Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 02/Géométrie, article 19

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Solutions du premier des deux problèmes proposés à
la page 196 de ce volume.
Première solution ;
Par M. Lhuilier, professeur de mathématiques à l’académie
impériale de Genève.
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Le cas dans lequel le polygone proposé est un triangle, est de première facilité ; en particulier il se construit par fausse position de la manière la plus simple. Il n’en est plus de même lorsque le nombre des côtés du polygone proposé est plus grand que trois.

LEMME. Soient des droites données de grandeur. On demande de couper chacune d’elles en deux parties, de manière que les rapports de ces parties, deux, à deux, soient donnés, sous les conditions suivantes : on connaît le rapport d’une partie de la première à une partie de la seconde ; celui de l’autre partie de la seconde à une partie de la troisième ; celui de l’autre partie de la troisième a une partie de la quatrième, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on parvienne au rapport de la seconde partie de la dernière à la seconde partie de la première.

Premier exemple. Que les droites données soient au nombre de deux seulement. Soient et deux droites données de grandeur (fig. 6), à couper en et , de manière que les rapports de à et de à soient, l’un et l’autre, égaux à des rapports donnés.

Que le rapport donné de à soit égal au rapport de à  ; et soit porté sur de vers .

on connaît donc la différence (s’il y a lieu) et le rapport des droites et , et conséquemment ces droites sont l’une et l’autre déterminées.

Construction. Que le rapport donné de à soit présenté sous la forme du rapport de à et soit portée sur . Que le rapport de à soit aussi présenté sous la forme du rapport d’une droite à . Enfin soient déterminées les droites et dont la différence est donnée, et dont le rapport est celui de à .

Remarque. Pour que le problème soit déterminé, les points et , ne doivent pas coïncider. En effet, si le rapport de à est donné égal au rapport de à , le rapport de à se trouve déterminé à être égal au même rapport, et la question proposée demeure indéterminée. Cette question est impossible, si le rapport de à étant donné égal au rapport de à , le rapport de à n’est pas donné égal au même rapport.

Second exemple. Que les droites données soient au nombre de trois. Soient , (fig. 7) trois droites, données de grandeur, à couper en , respectivement, de manière que chacun des trois rapports soient égaux à des rapport donnés.

Que le rapport de à soit égal au rapport de à  ; et soit porté sur de vers .

On a,

Soit en outre

On connaît donc la somme et le rapport des droites et  ; donc ces droites sont l’une et l’autre connues.

Troisième exemple. Que les droites données soient au nombre de quatre. Soient (fig. 8), quatre droites données de grandeur, à couper en de manière que chacun des quatre rapports soient égaux à des rapports donnés.

Partant, on connaît, de grandeur, les droites et et les rapports donc la question proposée sur quatre droites est ramenée à la question correspondante sur deux droites. Et, comme cette dernière est susceptible d’indétermination et d’impossibilité, aussi la question proposée sur quatre droites est susceptible d’indétermination et d’impossibilité.

On montrera précisément, de la même manière, que la question proposée sur cinq droites est ramenée à la question correspondante sur trois droites ; et partant la question est toujours possible, déterminée et susceptible d’une seule solution. On montrera aussi que la question proposée sur six droites est ramenée à la question correspondante sur quatre droites, et partant qu’elle est susceptible d’impossibilité et d’indétermination.

En général, la question étant proposée sur un nombre quelconque de droites (plus grand que deux), elle est toujours ramenée à la question correspondante sur des droites dont le nombre est inférieur de deux unités. Si donc le nombre des droites données est impair, le problème est finalement ramené à trouver deux droites dont on connaît la différence et le rapport. Afin donc que, dans ce cas, le problème soit possible et déterminé, la différence ne doit pas évanouir, et le rapport donné ne doit pas être un rapport d’égalité. Si la différence évanouit, le rapport est déterminé à être celui d’égalité, et alors la question est indéterminée.

Remarque. On résout sensiblement de la même manière les cas dans lesquels les droites données sont, en tout ou en partie, des différences des droites cherchées. Le nombre des droites données étant quelconque, pair ou impair, si le nombre de celles auxquelles répond une somme est pair, la question est susceptible d’indétermination ou d’impossibilité.

PROBLÈME. À un polygone donné, inscrire un polygone de même nom, dont les côtés soient respectivement parallèles à des droites données de position ?

Solution. Dans chacun des triangles retranchés par les côtés du polygone inscrit, lesquels ont pour bases les côtés de ce polygone et pour sommets les sommets correspondans du polygone donné ; dans ces triangles, dis-je, les angles sont donnés ; parlant, ces triangles sont donnés d’espèce, et en particulier les rapports de ceux de leurs côtés qui font partie des côtés du polygone proposé, sont donnés. De là la question est immédiatement ramenée au lemme qui vient de nous occuper.

Savoir : désignons par les sommets du polygone donné, et par les sommets du polygone cherché, de manière que le sommet soit sur le sommet sur et ainsi de suite. On connaît les droites et les rapports de leurs parties.

Puisque cette inscription est ramenée à notre lemme, elle est possible et unique, lorsque le nombre des côtés du polygone proposé est impair ; elle est susceptible d’impossibilité ou d’indétermination, lorsque le nombre des côtés de ce polygone est pair.

Je crois devoir éclaircir l’indétermination, si elle a lieu, par quelques exemples.

Premier exemple. Soit un quadrilatère (fig.9) dont et soient les diagonales. À la diagonale soit menée arbitrairement une parallèle, se terminant en et aux côtés et de ce quadrilatère. Par les points et soient menées à l’autre diagonale des parallèles, se terminant en et aux côtés et et soit enfin menée . J’affirme que cette droite sera, comme parallèle à la diagonale  ; et partant que le quadrilatère est un parallélogramme.

On a, en effet, par construction,

donc est parallèle à

Ou bien, les rapports étant respectivement égaux aux rapports le rapport est déterminé à être égal au rapport  ; et le nombre des polygones équiangles inscriptibles au quadrilatère proposéest illimité.

Second exemple. Soit un hexagone. (fig. 10) Soient menées les diagonales qui retranchent deux côtés. Par un point , pris arbitrairement sur l’un des côtés, soit menée à la diagonale une parallèle terminée en au côté  ; par soit menée à la diagonale une parallèle terminée en au côté  ; soient de même menées parallèle à parallèle à parallèle à et soit enfin menée  ; j’affirme que cette dernière droite est parallèle à la diagonale

On a, en effet, par construction

donc la droite est parallèle à la diagonale

Partant, les rapports étant respectivement égaux aux rapports le rapport se trouve déterminé à être égal au rapport ou encore, dans le polygone les côtés étant respectivement parallèles aux diagonales , le côté restant se trouve déterminé à être parallèle à la diagonale et le nombre des hexagones, équiangles entre eux, inscriptibles à l’hexagone proposé, sous les conditions données, demeure illimité.

Cette propriété s’étend à tous les polygones d’un nombre de côtés pair, en menant des parallèles aux diagonales qui joignent les extrémités des côtés des angles du polygone donné.

Scholie. Le problème proposé trouve une application qui mérite d’être mentionnée. Qu’on demande d’inscrire à un polygone donné un polygone de même nom dont le contour soit le plus petit ? il est aisé de démontrer que les deux côtés de chacun des angles du polygone cherché doivent faire des angles égaux avec le côté du polygone donné sur lequel est situé le sommet de cet angle[1]. Si le polygone proposé a un nombre impair de côtés, ces angles sont déterminés par les angles du polygone proposé, et l’inscription demandée est unique et déterminée. Mais, si le polygone proposé a un nombre pair de côtés, pour que le problème soit possible, la somme des angles de rang pair du polygone proposé, à partir de l’un quelconque, doit être égale à la somme de ses angles de rang impair[2].

Cette égalité étant supposée, le nombre des polygones à inscrire est illimité ; et ils ont tous le même plus petit contour. Cette application remarquable fait l’objet d’une dissertation qui est à la suite de mon ouvrage intitulé : De relatione mutua capacitatis et terminorum figurarum.

La différence que présentent, à l’égard du sujet de ce mémoire, les polygones rectilignes, suivant que le nombre de leurs côtés est pair ou impair, n’est pas la seule qui distingue ces deux classes de polygones. Je vais encore en donner deux exemples.

Qu’on demande d’inscrire à un cercle donné un polygone dont les angles soient donnés. Cette condition suffit pour déterminer le polygone cherché, lorsque le nombre de ses côtés est impair, de manière que l’inscription est toujours possible. Au contraire, le nombre des côtés étant pair, l’inscription est possible seulement, lorsque la somme des angles donnés de rang pair est égale à celle des angles donnés de rang impair. L’égalité entre ces deux sommes ayant lieu en effet, le nombre des polygones inscriptibles, sous les conditions données, demeure illimité ; et, pour que le problème soit déterminé, on doit ajouter quelque condition indépendante de la connaissance des angles, et qui soit, par exemple, relative au contour ou à la surface.

De même, qu’on demande de circonscrire à un cercle donné un polygone (dont le nombre des côtés est plus grand que trois) ayant des côtés donnés ; ce problème est susceptible d’une seule solution, si le nombre des côtés du polygone à construire est impair. Mais, que le nombre des côtés de ce polygone soit pair, une condition essentielle, pour que le problème soit possible, est que la somme des côtés de rang pair soit égale à la somme des côtés de rang impair. Cette égalité étant supposée, le problème est susceptible d’un nombre illimité de solutions.

Le procédé que j’ai suivi pour résoudre le problème proposé, consiste à diminuer successivement de deux unités le nombre des côtés du polygone à construire, et partant a réduire finalement la question proposée à l’inscription d’un triangle, d’une part, pour les polygones impairs, et à celle du quadrilatère, pour las polygones pairs, On peut aussi traiter chaque polygone immédiatement, sans ramener la question à un polygone d’un moindre nombre de côtés. Il me suffira d’exposer ce procédé sur un quadrilatère.

Soit un quadrilatère auquel on doit inscrire un autre quadrilatère dont les côtés soient respectivement parallèles à des droites données.

Que les angles du premier quadrilatère soient désignés par et soient faits

soit enfin on aura




Cette dernière équation donne


d’où on tire

Le problème est impossible si, entre les données, on a la seule équation

Mais si l’on a, en outre,

le problème est indéterminé.

Si, en particulier, on a

la première condition est d’elle-même satisfaite, et la seconde devient

Il faut donc alors que cette condition soit remplie pour que le problème soil possible ; et, si elle l’est en effet, ce problème demeure indéterminé.

Le procédé est exactement le même pour les polygones d’un plus grand nombre de côtés, et ne diffère de celui-ci que pour la longueur.

Lorsque le nombre des côtés du polygone proposé est impair, le dénominateur de la fraction qui exprime la valeur de , au lieu d’être la différence de deux produits, en est la somme ; et conséquemment il n’y a lieu alors ni à impossibilité ni à indétermination.

Scholie. On peut réunir, sous un même énoncé, le problème qui fait l’objet de ce mémoire, et celui qui est résolu à la page 115 de ce volume, comme il suit : À un polygone donné, inscrire un polygone de même nom dont quelques-uns des côtés passent par des points donnés de position, et dont les autres soient parallèles à des droites données de position ?

Deuxième solution ;
Par M. Penjon, professeur de mathématiques au lycée
d’Angers.

J’observerai d’abord que, pour que le problème proposé n’ait qu’une solution unique, il est nécessaire d’indiquer à laquelle des droites données de position chaque côté du polygone cherché doit être parallèle ; car autrement, désignant le nombre des côtés du polygone donné, et conséquemment aussi le nombre des droites données de position, le nombre des solutions du problème serait

Soient et deux côtés consécutifs du polygone donné (fig. 11), et soit le côté du polygone cherché qui répond à l’angle . Par soit menée parallèle à celle des droites données de position à laquelle doit être lui-même parallèle.

Soient  ; nous aurons

et il est clair que, si est le nombre des côtés du polygone proposé, nous aurons équations semblables entre les inconnues

Nous aurons de plus, entre les mêmes inconnues, autres équations de la forme ce qui sera suffisant pour les déterminer ; et, comme ces équations sont toutes du premier degré, le problème, lorsqu’il sera possible et déterminé, n’admettra jamais plus d’une solution.

Premier exemple. Pour le triangle, les équations seront

d’où on tirera

Deuxième exemple. Pour le quadrilatère, les équations seront

d’où on tirera

Ces résultats, dont la loi est manifeste y se construiront par des quatrièmes proportionnelles.

Troisième solution ;
Par M. Rochat, professeur de navigation à St-Brieux.

J’appliquerai seulement le procédé au quadrilatère ; son uniformité laissant assez apercevoir de quelle manière il peut être étendu à tout autre polygone.

Soit le polygone donné (fig. 12) et soit le polygone cherché. Soit construit arbitrairement un polygone , dont les côtés soient respectivement parallèles aux droites données de position, et conséquemment aux côtés du polygone cherché, et dont tous les sommets excepté le dernier soient respectivement sur les côtés du polygone donné. Soient enfin les points où le dernier côté de ce polygone est coupé par les directions et des côtés de l’angle .

À cause des parallèles, on aura les proportions

lesquelles, étant multipliées par ordre, donneront, en réduisant,

donc

donc

cette valeur de étant construite, par des quatrièmes proportionnelles, on connaîtra la position du sommet , et alors il sera facile d’achever le polygone.

Quatrième solution ;
Par M. Pilatte, professeur de mathématiques spéciales
au lycée d’Angers.

Soit (fig. 13) l’un des côtés du polygone donné ; soit celui des sommets du polygone cherché qui doit se trouver sur la direction de ce côté, et soit fait

Soit pris arbitrairement un point sur la direction et soit opéré avec ce point , comme on le ferait avec le point , si, ce dernier étant connu, on voulait construire le polygone demandé. Si le dernier côté du polygone construit, à partir de , venait se terminer à ce même point, le point serait, en effet, le point cherché ; mais en général ce dernier côté viendra se terminer en un autre point de .

Si l’on opère ensuite par rapport au point comme par rapport au point , on déterminera un troisième point , dépendant du point de la même manière que celui-ci dépend du point .

Soient faits

Si l’on prend le point pour origine, et le côté pour axe des , on se convaincra facilement que la relation entre les deux variables et doit être du premier degré seulement, et peut conséquemment être représentée par l’équation

dans laquelle sont des constantes dépendant de la nature du polygone donné, et de la direction connue des côtés du polygone cherché.

Mais, puisque dépend de de la même manière que cette dernière quantité dépend de , on doit avoir pareillement

or, si eût été pris égal à , eût aussi été égal à  ; on doit donc avoir encore

Retranchant successivement de l’équation les équations et , il viendra, en transposant,

équations qui, étant divisées membre à membre, donneront

expression facile a construire.

Pour plus de simplicité, on peut prendre pour le point arbitraire le point lui-même ; on a alors et par conséquent

ce qui réduit la solution du problème à la recherche d’une troisième proportionnelle à deux lignes données.

Supposons qu’on ait pris il est facile de se convaincre que le nombre des côtés du polygone étant impair, on aura et  ; on aura donc aussi d’où  ; ainsi, dans ce cas, le dénominateur de la valeur de ne pouvant devenir nul, le problème sera toujours possible.

Mais, étant toujours pris si le nombre des côtés du polygone est pair, on aura et il pourra fort bien arriver qu’on ait alors le problème sera impossible, à moins cependant qu’on ait, en outre, auquel cas le problème serait indéterminé ; or, des équations

il est facile de conclure

ainsi, dans le cas d’un nombre de côtés pair, on reconnaîtra que le problème est impossible, si le point se trouve au milieu de l’intervalle qui sépare les points et  ; et on reconnaîtra qu’il est indéterminé, si, le point étant pris quelconque, le point coïncide avec lui[3].

Cinquième solution ;
Par M. Gergonne.

1.o Soit le nombre des côtés tant du polygone donné que du polygone à construire ; concevons une suite de polygones dont les côtés soient respectivement parallèles aux droites données de position, et dont les premiers sommets soient sur les premiers côtés du polygone donné, et soient les sommets de ces polygones.

2.o Le lieu des points est une certaine ligne dont les intersections avec le côté du polygone donné peuvent évidemment être prises pour le sommet du polygone cherché.

3.o Or, il résulte des considérations développées dans les solutions précédentes, et il serait d’ailleurs très-facile de prouver a priori, par une simple ébauche de calcul, que le problème proposé n’est que du premier degré ; donc le lieu des points ne peut jamais couper le côté du polygone donné en plus d’un point ; donc ce lieu est une ligne droite.

4.o La construction du problème proposé se réduit donc à ce qui suit : construisez arbitrairement les deux polygones et qui vous détermineront les deux points et  ; en joignant ces deux points par une droite, l’intersection de cette droite avec le côté du polygone donné sera le sommet du polygone cherché.

5.o Si la droite est parallèle au côté du polygone donné, le problème sera impossible ; si, au contraire, elle se confond avec lui ou, ce qui revient au même, si les sommets et sont sur ce côté, le problème sera indéterminé.

6.o Si est un nombre impair, il est facile de voir que les angles et seront l’un dans l’autre, qu’ainsi leurs sommets ne pourront se trouver tous deux ni sur le côté du polygone donné, ni sur une droite qui lui soit parallèle ; et que conséquemment, dans ce cas, le problème sera toujours possible et déterminé.

7.o Mais il n’en sera plus de même si est un nombre pair, parce qu’alors les angles et  ; ne seront plus l’un dans l’autre.

8.o Cette construction, qui diffère peu de celle de M. Pilatte, rentre dans ce que les arithméticiens appellent Règle de deux fausses positions. Elle est parfaitement analogue à celle que M. Servois a donnée d’un autre problème à la page 115 de ce volume.

  1. Voyez le tome 1 des Annales, page 375, lemme I.
  2. Cette proposition revient à la suivante : si entre inconnues , on a équations de la forme

    et que soit un nombre impair, ces inconnues seront déterminées. Si, au contraire, est pair, le problème ne sera possible que sous certaine relation entre les données ; relation qui, si elle a lieu, rendra ce problème indéterminé.

    On a, en effet, 1.o dans le cas de impair

    2.o Dans le cas de pair.

    équation de condition qui, suivant quelle aura ou n’aura pas lieu, rendra le problème indéterminé ou impossible.

    (Note des éditeurs.)
  3. Cette méthode peut, avec quelques modifications être appliquée à la solution du problème traité à la page 116 de ce volume. Il faut seulement alors déterminer un quatrième point , faire  ; posant alors

    l’élimination de entre ces quatre équations donnera les deux valeurs de qui résoudront le problème.