Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 03/Statique, article 4

STATIQUE APPLIQUÉE.

De l’équilibre dans l’échelle à incendie, et d’une nouvelle
machine, propre à mouvoir les fardeaux ;
Par M. Bérard, principal et professeur de mathématiques
au collège de Briançon, membre de plusieurs sociétés
savantes.
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On a proposé, il y a quelques années, pour retirer des maisons embrasées les personnes qui y sont enfermées, une échelle très-ingénieuse. Elle présente des cas d’équilibre assez remarquables que je me propose ici de discuter.

La figure 1.re représente l’assemblage de plusieurs rhombes contigus : il faut imaginer un second système, parallèle à celui-là et lié avec lui par des axes fixés d’une part aux points et de l’autre à leurs correspondans dans le second système. Les côtés de tous les rhombes sont assemblés à charnières, et l’ensemble des deux systèmes forme une sorte d’échelle qui peut se plier ou s’allonger subitement, lorsqu’on fait varier l’angle des côtés du premier rhombe inférieur[1]. La machine, placée verticalement, repose sur quatre roulettes destinées à faciliter son transport et le jeu des mouvemens angulaires des rhombes. Enfin, à la partie supérieure se trouve, étendue une toile destinée à recevoir la personne qu’on veut descendre.

Cela posé, concevons que la machine doive être mise en jeu par deux forces égales et opposées appliquées en et destinées à faire varier l’angle Soit le poids de la machine, que je suppose agir au milieu de la hauteur (quoique, pour plus grande solidité, il soit convenable de faire décroître, de bas en haut, l’épaisseur des côtés des rhombes). Soit le poids de la personne placée en sur la toile. Il s’agit de trouver l’équation d’équilibre, entre les forces

Le principe de la décomposition des forces serait ici d’une application difficile, ou tout au moins fort longue : celui des vitesses virtuelles vaudrait mieux ; mais le plus simple est, dans le cas présent, celui en vertu duquel le centre commun de gravité de plusieurs poids en équilibre doit être tellement situé qu’il ne puisse plus descendre.

Pour employer ce dernier principe, il faut remplacer, par la pensée, les deux forces horizontales qui agissent en et , par un poids vertical suspendu à deux cordons qui passeraient sur une poulie

Si l’on prend, à l’égard de l’axe fixe les momens des poids et qu’ayant retranché celui du poids on divise le reste par on aura la distance de cette ligne au centre commun de gravité des trois poids ; distance qui, dans le cas d’équilibre, devra être un minimum. Mais, comme la somme des poids est constante, il suffira d’écrire que la différence des momens ci-dessus est un minimum.

Soient  ; l’angle le côté de l’un des rhombes  ; le nombre des centres ou axes la longueur de la demi-corde  ; enfin la longueur de la corde Cette longueur est arbitraire, et doit disparaître du calcul.

On aura

et

On aura donc, d’après cela, 1.o pour le moment du poids

2.o pour le moment du poids ,

 ;

3.o enfin ; pour le moment du poids

Égalant donc à zéro la différentielle de la différence entre la somme des deux premiers momens et le troisième, on obtiendra, pour l’équation d’équilibre cherchée,

(1)

Cette équation fera connaître facilement la valeur de la force pour une valeur déterminée de l’angle Il ne sera pas aussi aisé d’avoir en fonction de

Comme est ordinairement très-petit à l’égard de si l’on fait on aura

(2)

Cette équation sera rigoureuse, pour un moment quelconque de l’ascension, parce qu’alors le poids ne chargera pas encore la machine.

Cette machine peut rester en équilibre, indépendamment de la force On a l’équation qui convient à ce cas, en faisant dans l’équation (1) ; il vient alors

(3)

Le dénominateur de la fraction sous le radical étant essentiellement positif, on voit que ce cas ne pourra avoir lieu qu’autant qu’on aura

et comme, d’un autre côté, on doit toujours avoir d’où  ; on voit que l’équilibre ne pourra avoir lieu qu’autant que se trouvera compris entre certaines limites. Si, par exemple, on fait et la formule (3) donnera

d’où l’on voit qu’on doit avoir alors et

Il résulte encore de ce qui précède que le poids ne pourra parvenir à l’horizontale , ni même s’en approcher à un certain point, à moins que la force n’agisse dans un sens contraire à celui que nous lui avons supposé, et alors il faudra la faire négative dans (1) ; ainsi, elle devra être employée alternativement, tantôt de vers , et tantôt de vers ,

Enfin, si l’on voulait avoir égard au frottement, on pourrait consulter ma Statique des voûtes, où j’ai donné le premier des formules rigoureuses et générales (Voyez aussi mes Opuscules mathématiques, problème 17). On peut déduire de ce qui précède l’idée d’une machine propre à mouvoir les fardeaux. (fig. 4.) représentent plusieurs groupes, composés chacun de trois rhombes. Les extrémités sont fixées et liées au sol. Le fardeau qu’il s’agit de mouvoir est lié par un cordon au premier centre du premier groupe ; l’autre extrémité du premier groupe est liée au premier centre du second groupe, par un nouveau cordon ; l’extrémité du second groupe, est liée, de la même manière au premier centre du troisième groupe ; et ainsi de suite. Enfin la puissance est appliquée à l’extrémité du dernier groupe.

Il est aisé de voir que, la vitesse du poids étant , celles des points seront respectivement 3, 9, 27,… ; ainsi, s’il y a seulement 4 groupes, de 3 rhombes chacun, la puissance sera à la résistance

On pourrait former les groupes de plus ou de moins de 3 rhombes ; mais je crois le système de 3 rhombes par groupe le plus avantageux.

Il laisse aux artistes à juger des circonstances où la machine que je viens de décrire, peut être utile.

  1. Chaque système de rhombes ressemble exactement à ces pincettes en acîer dont se servent quelques fumeurs, pour retirer des charbons du feu, sans se brûler les doigts ; ou encore au système de traverses en bois sur lesquelles sont établis des petits soldats, dans certains joujoux d’enfans.
    J. D. G.