rendre plus palpables les vérités purement algébriques, on pourrait, dans le cas dont il s’agit ici, raisonner de la manière suivante. Soient posés Chacune de ces équations, qu’on peut rapporter à la même origine et aux mêmes axes, exprime une courbe continue : ce qu’il est aisé de démontrer, sans supposer connue la théorie générale des équations. Or, étant actuellement moindre que ne peut ensuite la surpasser, sans que les deux courbes se coupent, et qu’il y ait conséquemment une valeur de qui donne
  2. Cette démonstration prouve qu’en général, quel que soit le reste de la division du premier membre de l’équation proposée par , n’est autre chose que ce que devient ce premier membre, lorsqu’on y met au lieu de  ; d’où il résulte que ce reste sera ou ne sera pas nul, suivant que ou ne sera pas racine de l’équation.
    J. D. G.
  3. Soient deux facteurs algébriques, dont le produit est divisible par le facteur simple  ; dis que l’un, au moins, des deux facteurs est divisible par

    En effet, soit exécutée, autant que possible, la division de par  ; le reste s’il y en a un, ne contiendra plus , et l’on aura ce qui donne

    Soit pareillement exécutée la division de par le reste s’il y en a un, ne contiendra plus  ; et l’on aura

    Donc

    Et, puisque est divisible par il faut que soit nul ou divisible par  ; or, il ne peut être divisible par puisqu’il ne renferme pas  ; on doit donc avoir nécessairement  ; et par conséquent ou  ; c’est-à-dire, que la division, soit de soit de par ne doit absolument laisser aucun reste.

    Il suit de là que, si une formule algébrique est le produit de plusieurs facteurs simples et qu’un facteur simple divise exactement ce produit, ce facteur est identique avec quelqu’un des facteurs

  4. Le Corollaire du n.o 14 peut être établi directement, d’une manière très-simple, indépendamment du Lemme du n.o 13.

    Tout se réduit, en effet, à prouver l’absurdité de la prétendue identité

    Or, cette absurdité s’aperçoit sur-le-champ, en y faisant  ; elle devient alors, en effet

    en sorte qu’elle exprime que le produit d’une suite de nombres tous différens de zéro est égal à zéro.

    Cette remarque est de M. Fauquier, ancien élève du lycée de Nismes, maintenant élève à l’école du génie.

    J. D. G.

  5. M. Encontre a négligé de remarquer que son problème du n.o 18 fournirait, au besoin, une méthode d’approximation, pour une racine dont on aurait déjà deux limites.
    J. D. G.
  6. Voy. les pages 20 et 147 de ce volume.
    J. D. G.
  7. Il serait peut-être aussi exact, et il paraîtrait du moins un peu plus simple de raisonner comme il suit.

    Soit toujours l’équation proposée

    Soit fait

    ou

    et alors l’équation proposée deviendra

    Or, si était réel, il est démontré qu’alors il existerait au moins deux fonctions réelles de qui pourraient être prises pour valeurs de Soit

    l’une de ses valeurs. Si n’est pas réelle, elle deviendra

    et pourra cesser elle-même d’être réelle ; mais elle ne devra pas moins en résoudre l’équation proposée, et sera de plus (26) de la forme Ceci rentre, à peu près, dans le raisonnement qu’on trouve à la note de la page 91 de ce volume.

    J. D. G.

  8. On peut encore démontrer de cette autre manière que, généralement, toute quantité réelle divisible exactement par l’est aussi nécessairement par et par conséquent par le produit de ces deux diviseurs, si du moins et sont premiers entre eux.

    Concevons que l’on fasse la division de par les termes du quotient ne pourront être que des quatre formes suivantes

    lesquels seront tous conséquemment réductibles à l’une des deux formes et  ; par où l’on voit que ce quotient pourra être représenté par On aura donc

    et, puisque est réelle, on devra avoir

    et

    Présentement on a

    ou, en vertu des deux équations ci-dessus

    donc est diviseur de

    Présentement, pour que ne fût pas divisible par le produit il faudrait que les deux facteurs de ce produit eussent un diviseur commun ; et, comme tout diviseur commun à deux quantités divise aussi leur somme et leur différence, il faudrait que ce diviseur divisât aussi et ce qui ne peut avoir lieu si, comme nous le supposons, et sont premier entre eux.

    J. D. G.