Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 03/Géométrie élémentaire, article 4

GÉOMÉTRIE.

Mémoire sur la polyédrométrie ; contenant une démonstration
directe du Théorème d’Euler sur les polyèdres,
et un examen des diverses exceptions auxquelles ce
théorème est assujetti ;
Par M. Lhuilier, professeur de mathématiques à l’académie
impériale de Genève.
(Extrait) Par M. Gergonne.
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Je me propose ici de rendre compte d’un mémoire, sur les polyèdres que M. Lhuilier a bien voulu me communiquer, et que son étendue m’oblige à regrets d’abréger. Dans l’extrait que j’en vais faire, j’apporterai tous mes soins à ne rien omettre de ce qui peut intéresser le lecteur.

Je vais d’abord laisser M. Lhuilier exposer lui-même le sujet de ses recherches et les motifs qui l’ont déterminé à s’y livrer.

« Le théorème de polyédrométrie d’Euler, suivant lequel, dans tout polyèdre, la somme du nombre des faces et du nombre des angles solides surpasse de deux unités le nombre des arêtes, peut être regardé comme fondamental dans cette partie de la géométrie[1]. Il correspond à la proposition de géométrie plane suivant laquelle, dans tout polygone rectiligne, le nombre des angles est égal au nombre des côtés. Mais, tandis que cette dernière proposition n’exige aucun développement, et ne souffre aucune exception, la proposition correspondante sur les polyèdres n’est rien moins qu’évidente, et n’est pas plus générale. Dans un premier travail, l’auteur, n’ayant pu en trouver la démonstration, se contenta de l’exposer sur plusieurs solides d’espèces différentes ; et il présenta comme probable, et comme fondée sur l’analogie seulement, la conclusion tirée de ces cas particuliers à la proposition générale. Dans un second travail, sur le même sujet, l’auteur donne enfin la démonstration de sa proposition. Il la tire de la possibilité de diminuer d’une unité le nombre des angles solides d’un polyèdre (non tétraèdral) ; d’où découle la possibilité de le ramener à une pyramide, et en particulier à une pyramide tétraèdrale. L’auteur développe cette possibilité, et il en tire les conséquences relatives à la diminution correspondante du nombre des faces et du nombre des arêtes.

» Dans les mêmes mémoires, Euler développe deux autres théorème, sur les polyèdres, relatifs à la valeur de la somme des angles plans qui entrent dans la composition d’un polyèdre. Il démontre que cette valeur est quatre angles droits, multipliés par l’excès du nombre des arêtes sur le nombre des faces, ou quatre angles droits multipliés par un nombre inférieur de deux unités à celui des angles solides. Cette dernière expression lui paraît, avec raison, bien remarquable. Elle répond à la valeur de la somme des angles plans d’une figure rectiligne, dans le nombre de ses côtés ou de ses angles. L’auteur, après l’avoir tirée des deux premiers théorèmes, en a donné une démonstration immédiate, fondée sur le principe déjà exposé ; savoir : sur la possibilité de diminuer d’une unité le nombre des angles solides d’un polyèdre (non tétraèdral).

» Legendre, dans ses Élémens de géométrie, a démontré les mêmes théorèmes d’une manière remarquable par sa brièveté. Sa démonstration est fondée sur l’expression de la surface d’un polygone sphérique dans ses angles. Comme cette dernière expression suppose des principes déjà établis sur les figures sphériques, ce qui exige des développemens préliminaires ; la brièveté de la démonstration de Legendre n’est (suivant moi) qu’apparente ; et cette démonstration ne me paraît pas avoir le degré de simplicité qu’on est en droit de désirer, pour une proposition fondamentale.

» Il paraît qu’Euler a fait des tentatives inutiles pour démontrer ses théorèmes, par la décomposition du polyèdre en pyramides ayant pour sommet commun un point pris dans l’intérieur de ce polyèdre, et ayant ses faces pour bases. Hic modus (dit-il) solidum quodcunque in pyramides resolvendi ad prœsens instituîum parum confert. Cette assertion d’Euler m’a paru remarquable ; elle a fixé mon attention ; et le résultat de mes méditations, sur ce sujet, me paraît satisfaisant. Je trouve que la décomposition rejetée par Euler, comme inutile, conduit à la démonstration demandée, d’une manière très-simple et très-lumineuse, ainsi que je le développerai dans ce mémoire.

» Cette légère observation, relative à une simple différence dans le procédé d’une démonstration, ne sera, au surplus, que secondaire dans ce qui va suivre. Je me propose principalement de montrer que le théorème d’Euler souffre des exceptions nombreuses, et qu’il n’est vrai, d’une manière générale, que pour les polyèdres qui n’ont point de parties rentrantes, soit quant aux angles plans qui forment les angles solides, soit quant aux angles dièdres ou aux inclinaisons de leurs faces ; ou, ce qui revient encore au même, pour les solides qui sont, en entier, d’un même côté du plan de chacune de leurs faces. Ces polyèdres sont, à la vérité, ceux qu’on a coutume de considérer principalement dans les élémens. Cependant la définition des polyèdres, suivant laquelle ils sont des solides terminés de toutes parts, par des figures planes, n’exclut point les polyèdres à parties rentrantes. À moins donc qu’on n’avertisse (ainsi que le fait Legendre), qu’on s’occupe exclusivement des premiers polyèdres, on s’expose à donner comme générales des conclusions qui ne sont applicables qu’au point de vue particulier sous lequel on a envisagé le sujet dont on s’occupe.»

On voit, par cet exposé, que le mémoire de M. Lhuilier renferme deux parties bien distinctes. Dans la première, l’auteur se propose de démontrer le théorème d’Euler, d’une manière qui lui est propre. Son but, dans la seconde, est d’indiquer les diverses sortes d’exceptions auxquelles ce théorème est sujet. Je suivrai la même division dans l’analise de ce mémoire.

1. La première proposition que M. Lhuilier établit, et qui est presque évidente d’elle-même, est que, dans toute pyramide, le nombre des faces, plus le nombre des angles solides surpasse de deux unités le nombre des arêtes. On voit en effet que, si l’on désigne respectivement par ces trois nombres, et qu’on représente par le nombre des côtés du polygone base de la pyramide, on aura,

d’où

2. M. Lhuilier établit ensuite cet autre théorème : Si deux polyèdres sont tels que, dans chacun, le nombre des faces, plus le nombre des angles solides surpasse de deux unités le nombre des arêtes ; et si, en même temps, ces deux polyèdres ont une face égale par laquelle ils puissent être appliqués l’un à l’autre dans le polyèdre résultant de leur réunion, la somme du nombre des faces et du nombre des angles solides surpassera aussi de deux unités le nombre des arêtes.

Pour prouver cette proposition, M. Lhuilier considère que si désigne le nombre des côtés des faces des deux polyèdres que l’on fait coïncider ; que de plus et désignent tant les deux corps que le corps formé de leur assemblage ; que les nombres de faces d’angles solides et d’arêtes soient pour qu’ils soient pour et qu’ils soient enfin pour on devra avoir

d’où

mais, par l’hypothèse,

donc

Je dois observer ici qu’il n’est pas vrai généralement que, comme le suppose M. Lhuilier, la coïncidence des deux polyèdres diminue de le nombre total, tant de leurs angles solides que de leurs arêtes, et de 2 le nombre de leurs faces ; mais néanmoins la proposition est vraie dans tous les cas.

D’abord, par l’application des deux solides, l’un contre l’autre, il peut arriver que deux faces correspondantes et adjacentes aux faces superposées coïncident, de manière à ne former, par leur réunion, qu’une face unique ; le solide composé aura donc une face de moins qu’il n’en aurait eu sans cette circonstance ; mais il aura aussi une arête de moins. Si donc le nombre des coïncidences de cette nature est tandis que se changera en se changera aussi en ce qui ne changera rien à l’équation

Deux angles solides, correspondans dans les deux corps, peuvent être trièdres, et tels que, par leur réunion, ils forment un angle dièdre. Cette circonstance entraînera la réduction de quatre faces à deux, celle de quatre arêtes à une seule, et la suppression d’un angle solide. Si donc cela arrive fois, se changera en en et en ce qui ne changera encore rien à l’équation

Il est essentiel de remarquer que si, dans un angle solide du corps total résultant de la réunion de deux angles solides eorrespondans des corps partiels, deux arêtes se trouvaient ne former qu’une seule ligne droite, cette ligne droite n’en devrait pas moins être comptée pour deux arêtes distinctes. En général, il faudra supposer, dans tout ce qui va suivre, que, si plusieurs sommets d’un polyèdre se trouvent situés sur une même ligne droite, et que cette ligne droite soit en même temps arête de tous les angles solides auxquels ces sommets appartiennent, elle devra être comptée pour autant d’arêtes distinctes que ces sommets, formeront de divisions.

3. Le tour de raisonnement qui vient d’être employé, pour démontrer la seconde proposition de M. Lhuilier, peut être appliqué à démontrer une proposition de géométrie plane dont on n’a encore donné nulle part jusqu’ici une démonstration complète. Cette proposition est que, dans tout polygone, plans et rectiligne, la somme des angles intérieurs vaut deux angles droits pris autant de fois moins deux que le polygone a de côtés. Les démonstrations qu’on en donne communément suppose que le polygone est convexe ou que du moins il existe quelque point, dans son intérieur, par lequel il est impossible de faire passer une droite qui rencontre son périmètre en plus de deux points. Voici comment on en peut obtenir une démonstration générale, et tout à fait indépendante de la nature du polygone.

Il faut d’abord démontrer que si, dans deux polygones, la somme des angles intérieurs vaut deux angles droits, pris autant de fois moins deux que ces polygones ont de côtés ; et, si ces polygones ont un côté égal par lequel ils puissent être réunis l’un à l’autre, de manière à ne plus former qu’un polygone unique, la somme des angles intérieurs de ce nouveau polygone sera encore égale à deux angles droits, pris autant de fois moins deux que ce polygone aura de côtés.

Soient, en effet, les deux polygones proposés ; soit le polygone résultant de leur assemblage ; soient respectivement les nombres de côtés de ces polygones ; soit l’angle droit et soient enfin respectivement les sommes d’angles intérieurs de trois polygones.

D’après l’hypothèse, on aura

Présentement, dans la réunion des deux polygones ; il peut se présenter les trois cas que voici : 1.o ou aucun des deux angles adjacents au côté commun, dans l’un des polygones, ne sera supplément de son correspondant dans l’autre polygone ; 2.o ou l’un seulement de ces angles, dans le premier, sera supplément de son correspondant dans le second ; 3.o ou enfin ils seront tous deux, dans le premier, supplémens de leurs correspondans dans le second.

Dans le premier cas, on aura

d’où

Dans le second cas, on aura

d’où

Enfin, dans le troisième cas, on aura

d’où

Cela posé, soit un polygone non convexe, ayant des angles rentrans, en nombre quelconque. Si par le sommet de l’un quelconque de ces angles rentrans, on mène une droite indéfinie qui passe entre les côtés de cet angle, cette droite divisera le polygone en deux autres qui, pris ensemble, auront évidemment un angle rentrant de moins que le premier. Opérant donc de la même manière sur ceux-ci, et poursuivant continuellement ainsi, le polygone proposé se trouvera enfin divisé en un certain nombre de polygones convexes, dans chacun desquels la somme des angles intérieurs sera, comme l’on sait, égale à deux angles droits, pris autant de fois moins deux que ce polygone aura de côtés.

Le polygone proposé pouvant donc être considéré comme formé par l’application successive de ces polygones partiels les uns contre les autres ; en vertu du théorème démontré ; il devra jouir aussi de la même propriété.

De là résulte cette conséquence, savoir : que le plus petit nombre des triangles dans lesquels un polygone quelconque puisse être divisé, est toujours inférieur de deux unités au nombre de ses côtés.

4. Cette conséquence, et le principe d’où, elle dérive, ne sont vrais, au surplus, qu’autant que le polygone est terminé par une seule ligne continue. On ne pourrait l’appliquer, par exemple, au polygone annulaire ou couronne polygonale, c’est-à-dire, à l’espace plan compris entre deux polygones décrits l’un dans l’autre.

Soient et les nombres de côtés des polygones extérieur et intérieur bornant la couronne. Tondis que la somme des angles du premier devra être estimée la somme des angles du second devra être estimée ou  ; la somme des angles intérieurs de la couronne sera donc c’est-à-dire, autant de fois deux angles droits qu’elle aura de côtés ; elle ne pourra donc être divisée en un moindre nombre de triangles.

En général, un espace plan peut être compris entre polygones, extérieurs les uns aux autres, et un polygone qui les enferme tous. Si est le nombre total des lignes droites qui terminent cet espace, la somme de ses angles intérieurs sera

5. Je reviens au mémoire de M. Lhuilier. L’auteur établit pour troisième proposition que, si un corps est composé d’un nombre quelconque de pyramides, ayant un sommet commun ; de manière que ces pyramides soient appliquées, deux à deux, par des faces latérales communes ; le nombre des faces de ce corps augmenté du nombre de ses angles solides surpassera de deux unités le nombre de ses arêtes. Cette proposition est, en effet, une conséquence nécessaire et évidente de ce qui a été démontré (1 et 2).

M. Lhuilier observe ensuite que, bien que la démonstration de cette proposition suppose que chaque nouvelle pyramide qu’on introduit ne s’applique au corps formé de la réunion des autres que par une seule face latérale, elle aura lieu également, si la coïncidence a lieu pour un plus grand nombre de faces de la nouvelle pyramide introduite.

En supposant, en effet, que cette coïncidence s’opère par faces latérales consécutives, au lieu de s’opérer par une seule ; il en résultera, dans le solide total, une diminution de faces, de angles solides et de arêtes ; se changeront donc respectivement en ce qui ne changera rien à l’équation Ce raisonnement s’appliquant évidemment au cas où la dernière pyramide coïnciderait avec l’avant-dernier solide par toutes ses faces latérales, en remplissant un creux pyramidal qui y serait resté ; je me dispenserai de transcrire ici ce que M. Lhuilier dit en particulier, relativement à ce cas. Je ne dirai rien non plus du cas on la réunion de deux pyramides amènerait leurs bases à ne plus former qu’un seul plan ; d’autant qu’en complétant, comme je l’ai fait, la démonstration de la deuxième proposition de M, Lhuilier, l’examen particulier de ce cas devient absolument superflu.

6. De tout ce qui précède résulte évidemment que, dans tout polyèdre, le nombre des faces augmenté du nombre des angles solides, surpasse de deux unités le nombre des arêtes, toutes les fois, du moins, que ce polyèdre pourra être considéré comme composé de pyramides ayant un sommet commun ; ce qui aura lieu pour tout polyèdre convexe, et plus généralement pour tout polyèdre dans l’intérieur duquel il y aura au moins un point par lequel il sera impossible de faire passer une droite qui rencontre sa surface en plus de deux points. Mais, en appliquant à la proposition (2) un raisonnement analogue à celui qui a été fait (3), pour les polygones, on parviendra aisément à se convaincre que le Théorème d’Euler est vrai généralement, pour les polyèdres convexes ou non convexes, sauf les exceptions dont il sera parlé ci-après.

7. Ce théorème est, au surplus, susceptible d’une démonstration qui, sans être plus longue que celle de M. Legendre, a sur elle l’avantage d’être tout-à-fait élémentaire. Je vais l’exposer en peu de mots.

Soit d’abord le nombre des côtés d’un polygone quelconque ; soit divisé ce polygone, d’une manière arbitraire, en compartimens polygonaux, par des droites concourant tant à ses sommets qu’à différens points dans son intérieur. Soient le nombre des polygones partiels résultant de sa décomposition, le nombre des points, y compris les sommets du polygone donné, où concourent les droites qui servent de côtés à ces polygones, et enfin le nombre de ces droites en y comprenant les côtés du polygone donné.

Soient les nombres respectifs de côtés des polygones partiels ; leurs sommes d’angles seront respectivement donc la somme de tous leurs angles sera

cette somme devant être égale à la somme des angles intérieurs du polygone proposé, plus à autant de fois quatre angles droits qu’il y a de points de concours intérieurs, et le nombre de ceux-ci étant évidemment s-N, on aura

ou plus simplement

mais chaque ligne, excepté les côtés du polygone proposé, servant de côté à deux polygones, on doit avoir

ajoutant cette équation à la précédente, il viendra, en réduisant, transposant et divisant par 2,

c’est-à-dire, que le nombre des polygones partiels, augmente du nombre des points de concours des droites qui les forment, surpasse d’une unité le nombre de ces droites.

Cela posé, soit un polyèdre dont une face soit transparente ; et concevons que l’œil s’approche assez de cette face, extérieurement, pour qu’il puisse apercevoir l’intérieur de toutes les autres faces ; ce qui sera toujours possible, lorsque le polyèdre sera convexe. Les choses étant ainsi disposées, concevons qu’il soit fait, sur le plan de la face transparente, une perspective de l’ensemble de toutes les autres. En conservant les mêmes notations que ci-dessus, cette perspective sera un polygone divisé en compartimens polygonaux, terminés par droites concourant en points. On aura donc, par ce qui précède,

d’où

Ceci ne s’applique généralement, à la vérité, qu’aux polyèdres convexes ; mais nous avons déjà vu que la proposition étant vraie pour les polyèdres de cette nature, elle l’est aussi pour tous les autres.

Au surplus, quelque simple que soit cette démonstration, on lui préférera peut-être encore, avec raison, la belle démonstration de M. Cauchy[2], qui a le précieux avantage de ne supposer nullement que le polyèdre soit convexe.

8. Si l’on veut que, dans un polyèdre, toutes les faces aient un même nombre de côtés, et tous les angles solides un même nombre d’arêtes, on aura, pour déterminer les trois équations

Ces équations n’éprouvant aucun changement, lorsqu’on y permute à la fois contre et contre on en conclut que les polyèdres de cette nature sont réciproques, deux à deux ; en sorte que, dans les deux d’une même couple, le nombre des arêtes est le même, et que, de plus, le nombre des faces de chacun est le même que le nombre des sommets de l’autre ; ce qui permet de les inscrire ou circonscrire l’un à l’autre.

De ces équations on tire

La nécessité d’avoir pour des nombres entiers positifs, plus grands que 2, borne les solutions de ces équations aux suivantes :

On conclut de là que non seulement il n’y a que cinq corps réguliers, mais qu’il ne peut exister que cinq sortes de polyèdres, réguliers ou non, dont toutes les faces aient le même nombre de côtés, et tous les angles solides le même nombre d’arêtes.

On voit, en outre, que la sphère peut, sous trois points de vue différens, être considérée comme un polyèdre régulier, ayant des faces infiniment petites en nombre infini ; ces faces pouvant être ou des triangles réunis six par six, ou des hexagones réunis trois par trois, ou enfin des quarrés réunis quatre par quatre.

On voit encore qu’un plan ne peut être exactement couvert avec des polygones d’une même sorte, assemblés en même nombre autour de chaque sommet, que de trois manières différentes, savoir : avec des triangles rassemblés six par six ; 2.o avec des quarrés assemblés quatre par quatre ; 3.o avec des hexagones assemblés trois par trois.

On voit enfin que les polyèdres réguliers de mêmes couples sont le tétraèdre avec lui-même, l’hexaèdre avec l’octaèdre, le dodécaèdre avec l’icosaèdre, la sphère couverte d’hexagones avec la sphère couverte de triangles, et enfin la sphère couverte de quarrés avec elle-même[3].

9. Après avoir démontré, de la manière que nous avons dit ci-dessus, le théorème fondamental d’Euler, M. Lhuiiier s’occupe de la démonstration du second théorème, relatif à l’expression de la somme des angles des faces d’un polyèdre : voici cette démonstration.

Soient les nombres qui expriment combien il y a, dans un polyèdre, de faces ayant respectivement 3, 4, 5,… côtés ; soient le nombre total des faces du polyèdre, le nombre de ses arêtes, et la valeur totale des angles de ses faces. L’angle droit étant pris pour une unité, on aura

ou

ou, enfin,

c’est-à-dire, la somme des angles des faces d’un polyèdre vaut quatre angles droits, pris autant de fois qu’il y a d’unités dans l’excès du nombre des arêtes de ce polyèdre sur le nombre de ses faces.

L’équation donnant  ; on a aussi

c’est-à-dire, la somme des angles des faces d’un polyèdre vaut quatre angles droits pris autant de fois moins deux que le polyèdre a de sommets.

M. Lhuilier remarque que les deux équations et étant susceptibles d’être démontrées directement, et indépendamment l’une de l’autre, il en résulte de nouveau  ; mais il ne croit pas devoir s’arrêter à développer ce moyen de démonstration.

10. M. Lhuilier indique encore un autre moyen de démonstration assez simple, et que je vais développer brièvement.

Soient respectivement les nombres de faces de sommets et d’arêtes d’un tronc de prisme que, pour fixer les idées, on peut supposer faire partie d’un prisme droit ; si l’on désigne par le nombre des côtés du polygone qui sert de base à ce tronc, on aura évidemment

d’où

c’est-à-dire, que, dans un tronc de prisme, le nombre des faces, augmenté du nombre des sommets, surpasse de deux unités le nombre des arêtes.

Soit présentement un corps formé par une suite de troncs de prismes droits, dont les bases inférieures, toutes situées sur un même plan horizontal, et contiguës les unes aux autres, forment, par leur réunion, un poligone unique ; ces troncs se trouvant unis les uns aux autres par des faces latérales égales. Par un raisonnement semblable à celui qui a été développé (5), on prouvera aisément que, dans le corps formé de l’assemblage de ces prismes, le nombre des faces, augmenté du nombre des sommets, surpasse de deux unités le nombre des arêtes.

La base supérieure de ce corps est une surface polyèdre non fermée. Désignons par le nombre de ses faces, par le nombre de ses sommets, et par le nombre de ses arêtes. Soit le nombre des côtés de la base inférieure du même corps ; soient le nombre total de ses faces, le nombre total de ses sommets et le nombre total de ses arêtes, nous aurons évidemment

puis donc qu’on doit avoir

il viendra

ou, en réduisant

c’est-à-dire, que, dans une sur face polyèdre, non fermée, le nombre des faces, augmenté du nombre des sommets, surpasse d’une unité le nombre des arêtes, pourvu cependant que cette surface soit de nature à ce que les perpendiculaires à un plan convenablement situé par rapport à elle, ne la rencontrent qu’en un seul point.

Soit enfin un polyèdre quelconque auquel on circonscrive un prisme dont les arêtes aient une direction telle qu’aucune d’elles ne se confonde avec ses faces. Ce prisme touchera le polyèdre selon une suite d’arêtes consécutives qui diviseront sa surface en deux surfaces polyèdres non fermées. Soient respectivement et les nombres de faces de ces deux portions, et leurs nombres de sommets, et enfin et leurs nombres d’arêtes ; on aura, par ce qui précède,

Soient ensuite le nombre total des faces du polyèdre, le nombre de ses sommets, et le nombre de ses arêtes. En désignant par le nombre des côtés du polygone, plan ou gauche, qui termine ses deux parties, on aura évidemment

d’où

Ceci suppose toujours, au surplus, qu’il y a un certain plan tel que les droites qui lui sont perpendiculaires ne rencontrent la surface du polyèdre qu’en deux points au plus ; mais tout plan satisfait à cette condition ; lorsque le polyèdre est convexe ; et l’on sait que le théorème, une fois démontré pour les polyèdres de cette nature, peut être facilement étendu à tous les autres.

Dans la seconde partie de son mémoire, M. Lhuilier, ainsi que je l’ai annoncé, s’occupe des diverses exceptions auxquelles le Théorème d’Euler est assujetti. Ces exceptions sont de trois sortes. Je vais les présenter successivement.

11. La première sorte d’exception a lieu lorsque le polyèdre renferme une cavité intérieure ; c’est-à-dire, lorsqu’il est compris entre deux surfaces isolées et entièrement renfermées l’une dans l’autre.

Soient alors, en effet, les nombres de faces, de sommets et d’arêtes de la surface extérieure ; soient les nombres analogues pour la surface intérieure ; on aura, par ce qui précède,

d’où

mais, en désignant par le nombre total des faces du polyèdre, par le nombre total de ses sommets, et par le nombre total de ses arêtes, on aura évidemment

on aura donc aussi

c’est-à-dire, que, dans un tel polyèdre, le nombre des faces, augmenté du nombre des sommets, surpasse de quatre unités le nombre des arêtes.

En général, un corps peut être compris entre surfaces polyèdres fermées, extérieures les unes aux autres, et une surface polyèdre fermée qui les renferme toutes ; en conservant d’ailleurs les mêmes notations que ci-dessus, on a alors

Si l’on représente par la valeur totale de la somme des angles des faces d’un tel polyèdre, on aura (9)

12. La seconde sorte d’exception a lieu, lorsque le polyèdre est annulaire ; c’est-à-dire, lorsqu’étant d’ailleurs compris sous une surface unique, il a une ouverture qui le traverse de part en part.

Concevons que l’on fasse à un tel anneau une section plane qui, en supposant les deux faces de la section séparées, le fasse rentrer dans la classe des polyèdres ordinaires ; soient alors désignés par le nombre de ses faces, par le nombre de ses sommets, et par le nombre de ses arêtes ; on aura, comme ci-dessus,

Soient les nombres de côtés de deux faces de la section ; concevons que l’on soude ces deux faces l’une à l’autre, pour rétablir le polyèdre dans son état primitif ; soient alors les quantités analogues à celles que nous avions désignées par lorsque le polyèdre était ouvert ; en raisonnant comme nous l’avons fait (2), on se convaincra qu’on doit avoir

ou

c’est-à-dire, que, dans un tel polyèdre, le nombre des faces, augmenté du nombre des sommets, est précisément égal au nombre des arêtes.

En général un polyèdre terminé par une surface unique peut être percé, de part en part, par un nombre plus ou moins grand d’ouvertures distinctes. Si désigne le nombre de ses ouvertures, on aura

Si l’on représente par la valeur totale de la somme des angles des faces d’un tel polyèdre, on aura (9)

13. J’avais, depuis long-temps, remarqué ces deux premières sortes d’exceptions ; mais M. Lhuilier est, je crois, le premier qui ait fait attention à la troisième ; et elle devait d’autant plus facilement échapper à l’observation des géomètres, que les polyèdres auxquels elle est relative, ne paraissent pas différer essentiellement de ceux que l’on est dans l’usage de considérer. Cette troisième sorte d’exception a lieu, lorsque quelques-unes des faces du polyèdre sont des polygones compris dans l’exception qui a été développée (4) ; comme, par exemple, lorsqu’une des faces du polyèdre est une couronne polygonale ; ainsi qu’il arrive, lorsque le polyèdre résulte de l’union de deux autres polyèdres, par deux faces inégales, dont la plus petite se trouve entièrement comprise dans la plus grande.

Pour passer, de suite, au cas le plus général, supposons que l’une des faces du polyèdre soit comprise entre polygones extérieurs les uns aux autres et un polygone qui les renferme tous. Il est facile de se convaincre qu’en menant convenablement, dans cette face, diagonales, elles la diviseront en deux polygones qui ne se trouveront plus dans le cas d’exception ; de manière qu’il sera permis de considérer alors ces deux polygones comme deux faces du polyèdre, pourvu que l’on considère les diagonales qu’on aura menées comme autant de nouvelles arêtes. Le polyèdre se trouvant ainsi hors du cas d’exception ; si l’on désigne par le nombre total de ses faces, la face dont il s’agit étant comptée comme double ; par le nombre de ses sommets ; et enfin par le nombre de ses arête, y compris les diagonales dont il vient d’être question ; on devra avoir

Mais si l’on désigne par les mêmes choses pour le polyèdre, considéré sous le premier point de vue, on aura évidemment,

en substituant donc et transposant, il viendra

c’est-à-dire, que, dans un tel polyèdre, le nombre des faces augmenté du nombre des sommets surpasse le nombre des arêtes de deux unités augmentées du nombre des polygones intérieurs à la face qui fait exception, ou d’une unité augmentée du nombre total des polygones qui terminent cette face.

En général, le polyèdre peut avoir plusieurs faces dans le cas d’exception développé (4) ; et si, pour celles qui suivent la première, on désigne par ce que nous avons désigné par pour celle-ci, on aura

Si l’on représente par la valeur totale des angles des faces d’un tel polyèdre, on aura

ainsi, il n’y a lieu ici à aucune exception quant à la valeur de la somme des angles des faces, lorsqu’on évalue cette somme en fonction du nombre des sommets.

« L’exception que je viens d’exposer » dit M. L’huilier « doit se présenter fréquemment dans la nature. Dans les agrégations mutuelles des corps, et en particulier dans les groupes de cristaux, à moins qu’il n’y ait une cause puissante qui les détermine à s’appliquer par des faces coïncidentes, il doit se rencontrer des cas où l’application se fait d’une manière propre à donner lieu à l’exception dont il s’agit. Aussi ai-je vu, dans la belle collection de minéraux que possède mon ami et collègue le professeur Pictet, l’un des inspecteurs généraux de l’université, différens groupes de cristaux, conformes à cette exception ; parmi lesquels j’ai remarqué des groupes de cristaux de spath calcaire, et des grès de la carrière de Montmartre. »

14. M. Lhuilier termine par observer que les trois sortes d’exceptions qu’il vient de considérer, et qui paraissent être les seules auxquelles le théorème d’Euler puisse être sujet, pouvant se trouver réunis dans un même polyèdre, et s’y trouver chacune indéfiniment ; il s’ensuit qu’il peut exister des polyèdres dans lesquels le nombre des faces augmenté du nombre des sommets surpasse le nombre des arêtes, ou soit surpassé par lui d’un nombre d’unités donné et quelconque.

Si représente le nombre des cavités intérieures d’un polyèdre ; que désigne le nombre des ouvertures qui y sont pratiquées, de part en part, et qu’enfin plusieurs des faces soient bornées par des polygones intérieurs au nombre de pour chacune d’elles respectivement ; on aura

et conséquemment la condition nécessaire et suffisante pour que le polyèdre ne fasse pas exception au théorème d’Euler, sera

  1. Voyez les Mémoires de Pétersbourg, pour 1752 et 1753, imprimés en 1758.
  2. Voyez la Correspondance sur l’école polytechnique, tom. II, n.o 3, janvier 1811, page 253.
  3. Dans les Mémoires de l’académie des sciences de Paris, pour 1725, M. de Mairan a donné des recherches curieuses relatives à l’inscription et à la circonscription du cube à l’octaèdre ; mais personne, que je sache, ne s’est occupé des mêmes questions relativement aux autres couples de polyèdres. Les recherches de ce genre exigent d’autant plus de sagacité qu’on ne saurait guère y appliquer les méthodes ordinaires.