Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 03/Dynamique, article 1

DYNAMIQUE.

Théorèmes nouveaux sur la rotation des corps solides ;
Par M. J. F. Français, professeur à l’école impériale
de l’artillerie et du génie,
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Au Rédacteur des Annales ;
Monsieur,

Je me suis occupé, depuis quelque temps, d’un travail que je comptais faire paraître dans vos Annales, sur le mouvement de rotation d’un corps solide ; mais le mémoire est devenu trop volumineux pour que je puisse, cette fois, sans indiscrétion, profiter de l’offre obligeante que vous m’avez faite d’y insérer mes petites productions. Je me vois donc obligé de le faire imprimer séparément ; mais, pour mettre, à l’avance, les géomètres en possession des principaux résultats que j’ai obtenus, je vais les transcrire ici, en vous priant de vouloir bien insérer cette lettre dans votre intéressant recueil.

I. Dans le mouvement de rotation d’un corps solide, qui n’est sollicité que par des forces constantes, l’axe instantané décrit toujours soit un cône elliptique autour de l’un des axes principaux, maximum ou minimum[1], soit un plan passant par l’axe principal moyen.[2]

II. Tandis que l’axe instantané de rotation décrit un cône elliptique autour de l’un des axes principaux, maximum ou minimum, cet axe principal lui-même décrit un autre cône elliptique autour de l’axe du couple d’impulsion primitive[3] ; ou bien, tandis que l’axe instantané décrit un plan passant par l’axe principal moyen, cet axe décrit lui-même un plan passant par l’axe du couple d’impulsion primitive.

III. Le mouvement de l’axe instantané, autour de l’axe du couple d’impulsion primitive, est donc composé de deux oscillations elliptico-coniques simultanées. Ces deux oscillations se composent en une seule, dont la nature dépend du rapport qui existe entre les axes des sections faites dans les deux cônes elliptiques, et de la durée de chacune de ces deux oscillations entières. Si ces deux oscillations sont synchrones, l’oscillation résultante le sera aussi, et rentrera en elle-même, à la fin de chaque oscillation entière. Si les durées des deux oscillations elliptiques ne sont pas égales, mais sont entre elles dans un rapport commensurable, l’oscillation résultante rentrera en elle-même au bout d’un nombre d’oscillation déterminé par ce rapport. Enfin, si les durées des deux oscillations elliptiques sont entre elles dans un rapport incommensurable, l’axe instantané oscillera autour de l’axe du couple d’impulsion primitive, en décrivant un cône qui ne se fermera jamais.

IV. Si, pour chaque position de l’axe instantané, on prend, sur sa direction, une longueur proportionnelle à la vitesse de rotation, pour représenter cette vitesse, à chaque instant ; l’extrémité de l’axe instantané, ainsi déterminée, décrira toujours une courbe plane, située dans un plan parallèle à celui du couple d’impulsion primitive, quelle que soit l’oscillation de cet axe.

V. Lorsque le corps commence à tourner autour d’un axe principal, maximum ou minimum, cet axe coïncide avec l’axe du couple d’impulsion primitive, et le corps continue toujours à tourner autour de cet axe ; ce qui n’a pas nécessairement lieu pour l’axe principal moyen. Cet axe principal ne jouit donc pas, comme les deux autres, de la propriété d’être nécessairement un axe permanent de rotation.

VI. Je démontre (contrairement à une proposition de MM. Laplace et Poisson) que, bien qu’un corps ait commencé à tourner autour d’un axe très-voisin d’un axe principal, maximum ou minimum, il peut, dans la suite du mouvement, s’en écarter d’aussi près qu’on voudra d’un angle droit.

VII. Je fais voir que les solutions, données par d’Alembert et par M. Poisson, du problème de la rotation d’un corps, sont incomplettes, et ne résolvent que le cas d’un mouvement uniforme autour d’un axe principal.

VIII. Je détermine toutes les constantes du problème, d’après les circonstances initiales du mouvement, et je donne les valeurs définitives des coordonnées d’un point quelconque, après le temps en coordonnées initiales et en fonctions du temps ; de sorte que, dans chaque cas particulier, il ne reste que des substitutions et deux intégrations à effectuer.

Quant au cas de deux momens d’inertie égaux, je le résous complètement, et en quantités finies. J’assigne de plus, pour ce cas, la condition nécessaire pour que le corps revienne à la même position, et l’époque à laquelle il y reviendra.

IX. Enfin, je discute les maxima et minima dont cette question est susceptible, et il résulte de cette discussion,

1.o Que, quelles que soient les circonstances initiales du mouvement, la vitesse angulaire totale a toujours une valeur maximum et une valeur minimum, et que ces maxima et minima ont toujours lieu, quand l’axe instantané passe par le plan des axes principaux.

2.o Que le maximum a lieu, quand l’axe instantané passe par le plan des axes principaux, maximum et minimum, et qu’alors les vitesses angulaires partielles, autour de ces deux axes, sont aussi des maxima, tandis que celle autour de l’axe principal moyen est nulle.

3.o Que le minimum a lieu, quand l’axe instantané passe par le plan de l’axe principal moyen et de celui autour duquel l’axe instantané oscille, et qu’alors la vitesse angulaire partielle autour de l’axe principal moyen est à son maximum, et celles autour des deux autres axes principaux à leur minimum ; l’une d’elles étant nulle, savoir, celle autour de l’axe principal qui n’est pas l’axe du cône décrit par l’axe instantané.

4.o Que, dans le cas particulier où l’axe instantané se meut dans un plan passant par l’axe principal moyen, le minimum a lieu, quand l’axe instantané coïncide avec cet axe principal, et qu’alors la vitesse angulaire partielle autour du même axe principal est à son maximum, tandis que celles autour des deux autres axes principaux sont nulles.

Tels sont les principaux résultats que présente mon travail ; je pense qu’ils pourront exciter l’attention des géomètres, tant par leur intérêt propre que par leur nouveauté.

Agréez, etc.,

Metz, le 18 de novembre 1812.
  1. Je nomme, pour abréger, axe principal maximum ou minimum, celui par rapport auquel le moment d’inertie est un maximum ou un minimum.
  2. Cette proposition est due à M. Dubuat, professeur à l’école impériale de l’artillerie et du génie.
  3. J’emploie ici le mot couple dans le sens qu’y a attaché M. Poinsot, pour simplifier les expressions.